20200901 123208
© C.B.

Les femmes de chambre de l’hôtel Ibis conti­nuent leur combat

Elles ont suspendu leur mouvement de grève pendant le confinement. Mais elles n’ont pas arrêté le combat. C’est le message que les vingt femmes de chambre et gouvernantes grévistes de l’hôtel Ibis Batignolles, à Paris, ont voulu envoyer au groupe Accor et à son sous-traitant, STN, mardi 1er septembre. Depuis quatorze mois, elles dénoncent leurs conditions de travail et réclament leur embauche directe par le groupe Accor.

« Nous avons eu le confinement pour nous reposer. Nous revenons continuer la lutte, lance Rachel Keke, dans le mégaphone, devant les journalistes et le public venu soutenir cette action. Nous sommes là pour faire du bruit et rappeler au groupe Accor que nous ne lâcherons rien quant à nos revendications salariales et l’amélioration de nos conditions de travail. » Alors que ce 1er septembre, des milliers d’élèves retrouvent les bancs de l’école, cette date marque aussi la rentrée dans les hôtels du groupe Accor, fermés à cause de la crise sanitaire, et qui rouvrent leurs portes progressivement. Les femmes de chambre et gouvernantes de l’hôtel Ibis, employées par la société sous-traitante d’Accor, STN, ont sauté sur l’occasion. En grève depuis le 17 juillet 2019, elles ont choisi la date de la réouverture de l’hôtel pour leur premier rassemblement de la rentrée. 

Après plus de treize mois de grève, le mouvement ne s’essouffle pas. La fatigue de ne pas être entendues est bien présente, mais les grévistes et leurs soutiens reviennent plus déterminé·es que jamais. « Crise ou pas crise, on se battra jusqu’au bout pour sortir de cette surexploitation des travailleurs précaires », appuie Claude Lévy, animateur syndical à la CGT HPE (Hôtels de prestige et économiques) qui accompagne les grévistes depuis le début du mouvement.

20200901 130103
De gauche à droite : Rachel Keke, gouvernante, Kimissa Esper Sylvie,
femme de chambre, et Claude Lévy, animateur syndical CGT. © C. B.

Les vingt femmes de chambre et gouvernantes, toutes d’origine étrangère, dénoncent pêle-mêle la cadence de travail, le non-paiement des heures supplémentaires, le temps partiel imposé et la clause de mobilité qui permet à leur employeur direct, la STN, de les muter sur d’autres sites. Le manque de reconnaissance s’ajoute à cette longue liste de griefs. « Nous parlons d’ailleurs de femmes de chambre et non de femmes de ménage, précise Tiziri Kandi, animatrice syndicale CGT, à Causette. En effet, leur travail ne s’arrête pas au ménage. Elles remplissent davantage de tâches pour remettre une chambre en l’état. » Il ne s’agit donc pas d’une précision linguistique mais d’un réel enjeu de reconnaissance d’un métier qualifié qui mérite un salaire correspondant. 

Les principales revendications restent donc l’internalisation – c’est-à-dire l’embauche directe des salariées par Ibis –, la transformation à temps complet des postes à temps partiel et des CDD en CDI, l’arrêt des mutations des salariées partiellement inaptes et des mutations non justifiées de manière générale, le versement d’une indemnité de repas et, enfin, la révision de la grille de classification afin d’obtenir de meilleures rémunérations. 

Aucune indemnité repas

Les désormais célèbres grévistes sont employées par la société de sous-traitance STN pour intervenir en tant que femmes de chambre ou gouvernantes (ces dernières encadrent les premières), à l’hôtel Ibis Batignolles. Rachel Keke travaille dans cet Ibis depuis dix-sept ans, dont quinze en tant que femme de chambre à temps partiel. Aujourd’hui gouvernante en CDI à temps plein, celle qui est devenue l’un des visages de ce combat, gagne 1300 euros nets. Contrairement aux salarié·es directement embauché·es par Ibis, Rachel et ses collègues ne bénéficient d’aucun avantage : pas d’indemnité de repas ni de primes, des salaires moins élevés et elles ont encore moins droit à l’intéressement ou à la participation, deux systèmes d’épargne salariale appréciés par les travailleur·euses. 

Cette première action de la rentrée est une démonstration de force pour réclamer un dialogue. Devant l’hôtel Ibis Batignolles, situé rue Bernard-Buffet, dans le 17e arrondissement, à Paris, une cinquantaine de personnes sont au rendez-vous aux alentours de midi : les grévistes bien sûr, des journalistes, des syndicalistes et autres soutiens, attroupé·es devant l’immeuble, qui fait face à… une agence Pôle Emploi. Des drapeaux de la CGT ainsi que ceux de Sud Rail-Solidaires flottent dans les airs. Du reggae jaillit d’une enceinte posée à même le sol. Ces paroles de Bob Marley retentissent : « Don’t worry about a thing, ’cause little thing gonna be all right. » (« Ne t’inquiète de rien, car tout ira bien »). Heureuses de se retrouver sur ce site qui symbolise leur lutte, les grévistes, assises sur un banc ou debout, s’accueillent par des gestes et des acclamations de joie.

