Maria Spiridonova, l'icône terroriste

Égérie de la Révolution d’octobre 1917, elle a passé une grande partie de sa vie entre l’exil et les travaux forcés en Sibérie. Dotée d’une force de caractère et d’un charisme sans égal, Maria Spiridonova a défendu ses convictions jusqu’à devenir l’ennemie à abattre.

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Portrait vers 1910. © Wikipédia

« Je n’ai jamais rencontré une femme qui soit son égale dans aucun pays », écrivait la journaliste américaine Louise Bryant, en 1917, dans son reportage consacré à la révolution bolchevique, Six mois rouges en Russie. Adulée, Maria Spiridonova voguait en effet au sommet de la popularité, après onze ans d’exil forcé en Sibérie. Le motif de sa célébrité ? L’attentat contre un chef de la sécurité qu’elle a commis quelques années plus tôt lui a valu d’être persécutée par la police tsariste, la propulsant du statut de terroriste à celui de « sainte » dans cette Russie prérévolutionnaire.

Son esprit de révolte, elle se l’est forgé dès le plus jeune âge. Née à Tambov en 1884, à 450 km au sud-est de Moscou, dans une famille de hauts fonctionnaires, la jeune Maria a rapidement montré une capacité à se révolter contre les injustices. En terminale, elle est aux côtés des séminaristes de Tambov qui protestent contre leurs conditions de vie. À 21 ans, elle est arrêtée dans une manifestation étudiante et envoyée trois semaines en prison. Le contexte parle pour elle : la Russie du début du XXe siècle connaît une rébellion sans précédent. Début 1905, des soldats ouvrent le feu sur des manifestants à Saint-Pétersbourg. Scandalisée, Maria Spiridonova adhère alors à la section du Parti socialiste révolutionnaire (PSR) dans sa ville. Cette organisation politique, créée en 1902 et encore largement minoritaire, poursuit un objectif radical : l’élimination des détenteurs du pouvoir du régime tsariste. 

Son adhésion tombe à pic. À la fin de l’année, les paysans russes se soulèvent contre les propriétaires terriens. À Tambov, les événements tournent mal et le conseiller du gouverneur, Gavriil Loujenovski, donne l’ordre de tirer sur les paysans. « Il allait de village en village, prenant un plaisir fou à torturer les gens », décrit Louise Bryant. Pour le comité du PSR de Tambov, c’en est trop : Maria se voit alors confier la mission d’assassiner Loujenovski. 

D’inconnue à héroïne

16 janvier 1906, gare de Tambov. Une jeune femme, grands yeux gris et cheveux bruns remontés en une couronne de tresses, patiente calmement. Le général Loujenoski arrive, Maria Spiridonova l’abat avec son revolver. Sous le choc, les cosaques qui accompagnaient l’officier arrêtent immédiatement Maria. Elle est rouée de coups puis placée en cellule, complètement nue, avant d’être violemment interrogée pour donner le nom de ses camarades. Maria ne lâche pas un mot. Les officiers la brûlent avec des cigarettes avant de la violer. 

Dans la Russie du moment, les actes de terrorisme sont légion. On en décompte près de deux cents rien qu’entre 1905 et 1907, ce qui explique que, au départ, l’assassinat n’est commenté que dans la presse locale. Mais, en prison, la jeune femme de 22 ans écrit une lettre à ses camarades du PSR pour raconter son arrestation ultra violente et les sévices qu’elle a subis. Deux journaux libéraux nationaux la publient. Dans leurs colonnes, ils prennent sa défense et la décrivent comme « une fleur d’une beauté spirituelle que seule la plus haute culture russe pouvait produire ». Le mythe prend vie. L’émoi suscité par la lettre est tel que Maria Spiridonova acquiert une renommée nationale, devenant le symbole des violences du régime tsariste sur son peuple.

