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Les quatre sœurs s’adressent à des défenseurs des droits de l'homme depuis une cellule de rétention, au poste-frontière de Verkhnii Lars, entre la Russie et la Géorgie. ©Capture d'écran YouTube

Le cal­vaire de quatre sœurs russes rete­nues pen­dant onze heures à la fron­tière géorgienne

Les quatre jeunes femmes, qui tentaient de fuir la Russie où elles étaient victimes de violences domestiques, ont été retenues pendant onze heures à un poste-frontière fin octobre, rapporte Le Monde.

C’est une histoire glaçante que rapporte Le Monde ce 8 novembre. Celle de quatre sœurs russes retenues pendant onze heures au poste-frontière de Verkhnii Lars entre la Russie et la Géorgie. Aminat, Padimat, Khizrieva et Padimat fuyaient leur pays, non pas à cause de l’offensive militaire en Ukraine, mais parce qu’elles subissaient des violences domestiques systématiques dans leur famille.

Leurs visages sont apparus pour la première fois le soir du samedi 29 octobre alors qu'elles étaient retenues au poste-frontière depuis plusieurs heures déjà. Des chaînes Telegram puis des sites d’information indépendants russes diffusent une courte vidéo envoyée un peu plus tôt aux défenseurs des droits de l’homme. Dans celle-ci, les quatre sœurs1 originaires du Daghestan – une république russe fédérée à l'Est de la Géorgie - demandent chacune leur tour de ne pas être remise à leurs parents, car ces derniers pourraient les tuer. « Je suis Aminat Gazimagomedova, née en 1998. Je me trouve à la frontière avec la Géorgie et je demande qu’on ne me remette pas à mes proches, qui me recherchent pour me tuer », dit par exemple l’une d’elle.

Dépénalisation des violences domestiques 

Aux gardes-frontières russes, les quatre jeunes femmes, toutes majeures, insistent, elles feront l’objet d’un « crime d’honneur » si elles retournent chez elles. Dans les républiques musulmanes du Caucase du Nord comme celle du Daghestan, cette pratique est répandue, rappelle Le Monde, pour les femmes qui ont fauté ou celles qui ont « déshonoré » leur famille en fuyant.

D’autant qu’en Russie, la législation est faible à l’encontre des auteur·trices de violences familiales. Sous la pression de l’Église orthodoxe, une loi dépénalisant les violences commises dans le cercle familial a été votée en janvier 2017, pour éviter, selon les député·es, « la destruction de la famille ». Désormais, les violences contre les proches, si celles-ci sont commises pour la première fois et ne vont pas jusqu’à l’hospitalisation, ne sont plus considérées comme un délit. Les auteur·trices risquent une simple amende et « les autorités sont encore moins vigilantes que par le passé », souligne Le Monde.

Placement en cellule 

Cette faible législation explique pourquoi Aminat, Padimat, Khizrieva et Padimat ont subi des pressions des gardes-frontières pendant onze heures. Selon les informations du quotidien, les douaniers leur ont d’abord demandé, « de manière parfaitement irrégulière », si elles avaient l’autorisation de leur famille pour voyager. Puis, ils ont multiplié les prétextes pour les retenir utilisant comme motif des crédits impayés ou des accusations de vol. Prévoyantes, elles ont fourni des documents balayant ces allégations.

Les gardes-frontières avaient en réalité, d’après Le Monde, prévenu les parents des jeunes femmes. Six heures après leur arrivée à Verkhnii Lars, Aminat, Padimat, Khizrieva et Padimat sont alors placées en cellule. Pendant leur détention, des détails se dégagent sur leur parcours. Elles ont quitté leur village en juillet, restant d’abord cachées avant de tenter de fuir la Russie par la frontière voisine géorgienne. D’après les informations du Monde, leur projet de fuite remonte d'ailleurs à plusieurs années : « les filles ont seulement attendu que la plus jeune atteigne ses 18 ans, justement pour éviter des problèmes à la frontière. »

« Laver son honneur » 

Dans une vidéo envoyée aux défenseurs des droits de l'homme, les jeunes femmes disent être victimes de violences domestiques presque quotidiennement et être destinées à des mariages forcés avec des cousins. On apprend également dans Le Monde, qu’elles ont toutes, petites, subi une excision, une pratique traditionnelle toujours appliqué dans la communauté daghestanaise. De sa cellule, Aminat, la plus âgée, parvient à parler brièvement à un site d’information indépendant russe : « Nous avons été battues tous les jours. Ce ne sont pas des paroles en l’air, nous avons des photos et des enregistrements sonores qui le prouvent. Le meurtre d’honneur qui nous attend ne fait aucun doute non plus. Peut-être qu’avec le bruit que fait notre histoire maintenant ça n’arrivera pas tout de suite. Mais ils nous récupéreront, ils nous tueront, et personne ne le saura. Le père de Patimat et de Khadidjat leur a déjà dit qu’il devait “laver son honneur”. » Pour certifier ces paroles, Padimat envoie même à l’ONG Caucase du Nord-SOS des photographies d’elle, attestant des violences domestiques qu’elle subit au sein de son foyer par son père et son frère. Les trois autres filles font ensuite de même.

Moins d’une heure après leur placement en cellule, une des mères et un cousin arrivent au poste-frontière. Une avocate, Leysan Mannapova, présente sur place filme la scène : l’homme de la famille essaye de parler aux sœurs qui lui tournent le dos. Selon Le Monde, l’avocate s’interpose alors : « Arrêtez, arrêtez, arrêtez de leur parler ! Elles ne veulent pas vous voir, elles rédigent une déclaration sur des menaces de mort. » Selon les informations du journal, la police daghestanaise a ensuite menacé d’arrêter l’avocate, car elle aurait insulté des représentants de la police.

Mobilisation 

Après la diffusion des images, les organisations de défense des droits de l’homme, mobilisent l’opinion en diffusant massivement sur les réseaux sociaux les numéros de téléphone du poste-frontière. Des dizaines d’anonymes appellent alors pour demander des comptes sur le sort des jeunes femmes. Les standards sont rapidement saturés.

Onze heures après leur arrivée au poste de Verkhnii Lars, les douaniers russes autorisent finalement les quatre sœurs à franchir la frontière. Mais leur calvaire n’est pas pour autant terminé. De l’autre côté, en Géorgie, leurs parents les attendent. Aidées de nouveau par des défenseurs des droits de l’homme, les jeunes femmes ont pu être emmenées dans un lieu sûr. Mises à l’abri, elles ont ensuite publié une dernière vidéo, dans laquelle, selon Le Monde, elles multiplient les remerciements à l’adresse de « ceux qui ont refusé d’être indifférents » à leur sort.

  1. Il s’agit en réalité de deux sœurs et leurs cousines, mais l’appellation « frères » et « sœurs » est couramment utilisée en russe pour parler de cousin·es[]
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