Mutations forcées

Tout commence en 2019, lorsque treize salariées ont été reconnues par la médecine du travail comme « partiellement inaptes », car elles souffraient de troubles musculosquelettiques (TMS) et de maux de dos liés à leur métier très physique. STN devait alors améliorer les conditions de travail des personnes concernées en revoyant la cadence de trois chambres et demie à préparer par heure et en tenant compte de leur état de santé. « L’entreprise a plutôt décidé de les muter sur un autre site, indique Tiziri Kandi. Les salariées ont vu cette mutation comme une première étape avant les licenciements. » De là est parti leur mouvement de grève. 

Lire aussi : Pénibilité au travail, ces femmes qui prennent cher dans leur chair 

Au début de la grève, Accor, en tant que donneur d’ordre, a exprimé son refus d’assumer ses responsabilités, arguant qu’il n’employait pas directement les salariées. Le sous-traitant STN, lui, réclamait plus d’argent afin de régler le conflit. Une situation classique dans la sous-traitance, où les deux entités se renvoient la balle, rappelle la syndicaliste Tiziri Kandi. STN a fini par proposer une indemnité de repas ridicule  : 2 euros par prime de panier et une canette. Refus catégorique du côté des salariées. En février, au tour du groupe Accor de tenter un dialogue. Un rendez-vous a été fixé. Malheureusement, ce premier pas a été stoppé net par le confinement. 

Les salariées, elles aussi, ont dû suspendre leur mouvement. Parce qu’elles ont interrompu la grève, leur employeur a été obligé de les inclure dans son plan de chômage partiel. Elles ont donc été payées du début du confinement jusqu’à aujourd’hui. Elles vivent également, depuis plus d’un an an, grâce à la caisse de grève. Leur cagnotte en ligne Le Pot solidaire jouit d’ailleurs d’une forte popularité née des solidarités créées avec les secteurs en lutte contre la réforme des retraites, les associations féministes, les mouvements antiracistes, etc. 

« Permettre à ces femmes d’obtenir gain de cause, c’est prendre le risque de créer un précédent, explique . Accor mise donc sur leur ras-le-bol»

L’hiver dernier, alors que le thermomètre affichait des températures négatives, les grévistes n’ont pas déserté. Les pieds gelés, elles ont tenu debout, malgré la pression du groupe Accor. L’hôtelier semble avoir une définition particulière du dialogue social : il a dépêché un huissier de justice pour surveiller le piquet de grève tous les jours pendant deux mois et constater le moindre faux pas des grévistes pour s’en servir dans des procédures judiciaires. Après le rapport de l’huissier sur le niveau sonore des animations, le groupe a porté plainte pour nuisance sonore et demandé que les grévistes soient délogées. « Permettre à ces femmes d’obtenir gain de cause, c’est prendre le risque de créer un précédent, explique Tiziri Kandi. Accor mise donc sur leur ras-le-bol» Mais c’est mal connaître la combativité de ces femmes. 

20200901 121934
Rachel Keke, gouvernante, et Tiziri Kandi, animatrice syndicale CGT. © C. B.

Rachel Keke, la gouvernante de 46 ans, encadre le travail des femmes de chambre. Elle prend le bus de 5 h 15 à Chevilly-Larue (Val-de-Marne) pour embaucher à 6 h 30. « Je prépare les plannings avant que les femmes de chambre n’arrivent… Ensuite, je peux contrôler jusqu’à 150 chambres par jour. Ma journée se termine vers 16 heures. » L’hôtel Ibis Batignolles est l’un des plus grands d’Europe, avec 688 chambres. Titulaire d’un CAP cuisine, Rachel Keke s’est tournée vers l’hôtellerie afin de concilier ses horaires de travail avec l’éducation de ses cinq enfants. Aujourd’hui révoltée par les conditions de travail, elle évoque également l’usure du métier, elle qui a été arrêtée quatre mois pour des problèmes au dos, puis quatre autres pour tendinite. « Le métier nous rend malades et nous abîme. Et STN cherche à nous licencier. » Mais désormais, les salariées refusent l’humiliation. « Oui, c’est de l’esclavage moderne ! s’indigne la gréviste. Ils nous exploitent parce que nous sommes des femmes noires. La plupart d’entre nous ne savent pas lire et ne connaissent pas leurs droits… » 

La lutte de ces femmes de chambre contre des grands groupes, c’est un peu comme le combat de David contre Goliath. Mais l’issue reste encore à écrire. La CGT-HPE, qui représente les salariées, avait assigné Accor et son sous-traitant STN devant le conseil de prud’hommes, mais elle a été déboutée le 24 juillet. Le syndicat compte faire appel. En attendant, les grévistes de l’Ibis Batignolles fêteront dignement leur quatorzième mois d’action lors de la journée nationale de grève et de manifestation interprofessionnelle du 17 septembre, initiée par sept organisations, dont la CGT. 

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.