Cela n’empêche pas le tribunal de la condamner à mort par pendaison le 12 mars 1906. Dans sa cellule, elle accepte volontiers le sort, espérant devenir une icône comme elle l’indique : « Ma mort revêtira une signification révolutionnaire extraordinaire. » Mais grâce à la compassion de ses compatriotes, son état de santé vacillant – elle a contracté la tuberculose – et la défense de son avocat, sa peine est commuée en travaux forcés à perpétuité, direction le katorga (le bagne) de Nertchinsk, en Sibérie.

Onze années passent et la révolutionnaire des premiers jours n’oublie en rien ses idéaux dans l’enfer glacé sibérien. Elle met à profit son incarcération pour apprendre le français et l’anglais. En février 1917, la révolution secoue le pays. Avec ses camarades, elle est libérée et part à Petrograd. Elle est reconnue, célébrée, le comité de cinéastes Skobelev la filme et la qualifie de « martyre de la première révolution ». Là, elle participe aux différents congrès qui rythment la révolution et devient une oratrice phare du Parti socialiste révolutionnaire. « Toute la journée, par convention ou non, les paysans venaient en masse la voir et ne parlaient à personne d’autre », relate la journaliste américaine Bessie Beatty, qui était présente. En novembre 1917, avec d’autres camarades, elle prend ses distances avec l’aile centriste du parti PSR et fonde les SR de gauche, qui s’appuient sur la paysannerie. 

Alors que la Russie devient la première grande puissance à accorder le droit de vote aux femmes, Maria Spiridonova se retrouve une des rares femmes sur les bancs de ­l’Assemblée. Sans micro, ces dernières sont obligées de crier pour se faire entendre, les hommes en profitant alors pour les traiter de folles. Maria n’échappe pas à ce mépris malgré son charisme. Les libéraux la vénéraient ; depuis la scission du PSR, ils sont les premiers à la traiter d’« hystérique ».

En 1918, les SR de gauche, alors alliés aux bolcheviks, changent de cap. En cause : le traité de paix de Brest-Litovsk, signé avec l’Allemagne, et plus globalement la politique de réquisition des céréales et autres produits agricoles chez les paysans menée par Lénine. Maria organise, avec ses comparses, l’attentat de l’ambassadeur allemand Wilhelm Mirbach – qui avait participé aux négociations du traité de Brest-Litovsk –, dans le but de détériorer les relations ­germano-russes et d’entreprendre un coup d’État. L’opération échoue. Puis, fin juin 1918, Spiridonova dénonce ouvertement le gouvernement dans une allocution. Lénine réplique dans un discours pointant huit fois l’« hystérie » de Maria Spiridonova. Ses qualités d’oratrice, ses convictions politiques fermes se retournent contre elle. Le 6 février 1919, elle prend la parole dans une usine de Petrograd, s’insurge contre le gouvernement et qualifie Lénine, Trotski et consorts de « ramassis de personnages louches ». Le 13 février, la femme politique devenue ennemie no 1 du régime est arrêtée. Le tribunal révolutionnaire de Moscou la déclare coupable de « calomnie » et d’« agitation irresponsable et criminelle » contre le gouvernement soviétique. « Malade et hystérique », selon l’instance, elle est condamnée à un an d’isolement de la vie politique et sociale et devient la première victime de la répression psychiatrique en Russie.

L’exil à vie

De condamnation en condamnation, exilée un peu partout en Russie et accusée de mener des « activités antisoviétiques » par la police d’État, Maria reste malgré tout très populaire. À l’étranger, son sort émeut, un comité de soutien parisien édite des cartes postales avec son portrait pour demander son exil en France. 

En 1937, après trois ans passés à Oufa en Bachkirie, le NKVD, la police politique bolchevique, arrête à nouveau cette « opposante » l’accusant d’avoir constitué un « centre contre-révolutionnaire panrusse » et de vouloir commettre un attentat contre Staline. Sa vie politique est pourtant au point mort, mais elle n’hésite pas à opposer toute sa force de caractère au procureur adjoint qui l’arrête. « Vous pouvez me tuer […] mais je mourrai debout », lui scande-t-elle. Internée à Orel, dans la partie occidentale de la Russie, elle est fusillée comme les 169 codétenus politiques de la prison sur ordre de Staline, le 11 septembre 1941. Debout assurément. 

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