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© capture d'écran Crush

On a tes­té “Crush”, l’appli de ren­contres pour ados problématique

Potentiel repère pour pédocriminels, l’application Crush, initialement à destination des 10-21 ans, a réduit hier sa tranche d’âge aux 13-18 ans face aux nombreuses critiques. Elle n’en demeure pas moins toujours problématique. La preuve, notre journaliste, qui a pourtant deux fois l’âge minimum, a pu s’inscrire dessus en quelques clics.

Jusqu’à hier, elle s’appelait “Crush, découvre qui crush sur toi”. Aujourd’hui prudemment rebaptisée “Crush, sondages entre amis”, l’appli n’en est pas moins toujours problématique tant elle constitue un danger pour ses jeunes utilisateur·rices et un repère pour les pédocriminels. Concrètement, le concept de l’appli est de permettre aux jeunes collégien·nes et lycéen·nes de trouver leur crush, c’est-à-dire, dans la langue des ados, la personne qui les aime en secret, dans leur établissement scolaire. Pour cela, il faut juste répondre à des sondages anonymes sur ses camarades de classe.

Si l’application de rencontres pour ados, créée il y a six mois par Marc Allain, a fait parler d’elle ce week-end, c’est parce que l’influenceuse Ophenya a vanté ses mérites lors d’un live sur la plateforme TikTok. La jeune femme, qui se définit dans sa bio comme une “Cupidon 3.0” est une pointure sur TikTok. Elle est suivie par cinq millions d’abonné·es dont une grande majorité d’adolescent·es. Pour Ophenya, le concept de l’appli est absolument génial. “Tout est positif, il n’y a pas de négativité”, a-t-elle lancé à sa communauté dans une vidéo de promotion qui ne mentionnait pas au départ l’inscription “collaboration commerciale”. Laissez-nous en douter…

Initialement l’application était donc à destination des 10-21 ans. Un choix de cette tranche d’âge d’autant plus troublant et inquiétant qu’il nous rappelle celui de Rencontre Ados, site gratuit pour les jeunes de 13 à 25 ans, accusé cet été d’héberger des pédocriminels. Devant la levée de boucliers d’internautes s’alarmant sur l’infiltration de potentiels pédocriminels ce week-end, le fondateur de Crush a finalement modifié la tranche d’âge. Depuis hier, et à la suite de nombreuses indignations, l’application est désormais réservée aux 13-18 ans. Un leurre en réalité puisqu’aucune vérification d’âge n’est demandée lors de l’inscription. Résultat, Causette a pu s’inscrire sur l’application en quelques clics et en toute tranquillité.

Lola V., 13 ans

Après avoir entré une adresse mail, nous rentrons un pseudo, “lola v.” et un âge, 13 ans. Nous indiquons ensuite notre classe, sixième. Nous devons ensuite accepter d’indiquer notre géolocalisation. C’est ce qui permet à l’application de sélectionner les lycées et collèges qui se trouvent dans notre secteur, en l’occurrence ici, le nord-ouest de Paris. S’affiche alors une longue liste d’établissements scolaires, pour lesquels est mentionné à chaque fois le nombre d’utilisateur·rices de l’application. Cinq pour le collège Pierre de Ronsard. Trente et un pour le lycée Janson de Sailly. Cinq pour le lycée Léonard de Vinci et sept pour le collège Jules Romains. Au vu des chiffres, nous choisissons d’être élèves au lycée Janson de Sailly. L’application ne trouve visiblement pas incohérent d’avoir déclaré être au collège et d’avoir sélectionné un lycée.

Continuons l’exploration. Pour accéder aux sondages, il faut ensuite ajouter au moins 4 dollars. Une liste d’utilisateur·rice nous est une nouvelle fois présentée. En quelques minutes, Lola V. a déjà vingt-cinq ami·es. Nous pouvons ensuite répondre à dix sondages du genre “si tu étais une fusée, cette personne serait ton carburant” ou encore “celui qu’on admire en secret”. Parmi les quatre réponses possibles, les pseudos de nos ami·es.

