Plantouflard·es du sexe et fièr.es de l'être !

Libertinage, donjons, BDSM et combi en latex. à en croire les séries, podcasts et articles de presse, la terre entière serait en soirée échangiste le samedi ou aurait déjà tenté le bondage japonais. De quoi coller des complexes à la majorité silencieuse, qui s’encanaille rarement et toujours dans son lit, mais le vit pourtant bien.Halte aux diktats de la sexualité libérée, qui ne libèrent personne !

Le « sexe vanille », ça vous chauffe ? Non, il ne sera pas question de s’étaler du yaourt sur les parties intimes, ni de s’alanguir nu·e dans des zones humides et tropicales. Le « vanilla sex », comme on dit chez les anglophones, c’est la pratique un peu banale, un peu routinière, le petit coup familier qui fait plaisir, mais qui ne paie pas de mine. L’éloge du quotidien, du familier, de la simplicité. Le Herta de l’orgasme. Visiblement, ses pratiquant·es seraient en voie de disparition. Les récits dominants qui saturent l’espace public ne laissent plus aucune place à la normalité. 

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©Besse

Séries, films ou livres, articles et podcasts : le cul est libéré, débridé, survolté. C’est Eyes Wide Shut 24 h/24, 7 j/7. Même les ministres publient des romans dans lesquels il est question de sextape (coucou Marlène Schiappa). Les branché·es BDSM, les échappé·es des backrooms, les adeptes de la strangulation narrent leurs exploits par le menu. Grand bien leur fasse, évidemment. Mais les autres ? Les pépères, les satisfait·es de la piste bleue, où se cachent-ils·elles ? Youhou, y a quelqu’un qui veut bien dire que se taper un·e seul·e partenaire dans un lit douillet, c’est quand même super ? 

Depuis quelques années, la vanille n’a plus la cote. « L’avènement des blogs consacrés au sexe, début 2000, a mis en avant l’idée que la vie sexuelle effrénée était la condition sine qua non de l’épanouissement, rappelle la réalisatrice Ovidie. Le tout avec un jargon emprunté au marketing, comme la nécessité de “booster sa libido” ou la maintenir toujours “au top”. » En gros, si à 30 ans, t’as pas fait une partouze, t’as raté ta vie sexuelle. 

Subversive normalité

Sophie, 45 ans dont dix-huit de vie commune avec le même homme, a longtemps cru qu’elle avait foiré la sienne. Biberonnée aux histoires de coïts SM lues dans la presse féminine, elle s’était mis en tête que ses rapports avec son mari étaient trop sages, trop rares, pas assez sauvages. « J’ai mis des années à me tranquilliser par rapport à ce sujet, confie-t-elle. Avec l’âge et en devenant péri-ménopausée, j’ai compris qu’il fallait juste que je fasse ce qui fonctionnait pour moi sans trop me poser de questions. Je ne suis peut-être pas la reine des trucs coquins, mais le plaisir que j’éprouve dans le confort du connu, le sexe bien établi et sans folie me plaisent beaucoup. » 

Aujourd’hui, elle tient ses angoisses à distance et ne ressent pas la moindre frustration. Au contraire. Elle l’assure et l’assume : « L’habitude est un terrain plus fertile à mon bonheur physique que l’inconnu ou la nouveauté. » Une position bien plus subversive – et bien moins minoritaire – qu’il n’y paraît. Revendiquer publiquement son envie de baiser tranquillou relève presque du tabou. « Être bien sexuellement, quand on a un rapport sexuel une fois par mois en missionnaire avec la même personne, est jugé inconcevable, commente Fiona Schmidt, autrice, entre autres, du livre L’Amour après #MeToo 1. L’épanouissement sexuel est hyper normé, on est censé cumuler quantité et diversité des expériences dans une perspective ascendante : toujours plus égale toujours mieux. » Dans son ouvrage, la journaliste parle même « d’injonction à la créativité sexuelle ». « Nous vivons dans une société de plus en plus compétitive où la règle générale, c’est l’exceptionnel, poursuit-elle. La “bonne” vie sexuelle, celle qu’on fantasme et qui s’expose partout ressemble un peu aux selfies soi-disant “spontanés” qui sont en fait ultra posés : il y a quelque chose de complètement fake qui répond à un stimulus social dont on n’a pas (toujours) conscience. » De la même manière qu’on pense que tout le monde a la peau lisse et le teint frais si on regarde trop Instagram, on risque de croire que les plans à trois et le BDSM sont la nouvelle norme. « Il y aurait presque une forme de renversement, analyse la psychologue clinicienne et psychanalyste Clara Duchet. Les fantasmes, poussés sur le devant de la scène publique, ne seraient plus si interdits. La “norme”, elle, serait devenue marginale. »

