Elles s’appellent Shanou, Souhaila, Bahar et Shahla. Victimes de multiples discriminations dans leur Iran natal, ces jeunes femmes kurdes ont rejoint clandestinement l’unité militaire du PDKI, à la frontière irakienne. Jour et nuit, elles s’entraînent au combat pour faire face à la menace persistante d’une attaque du régime de Téhéran. En attendant de retourner un jour sur leurs terres pour participer à une révolution démocratique.
Voilà déjà une heure que nous avons quitté Erbil, la capitale de la région auto- nome du Kurdistan d’Irak, et que nous filons vers l’est. Jusqu’ici, la route était encore carrossable, fondant à travers un relief escarpé ; nous approchons des contreforts des monts Zagros, qui marquent la frontière naturelle entre les régions kurdes d’Irak et d’Iran. Par ces cimes, chaque année, plusieurs centaines de Kurdes iranien·nes quittent leur terre natale au péril de leur vie, bravant les balles des impitoyables gardes-frontières de la République islamique.
En effet, si la main de fer du régime des mollahs qui sévit depuis 1979 n’épargne personne, les minorités ethniques et religieuses 1 font l’objet d’un traitement spécial. Ainsi, les quelque 8 millions de Kurdes qui y vivent, animés par des désirs démocratiques et autonomistes vieux d’un siècle, sont victimes d’un étouffement socio-économique, culturel et politique qui ne leur laisse que deux options : subir ou partir.
S’exiler pour s’engager
Nous nous trouvons, à vol d’oiseau, à une quarantaine de kilomètres de la frontière iranienne. Ici, dans un hameau aussi reculé que sécurisé, vivent plus d’une centaine d’exilé·es. Hostiles au régime islamique, ces hommes et ces femmes n’ont pas seulement décidé, comme tant d’autres, de fuir le pays, mais également de s’engager au sein du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI). Cette organisation politique et militaire, qui prône « la démocratie, la liberté, la justice sociale et l’égalité des sexes », est très populaire parmi les Kurdes iranien·nes. Interdite sur le sol de la République islamique d’Iran, elle a survécu presque miraculeusement à l’intense répression qui l’a visée sur ses terres en se reconstituant chez le voisin irakien, à partir des années 1980.

Difficile de savoir combien de camps le PDKI possède en Irak, l’information est tenue secrète. Mais depuis plusieurs années, cet exil vers l’Irak pour rejoindre les forces armées kurdes concerne un nombre croissant de jeunes, et particulièrement de jeunes femmes. Loin des leurs, et comme des centaines d’autres, elles viennent chercher une émancipa- tion qui leur était impossible en Iran : la résistance armée, comme espace de lutte et de mixité.
Un quotidien très rigoureux
Souhaila, 20 ans, et Bahar, 23 ans, pantalons beiges bouffant, tailles maintenues par une longue bande de tissu et kalachnikov en bandoulière, patrouillent dans le village. Quand on les questionne sur leur exil, leurs explications sont limpides : « En Iran, je me trouvais au croisement de trois discriminations : ethnique, en tant que Kurde, religieuse, en tant que sunnite, et de genre, en tant que femme. Vous ne pouvez pas imaginer combien cette situation était difficile à vivre au quotidien », explique Bahar. À ses côtés, Souhaila abonde. Ces jeunes femmes sont des peshmergas (littéralement « celles et ceux qui affrontent la mort »,en kurde), soit les combattantes des forces armées du PDKI 2. Une cause qui les a emmenées loin de chez elles, dans un lieu considéré comme « ciblemilitaire prioritaire » par Téhéran. Mais pour elles, qu’importe le danger : elles disent inscrire fièrement leur engagement dans la longue histoire de résistance du peuple kurde.

Face au risque, elles changent régulièrement de lieu d’affectation et parlent d’un quotidien très rigoureux, entre cours de politique, préparation physique et maniement des armes. La nuit tombée, les scènes d’entraînement sont parfois spectaculaires et dignes de forces spéciales. Les pneus enflammés, au travers des- quels elles doivent se faufiler, éclairent la nuit noire, tandis que les montagnes du Zagros renvoient l’écho des déflagrations d’armes à feu. À raison de deux fois par jour, les forces militaires du PDKI[…]