Abonnement payant

Autre écueil : l’application nous propose rapidement de payer pour avoir accès à des options supplémentaires. Par exemple, nous avons reçu une “flamme” nous indiquant qu’une personne nous admire en secret. Mais pour découvrir son identité, ou encore pouvoir recevoir ou envoyer des compliments, ou répondre à d’autres sondages sans attendre une heure entre chaque salve, nous devons payer un abonnement de 3,99 euros par semaine. Un abonnement tentant pour des adolescent·es mais surtout dangereux puisqu’il “se renouvelle automatiquement jusqu’à ce qu’on l’annule dans les réglages du Store”, indique l’application. Petite exception, pour pouvoir répondre à d’autres sondages sans attendre, l’application nous propose de remporter des “défis”. C’est-à-dire partager Crush sur nos réseaux sociaux ou mettre cinq étoiles dans le magasin d’application. Une technique marketing douteuse qui explique pourquoi l’application a obtenu la note très satisfaisante de 4,3 sur 5 malgré la polémique qui ne cesse d’enfler.

Sur les réseaux sociaux, en particulier X (ex-Twitter), les internautes sont en effet nombreux·euses à alerter sur cette application depuis la publication de la vidéo d’Ophenya. Une pétition citoyenne a d’ailleurs été lancée le 6 novembre sur le site Change.org pour bannir l’application des magasins d’applications. “Elle présente un danger pour les jeunes populations et s’illustre comme une porte d’entrée privilégiée aux pédocriminels […] Cette application est un danger pour les enfants mineurs qui n’ont pas conscience des risques d’Internet et qui pourraient être confrontés à de mauvaises personnes”, indique la pétition lancée par un citoyen, Esteban Miller. Elle a récolté à ce jour plus de 6 000 signatures. L’application alarme aussi les associations de protection de l’enfance. “À 10 ans, on parle d’enfants qui sont en CM2, pas d’adolescents. Ils ont plein de choses à apprendre avant de flirter ou d’être en relation. Ce genre d’application met dans la tête des enfants que la sexualité doit faire partie de leurs préoccupations”, s’est inquiété Samuel Comblez, directeur des opérations au sein de l’association E-enfance, auprès du Parisien.

Lire aussi I Rencontre Ados.net : un repère de pédos… parmi tant d'autres ?

Des critiques légitimes qui n’ont pas fait broncher pour autant le fondateur de Crush, Marc Allain, qui s’est défendu dans les colonnes de 20 Minutes. Sur l’infiltration de potentiels pédocriminels, il assure que “même au pire des cas si Michel, 45 ans, arrive sur l’application, le pire qu’il puisse faire c’est de répondre à des sondages anonymes sur des gens qu’il ne connaît pas uniquement avec leur prénom”. Et, selon le fondateur, nous nous serions tous et toutes complètement trompé·es en jugeant l’application dangereuse pour les enfants. “Je n’ai jamais pensé l’application comme une application de rencontre, mais comme une application de lutte contre le harcèlement scolaire. L’objectif était de permettre aux adolescents d’envoyer des compliments à leurs amis ou aux personnes plus isolées dans leurs classes. Mais il fallait rendre l’application plus sexy pour que les élèves aient envie de s’y rendre”, justifie le développeur, qui précise avoir lui-même été victime de harcèlement durant l’adolescence. Mouais, dans la lutte contre le harcèlement scolaire, on aura quand même vu mieux que de voter pour lequel de tes copain·ines tu écrirais une chanson. Surtout, si Marc Allain réfute catégoriquement l’objectif “séduction” de son appli, il a tout de même procédé à quelques modifications hier. Outre la tranche d’âge qui a été rétrécie, l’émoticône flamme et le smiley “coquin” ont depuis été supprimés.

Les polémiques entourant le site Rencontres Ados ou l’application Crush rappellent surtout la difficulté de protéger efficacement les enfants sur Internet et les réseaux sociaux. Pour rappel, après les accusations portées à l’encontre du site Rencontres Ados, la secrétaire d’État en charge de l’Enfance, Charlotte Caubel, avait rappelé la nécessité de réglementer ces sites : “Depuis l’été 2022, nous avons une loi qui impose aux sites d’obtenir l’autorisation des parents pour que les moins de 15 ans puissent s’inscrire sur ces sites. Nous sommes engagés pour que le décret d’application de cette loi sorte très vite.” En attendant la publication du décret de loi, les avis élogieux ne cessent d’affluer sur l’App Store d’Apple. “Je trouve cette application vraiment incroyable, c’est hyper pratique, vraiment je l’aime déjà trop et j’ai hâte de découvrir qui m’aime en secret sans que je le sache”, exulte Lily73637474. “J’aimerais pouvoir ajouter des personnes en dehors de mon collège pour faire de nouvelles connaissances”, déclare Clémence09. “Je conseille si vous voulez vous mettre en couple avec votre crush”, incite quant à elle, Chiara. Glaçant.

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