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© Julie Déléant

Italie : la colère monte à Palerme après le viol en réunion d’une jeune fille et les décla­ra­tions du conjoint de Georgia Meloni

Le 7 juillet der­nier, une jeune fille de 19 ans a été vio­lée par sept hommes sur le front de mer de Palerme, en Sicile. Jour après jour, à mesure que les détails de l’affaire sortent, la colère monte au sein de la socié­té civile qui bat désor­mais le pavé. La réac­tion d'Andrea Giambruno à cette affaire, le conjoint de la Première ministre Georgia Meloni, qui a décla­ré lun­di soir que si une femme s’abstenait d’être ivre, elle évi­tait de cou­rir le risque d’un viol ne va pas man­quer d'attiser la colère. Reportage.

« Si l’on n’est pas en état d’ivresse, ça évite de se jeter dans la gueule du loup. » La phrase a été pro­non­cée en direct lun­di à la télé­vi­sion Rete 4 (du groupe Mediaset) par le jour­na­liste Andrea Giambruno, le com­pa­gnon de la Première ministre, Giorgia Meloni. « Si on va dan­ser, on a tout à fait le droit d’être ivre, il ne doit pas y avoir de mal­en­ten­du de quelque nature que ce soit. Mais si l’on évite de se rendre ivre et de perdre la rai­son, peut-​être que l’on évite aus­si d’encourir cer­tains pro­blèmes, parce qu’ensuite, on tombe dans la gueule du loup. »

L'affaire à laquelle il fait allu­sion fait grand bruit en Italie depuis des semaines. Les faits ont eu lieu le 7 juillet der­nier, dans le gris de la tôle d’un chan­tier aban­don­né sur le front de mer de Palerme, quelque part entre les voi­liers de la Cala, les pal­miers et les portes de la ville. Au beau milieu de la nuit, une jeune fille de 19 ans a été vio­len­tée et vio­lée par sept gar­çons, âgés de 18 (17 au moment des faits, ndlr) à 22 ans. L’un d’entre eux était son ex-​petit ami. Quelques heures plus tôt, elle avait croi­sé le groupe dans le quar­tier popu­laire de la Vucciria, une place située en plein cœur du centre his­to­rique de la ville, appré­ciée tant par les jeunes Palermitains que les tou­ristes pour ses nuits fes­tives et bon mar­ché. En confiance, elle avait pas­sé une par­tie de la soi­rée avec eux et accep­té de boire quelques verres en leur com­pa­gnie. Elle igno­rait alors que la nuit va virer au cauchemar.

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© Julie Déléant

Comme le rap­porte le Giornale di Sicilia, trois des auteurs, arrê­tés fin juillet, ont été incar­cé­rés le 3 août. Mais il faut attendre la seconde salve d’arrestations, le 17 août, pour que la nou­velle se répande dans la presse ita­lienne, pro­vo­quant effroi et indi­gna­tion. Le par­cours du groupe a été fil­mé par les vidéo­sur­veillances, le viol, par ses auteurs pré­su­més. En plein été, Palerme bas­cule dans l’horreur. En réac­tion, l’antenne locale du mou­ve­ment Non una di meno (Pas une de moins, ndlr) orga­nise ce jour-​là une marche noc­turne dans les rues de Palerme. Il est encore tôt, aux alen­tours de 22 heures, lorsque le cor­tège, com­po­sé d’une cin­quan­taine de per­sonnes, atteint la Vucciria, point de départ du pre­mier acte de la nuit du 7 juillet. Le groupe de musique qui se pro­duit ce soir-​là au Ciwara, un bar qui célèbre les cultures afri­caines, décide de mar­quer une pause, inter­rom­pu par les slo­gans. « On est par­ties ensemble, on ren­tre­ra ensemble : pas une de moins, pas une de moins ! », s’écrient le mili­tants, pos­tés der­rière une ban­de­role sur laquelle est écrit, en sici­lien : « Ti ris­si no » (Je t’avais dit non, ndlr). Surpris, quelques tou­ristes dégainent aus­si­tôt leurs télé­phones por­tables. Le temps d’accrocher les ban­de­roles, puis le concert reprend. Il en fau­dra plus, ce soir-​là, pour per­tur­ber le rythme de la Vucciria.

Mais à mesure que les détails sor­dides liés à l’affaire du « viol de Palerme » viennent noir­cir les pages de la presse, par­fois à rai­son de plu­sieurs articles par jour, l’indignation monte au sein de la socié­té civile. Comment une jeune-​fille de 19 ans, sor­tie s’amuser entre ami·es, s’est-elle retrou­vée prise au piège par ce groupe de sept hommes, déter­mi­nés à la faire boire pour ensuite en abu­ser ? Pourquoi, ain­si qu’elle le dénonce, per­sonne, tout au long de leur par­cours jusqu’au front de mer, n’a répon­du à ses appels à l’aide, alors qu’elle se sen­tait mena­cée ? Comment a‑t-​elle pu tra­ver­ser tant de quar­tiers tou­ris­tiques, sans que jamais l’attitude de ses assaillants, ne pré­oc­cupe les passants ?

