Juana Maria, l'autochtone oubliée du Pacifique

Juana Maria, dernière représentante des Nicoleños, est devenue une figure populaire aux États-Unis après avoir passé dix-huit ans, seule, sur l’île San Nicolas, au large de la Californie. Une vie pleine de mystères mais révélatrice des rapports entre colons et autochtones au XIXe siècle.

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Amérindienne présumée être Juana Maria. © Wikipédia

Son histoire ressemblerait presque à de la fiction. Elle a d’ailleurs inspiré un livre pour enfants, bien connu des Américains, L’Île des dauphins bleus, écrit par Scott O’Dell. Juana Maria – nom qui lui fut donné par les prêtres catholiques de la mission de Santa Barbara – aurait pu inspirer Daniel Defoe pour Robinson Crusoé. Tout commence sur ce bout de terre de 54 kilomètres carrés, le plus éloigné de l’archipel des Channel Islands (en Californie), donc peu accessible. Habitée depuis des siècles par les Nicoleños et densément peuplée, San Nicolas n’en est pas moins restée inconnue aux Européens avant sa découverte en 1602. Pendant des années, l’île intéresse peu les colons. Puis en 1811, un groupe de chasseurs russes va comprendre qu’elle recèle un véritable trésor : on y trouve des phoques et des loutres à foison, soit des milliers de peaux magnifiques à portée de main. Ils s’attaquent alors aux Nicoleños et en massacrent une partie. Quelques années plus tard, il ne reste qu’une centaine d’habitants sur l’île et la population de loutres a considérablement baissé. 

Arrive alors, en 1835, un groupe de prêtres franciscains de Santa Barbara ayant appris qu’il ne subsistait que peu de Nicoleños à San Nicolas. Les motifs de leur expédition sont troubles : envie de convertir de nouveaux fidèles ? Simple bonté ? Ou recherche de main-d’œuvre à bas coût ? Aucun écrit ne le précise. Toujours est-il que leur bateau, le Peor es Nada (Mieux que rien), accoste sur l’île dans l’objectif de ramener les autochtones sur le continent. Le capitaine, Charles Hubbard, ne semble pas avoir rencontré d’opposition de la part des habitants pour les embarquer. À bord du navire, alors que tous les Nicoleños encore vivants ont pris place, une femme se rend compte brusquement que son fils est resté sur l’île. Elle retourne à terre et la goélette quitte San Nicolas sans elle. À leur arrivée sur le continent, les exilés, du fait d’un système immunitaire inadapté, tombent malades un par un. Aucun ne survivra.

Entièrement seule ? 

À Santa Barbara, l’information selon laquelle une femme est restée sur l’île se diffuse rapidement. Plusieurs tentent de la trouver, en vain. Mais en 1853, George Nidever, chasseur de loutres renommé et fin connaisseur des Channel Islands, découvre enfin l’unique résidente, la dernière des Nicoleños, seule depuis dix-huit ans. « Elle était de taille moyenne, avait environ 50 ans, mais semblait encore forte et active. Son visage était agréable, car elle souriait continuellement… Son habillement ne consistait qu’en un seul vêtement de peaux », décrit le marin dans ses Mémoires. Impressionné, il raconte qu’au lieu de s’enfuir, elle « a souri et s’est inclinée, bavardant dans une langue inintelligible »

S’ensuit alors une visite de l’île, de son environnement et de sa maison en os de baleines. Il n’y a pas trace de son fils. Personne ne connaît le nom de cette femme, à qui on attribue un nouveau patronyme, Juana Maria. Pendant toutes ces années, l’ardente créature est parvenue à vivre sans problème, confectionnant ses vêtements à partir de plumes de cormorans et de peaux d’oiseaux, se nourrissant de phoques et de canards sauvages, fabriquant ses propres outils et chantant des chansons tout au long du jour. Même s’il est dit qu’elle a vécu ces années complètement seule, la chercheuse Susan Morris estime que des contrebandiers ou des pêcheurs d’ormeaux chinois ont pu la croiser lorsqu’ils se rendaient sur l’île. Un récit du Boston Atlas relate d’ailleurs qu’au cours d’une des visites de marins, en 1847, une femme aurait été trouvée, mais elle se serait échappée. L’histoire n’est toutefois pas vérifiable. 

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llustration de Juana Maria devant sa maison en os de baleines, issue de la série de livres The Westerner’s Brand Book, d’Arthur Woodward, 1957. © Capture écran independent.com
Un aller sans retour

Le capitaine Nidever est captivé. Dans son élan, il décide d’embarquer la survivante avec lui, direction Santa Barbara. Juana Maria emporte quelques objets, dont des aiguilles faites d’os et sa robe en plumes de cormorans, malheureusement perdues dans le grand tremblement de terre qui a dévasté la région en 1906. Malgré sa langue inconnue, elle s’exprime en mime et aurait raconté au capitaine que son fils « a été tué et mis en pièces par les chiens sauvages dont l’île est envahie ».

Arrivée en ville, Juana Maria réside à la mission de Santa Barbara. Seul un homme parlant un dialecte amérindien, le gabrieliño, parvient à communiquer avec elle. Elle devient l’« attraction locale ». On la surnomme « la femme sauvage » et les journaux s’amusent à raconter son acclimatation au continent, son intérêt pour les chevaux et le café. D’une nature joviale, Juana Maria chante régulièrement et danse, ce qui attise d’autant plus la curiosité des Américains. On lui réclame des chansons. 

Ces réjouissances aux tendances paternalistes cesseront rapidement. La dernière représentante des Nicoleños entame sa septième semaine sur le continent lorsqu’elle contracte la dysenterie. Comme ses congénères avant elle, elle souffre d’un système immunitaire inadapté. La maladie la terrasse, elle meurt le 19 octobre 1853. Les prêtres de la mission en profitent pour la baptiser sur son lit de mort, sans qu’elle l’ait demandé. 

Avec elle, toute l’histoire des Nicoleños s’éteint. Les mystères laissés à sa mort ont fait l’objet de multiples recherches. Un projet archéologique débuté par une équipe de chercheurs, qui a permis de retrouver l’emplacement de la maison de Juana Maria, a finalement été stoppé, car la tribu des Pechanga, dont un lien avec les Nicoleños a été découvert, a refusé qu’on poursuive les fouilles. « On essaie seulement de faire ce qui est bon pour nos ancêtres », a déclaré le chef de la tribu, Mark Macarro, au Los Angeles Times en 2015. La Navy a donc repris, en toute quiétude, ses activités militaires, laissant l’histoire des Nicoleños et de la « seule femme de l’île San Nicolas » à l’imagination de chacun·e. 

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