Burn-​out : regarde les femmes tomber

La prévalence de l’épuisement professionnel est deux fois plus importante chez les salariées que chez les salariés. Et quand elles s’effondrent, leurs symptômes sont de plus en plus graves. Pourtant, mis à part quelques associations, le sujet est peu étudié et peu pris en compte.

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© Séverine Assous pour Causette

« J'ai été harcelée sexuellement par mon patron. Sa femme me faisait payer son attirance pour moi, elle a ligué tous mes collègues contre ma personne. On me reprochait aussi de ne pas faire le service du soir », se remémore Blanche, 35 ans, maman solo de deux enfants, qui travaillait dans un restaurant. Amélie Moy, 42 ans, kinésithérapeute à Bordeaux, raconte : « J’enchaînais les patients toutes les vingt minutes. Entre les confinements et les couvre-feux, ma vie était réduite à sa fonction productive, sans plus aucune soupape. Je passais mon temps à m’occuper des autres, au travail et à la maison. » Élodie De Oliveira, 41 ans, cadre, subit, elle, un management toxique de la part de sa supérieure hiérarchique de l’époque.

Et puis un jour, ces femmes se sont effondrées. « J’étais à bout », « j’ai pété un plomb », « j’ai atteint mes limites », « j’avais l’impression de mourir de l’intérieur, sans pouvoir stopper le processus », disent-elles rétrospectivement. Le mot que ces femmes ne voulaient pas entendre – pour qui s’arrêter de travailler était inenvisageable – est lâché : burn-out. La déflagration est brutale. Pourtant, des signes avant-coureurs s’étaient manifestés : troubles du sommeil, grande fatigue, douleurs, irritabilité, maux de tête, crises d’angoisse, idées noires…

En France, près de 3 millions de salarié·es présentent un risque de burn-out. Un chiffre probablement sous-évalué, selon la Haute Autorité de santé. Et, selon Santé publique France, la prévalence est deux fois plus importante chez les femmes ! Rien à voir avec une prédisposition génétique ou biologique. Si elles sont surreprésentées dans les cas de burn-out, c’est qu’elles « sont plus exposées aux inégalités professionnelles et intrafamiliales », explique Anne-Sophie Vives, cofondatrice et directrice de l’association L’Burn. Harcèlement sexuel, sexisme, culture des horaires à rallonge, inégalités de salaires, soupçon d’incompétence, temps partiels, horaires atypiques, métiers mal reconnus et mal rémunérés… La liste est longue. À quoi s’ajoute pour les femmes une autre journée de travail, invisible et non rémunérée celle-ci, faite de tâches domestiques et parentales. Le télétravail et l’hyperconnexion, qui rendent encore plus poreuses les sphères professionnelles et personnelles, n’arrangent rien. Charge mentale, plus charge émotionnelle, plus charge professionnelle : le voilà le cocktail explosif du burn-out. « Ce qu’on demande aux femmes est tout simplement trop », insiste Amélie Moy.

Pathologies cardiaques

Non seulement elles sont plus exposées, mais en plus « le tableau clinique du burn-out des femmes est de plus en plus grave », alerte Marie Pezé, responsable du réseau des consultations Souffrance et travail, qu’elle a lancées en 1997. « Ces épuisements vont provoquer des effondrements absolument dramatiques avec des
pathologies cardiaques, des infarctus, des atteintes cognitives irréversibles… »,
alerte-t-elle. Selon l’OMS, ce syndrome lié à un stress chronique au travail concerne uniquement le contexte professionnel, pas les éléments de la vie personnelle, par exemple les tâches domestiques, l’aide apportée à un·e proche handicapé·e ou en perte d’autonomie.

Lire aussi l Femmes au bord de la crise cardiaque

Au contraire, pour l’association L’Burn, ces facteurs participent sans aucun doute possible à l’épuisement des femmes. Ils pourraient également expliquer la spécificité des symptômes chez elles, la violence de leur effondrement et, pourquoi pas, permettre la mise en place de prises en charge spécifiques. Mais pour l’heure, faute de travaux de recherche, on ne sait pas encore grand-chose sur les caractéristiques genrées de ce syndrome. « On observe néanmoins une prévalence de l’épuisement émotionnel chez les femmes », souligne la cofondatrice de L’Burn.

L’organisation du travail en question

Le sujet est encore tabou dans le monde professionnel, et cette surreprésentation des femmes largement méconnue. Outre son activité d’accompagnement des victimes, L’Burn intervient dans les organisations et les entreprises pour sensibiliser sur le burn-out en tant qu’enjeu d’égalité entre les femmes et les hommes. Mais Marie Pezé insiste, la seule solution pour combattre ce fléau est de « remettre en cause l’organisation du travail ». Gaëlle Maillard, membre du collectif Femmes et mixité de l’Ugict-CGT, abonde : « Nous revendiquons la revalorisation des métiers féminins, la lutte contre le culte du présentéisme, une réelle application du droit à la déconnexion, des congés paternité et maternité plus égaux, la lutte contre le sexisme et les violences sexuelles », énumère-t-elle de façon non exhaustive.

En attendant, Élodie, Blanche et Amélie se reconstruisent doucement avec L’Burn. Et tentent de voir cet effondrement comme le début d’un renouveau. « On dit souvent que le burn-out est un cadeau, s’amuse Amélie Moy. Je me débats encore avec le paquet. »


Sœurs de peine

L’association L’Burn est née en 2019, avec un premier lieu d’accueil à Bordeaux. Des spécialistes du droit, un neuropsychologue et des psychologues du travail accompagnent les femmes dans leurs démarches et leur retour à l’emploi. L’Burn repose sur la pair-aidance et la sororité. « Entre femmes victimes, on a toutes le même vécu, on peut parler en toute confiance, librement, notamment de la maternité, de nos enfants. On ne se sent pas jugées », explique Blanche, victime de burn-out. En 2023, l’association prévoit de se développer avec la création
de communautés virtuelles régionales et l’ouverture de cinq maisons en France.

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