Le lun­di sui­vant, une ving­taine de per­sonnes se réunit spon­ta­né­ment devant le tri­bu­nal, où une par­tie des cou­pables pré­su­més est en train d’être audi­tion­née par les juges. Au méga­phone, une mili­tante ful­mine. « Le vrai pro­blème, c’est que l’on fait par­tie d’un sys­tème qui ne recon­naît pas la vraie nature des vio­lences que l’on subit tous les jours. Se faire regar­der mal ou juger sur ses vête­ments, c’est déjà une vio­lence. Avoir peur de mar­cher dans la rue ou de ren­trer chez soi, c’est une vio­lence », s’emporte-t-elle au bord des larmes. « Nous aus­si on a le droit d’exister dans ces quar­tiers, et d’y faire ce qu’on a putain d’envie ! »

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© Julie Déléant

Mercredi 23 août, c’est cette fois-​ci une assem­blée citoyenne qui se tient à ciel ouvert, sur une place aux abords de la cathé­drale. À la grande sur­prise des orga­ni­sa­teurs, plu­sieurs cen­taines de per­sonnes ont fait le dépla­ce­ment. Une majo­ri­té de femmes jeunes, mais aus­si des plus âgées, des hommes et sur­tout, « des gens éloi­gnés des cir­cuits mili­tants », se réjouit Roberta Ferruggia, porte-​parole du col­lec­tif Non Una Di Meno Palermo. « Une assem­blée du bas, qui pro­pose des solu­tions concrètes », décrit l’une des membres au micro. Très rapi­de­ment, le trai­te­ment média­tique de l’affaire est poin­té du doigt. « À insis­ter sur le nombre de shots qu’elle a bu ou pré­ci­ser qu’elle a dis­cu­té avec des incon­nus, on entre dans une logique sour­noise du "Si c’est arri­vé, c’est que". C’est culpa­bi­li­ser et cri­mi­na­li­ser, de manière mora­li­sa­trice, les choix des femmes de vivre libre­ment leur vie », développe-​t-​elle, repro­chant aux jour­na­listes en ques­tion de « contri­buer à la dif­fu­sion de la culture du viol ». Alors que le jour com­mence à tom­ber, les pro­po­si­tions s'enchaînent : faudrait-​il péren­ni­ser les assem­blées ? Porter des signes visibles afin d’être iden­ti­fié faci­le­ment par les femmes qui se sentent en dan­ger ? Collectivement, l’assemblée décide de pour­suivre le mou­ve­ment en orga­ni­sant une deuxième marche nocturne.

Des chan­ge­ments structurels

L’enquête se pour­suit, et avec elle, la dimen­sion lugubre de l’affaire. De nou­velles
décla­ra­tions de l’un des auteurs laissent entendre que la vidéo du viol aurait été envoyée à une tierce per­sonne. Sur le réseau social Telegram, plus de 2 000 voyeur·ses, selon le Corriere, se seraient aus­si­tôt lan­cées dans une sor­dide « chasse à la vidéo ». Il fau­dra attendre le 25 août pour un début de réponse ins­ti­tu­tion­nelle. La Commission pour l'ordre public et la sécu­ri­té, convo­quée par la pré­fète Maria Teresa Cucinotta et com­po­sée du maire, Roberto Lagalla, du com­mis­saire Leopoldo Laricchia et des diri­geants des forces de l'ordre se réunit enfin. Tout en recon­nais­sant que « le tra­vail est avant tout cultu­rel », elle annonce un ren­for­ce­ment des dis­po­si­tifs de sécu­ri­té et de la régle­men­ta­tion de la vie noc­turne. De quoi faire bon­dir le col­lec­tif Non Una Di Meno, qui insiste sur la néces­si­té d’opérer des chan­ge­ments struc­tu­rels. « Nous refu­sons que ce drame soit exploi­té pour mili­ta­ri­ser encore davan­tage la ville, dénonce Roberta. Il ne s’agit pas d’un cas iso­lé mais mal­heu­reu­se­ment d’un phé­no­mène cultu­rel, pro­fon­dé­ment ancré dans la socié­té. Donc ce qui serait vrai­ment utile, c’est un plan pour com­battre les vio­lences de genre, des cam­pagnes de pré­ven­tion au niveau ins­ti­tu­tion­nel ou de l'éducation, ce que nous fai­sons tous les jours de l'année, dans les écoles et les universités. »

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1024© Julie Déléant

Samedi 26 août, ce ne sont plus des dizaines, mais des cen­taines de per­sonnes qui défilent dans les rues de Palerme jusqu’à la piaz­za Sant’Anna, autre lieu de ras­sem­ble­ment fes­tif du centre his­to­rique. Lorsque le cor­tège s’immobilise, entre deux prises de paroles, la foule agite des trous­seaux de clés vers le ciel. De mémoire de Palermitaine, Rossella, 26 ans, ne se sou­vient pas avoir sou­vent vu pareille foule mani­fes­ter dans les rues de sa ville. « Autant de monde, c’est quand même rare », observe-​t-​elle, émue. Eléonore, doc­to­rante fran­çaise ins­tal­lée depuis trois ans à Palerme, par­tage son avis : « Pour moi, c’est la pre­mière fois. Et ça fait du bien ». Au centre de la place, quelques mili­tants ins­tallent une sono, qui crache rapi­de­ment les notes de « Girls just wan­na have fun ». À quelques cen­taines de mètres de là, la Vucciria fait grise mine. Les gérants des bars, d’ordinaire débor­dés, font le guet devant leurs éta­blis­se­ments. L’arsenal poli­cier déployé dans la ville semble avoir dis­sua­dé les ven­deurs en rou­lotte à venir y vendre leur alcool bon mar­ché, pous­sant la jeu­nesse locale à déser­ter les lieux et se replier sur la piaz­za Magione, près du front de mer : à Palerme, les zones grises sont aus­si nom­breuses que les églises.

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