Jeanne II de Naples, la reine aux cent amants

Jeanne II, une reine mangeuse d’hommes dans le Naples du début du XVe siècle. C’est la légende conservée par l’Histoire. Elle reflète les difficultés à être une femme de pouvoir dans un monde d’hommes.

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Gravure sur acier, première moitié du XIXe siècle.
© Collection Archives d’Art et d’Histoire/AKG Images

Face au Vésuve, surplombant la baie de Naples, un palais Renaissance inachevé laisse planer ses mystères. À la nuit tombée, on entend dans ses parages des voix gémissantes. Les spectres de jeunes gens morts, il y a très longtemps… Le Palazzo Donn’Anna a été érigé au XVIIe siècle, mais les fantômes qui le hantent sont plus anciens. Avant, à l’emplacement de ce bâtiment beau et inquiétant, se dressait La Serena, résidence de la reine Jeanne II.

Sulfureuse légende

Voilà pour la légende de la reine Jeanne. La réalité historique est plus difficile à cerner. Au moment de monter sur le trône, à la mort de son frère Ladislas Ier, en 1414, Jeanne a 41 ans et a déjà beaucoup vécu. Un mariage sans enfants avec Guillaume de Habsbourg, dont elle est veuve depuis huit ans déjà. Et une vie de plaisirs, vraisemblablement à l’origine de sa sulfureuse légende. « Elle avait jusqu’alors vécu au milieu des divertissements et des amusements de la Cour, des fêtes, des tournois, des chasses, des banquets et des amours diverses », résume Francesca Santucci, dans le chapitre qu’elle consacre à la souveraine dans son ouvrage Virgo Virago*.

Le royaume de Jeanne est étendu. Elle est reine de Naples, de Jérusalem, de Hongrie, de Dalmatie, de Croatie, de Serbie, de Galicie, de Bulgarie, et comtesse de Provence et du Piémont. Elle doit faire face, dans ses nouvelles fonctions, à une situation tendue. Nombreux sont ceux qui lorgnent sa couronne. Les barons de la ville voient d’un mauvais œil l’influence de son amant du moment, Pandolfello Piscopo, dit Alopo, qu’elle a nommé grand sénéchal du royaume, l’une des plus hautes charges administratives.

Les notables napolitains, les princes européens et le pape s’accordent sur le fait que Jeanne ne peut rester sans mari. Le choix de la reine se porte sur Jacques II de Bourbon, comte de La Marche (notre Limousin actuel). L’homme est bien né, mais ambitieux et violent. Le mariage à peine consommé, il veut s’emparer de la couronne de sa reine d’épouse. Et, pour parvenir à ses fins, la fait enfermer à Castel Nuovo, la forteresse du port de Naples, après avoir fait trancher la gorge de Pandolfello.

La captivité de Jeanne ne dure pas. Jacques perd ses nobles soutiens. Le peuple napolitain ne supporte plus que sa souveraine soit emprisonnée et assiège le Castel Nuevo pour la libérer. Jacques fuit en France, pour finir sa vie dans un monastère franciscain.

Les péripéties ne sont toutefois pas terminées pour la reine Jeanne. Débarrassée de son époux, elle choisit un nouvel amant, dans une des grandes familles de la ville. « Maître de son cœur et de son gouvernement », selon les mots de Francesca Santucci, Giovanni Caracciolo devient à son tour grand sénéchal et prend de plus en plus part aux affaires du royaume. Aux frontières, la pression ne faiblit pas. La reine n’a pas d’héritier ; la dynastie angevine de Naples est en train de s’éteindre. Dans cette atmosphère de fin de règne et de conspirations, Caracciolo va connaître une fin violente. Craignant qu’il ne cherche à accaparer son trône, Jeanne ordonne son arrestation. Mais ses ennemis outrepassent ses ordres et massacrent Caracciolo à la hache.

Jeanne ne laisse toutefois pas la mort effacer le souvenir de sa relation passionnelle avec lui. Il repose dans une chapelle à son nom, dans l’une des principales églises gothiques du centre historique de la ville, San Giovanni a Carbonara. Une chapelle vraisemblablement commandée par la reine. Pour y accéder, il faut passer sous le gigantesque monument funéraire consacré à Ladislas Ier, prédécesseur de Jeanne sur le trône de Naples. « Une option très signifiante sur le plan symbolique », souligne Joana Barreto, maîtresse de conférences en histoire de l’art moderne à l’université Lumière-Lyon-II et spécialiste de Naples aux temps modernes.

Détachée des convenances

Ce choix architectural apparaît comme l’allégorie de cette reine détachée des convenances et des obligations liées à son rang. Jeanne était-elle cette mante religieuse dont l’Histoire a gardé le souvenir ? « Devenue reine alors qu’elle était libérée des contraintes de la reproduction, elle remettait en cause, par son activité sexuelle libre, l’édifice politique et social de la monarchie. Les rois et les reines ne sont pas censés avoir de corps privé ou intime. Leurs corps incarnent l’État », rappelle Joana Barreto. La longue liste de ses amants révèle aussi une nécessité de protection, alors que les femmes n’étaient autorisées à régner qu’en l’absence d’héritier mâle. Pour Francesca Santucci, la vraie Jeanne est surtout « la victime de son milieu, des hommes avides et rusés qui la côtoyaient et des événements tumultueux de son royaume ».

* Virgo Virago : Donne fra mito e storia, letteratura e arte, dell’antichità e Beatrice Cenci, de Francesca Santucci. Éd. Akkuaria, 2008. Non traduit.

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