Aimer n’est pas (que) baiser

Un bref coup d’œil aux statistiques permet de vite redescendre sur terre. Selon les chiffres de l’étude Ifop sur la sexualité des Françaises2 publiée en septembre, cette fameuse moyenne de deux rapports par semaine, souvent mise en avant dans des sondages plus ou moins sérieux ou des articles, n’existe que pour 17 % des femmes interrogées. 41 % déclarent que dans les quatre dernières semaines, elles n’ont eu AUCUN rapport sexuel. Ça calme, hein ? Non seulement tout le monde n’est pas en club échangiste, mais tout le monde ne fait pas l’amour.

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©Besse

« Il y a une légende qui a la vie dure, estime Ovidie. C’est l’idée selon laquelle un couple qui ne baise pas est un couple qui ne s’aime pas. Je pense que c’est faux, car il est tout à fait possible de préférer regarder des séries avec son ou sa partenaire plutôt que de faire l’amour. Et ça ne veut pas dire que le couple va mal. On inquiète les gens pour rien. » Un stress ressenti par Lucie, 28 ans. « Avant, je pensais que pour qu’un couple marche, il devait baiser, confie la jeune femme. J’ai voulu expérimenter plein de choses avec mon ex. Ça l’a braqué. Et c’est ce qui nous a cassés. Je nous jugeais, je nous trouvais plan-plan. Il y avait une forme de fuite en avant, dans cette volonté perpétuelle de nous dépasser. »

Vive la zone de confort

Chiara vit en ce moment une sexualité aux tonalités vanillées qui lui apporte satisfaction et sérénité. En se moquant de ce que font les autres. « C’est un peu pénible cette injonction à devoir toujours repousser ses limites, à sortir de sa zone de confort, dénonce la trentenaire installée à Berlin. On n’a pas tous le même rapport à ça. Pour certains, c’est une bonne chose de se titiller. Pour d’autres non. » Agnès a 35 ans, deux enfants et quelques partenaires sexuels à son actif. Aujourd’hui célibataire, elle n’éprouve pas le besoin de « s’éclater ou de se libérer », comme lui conseillent certaines copines. « L’une d’elles pratique le libertinage, raconte la jeune femme. Je suis ravie que ça lui plaise, mais je ne me projette absolument pas là-dedans. Je ne me vois pas comme une personne prude, mais je sais que je n’y trouverai pas mon compte. Et je ne voudrais surtout pas que ça me soit imposé par quelqu’un. » 

Clara Duchet entend de plus en plus souvent le discours de patient·es qui se sentent obligé·es de jouir à tout-va et de toutes les manières possibles. « Il y a une volonté de se conformer à un discours sociétal et médiatique. Je les sens assignés à une demande externe qui les incite à aller vers des pratiques qui ne semblent pas émaner d’eux, ni relever de leur propre désir, s’inquiète-t-elle. Je me demande si cette soit-disant libéralisation des pratiques sexuelles ne créera pas de nouvelles formes de névroses et, notamment, celle de ne plus pouvoir être soi. »

Charge sexuelle

Renée Greusard, journaliste spécialisée dans les récits intimes, se fait aussi du souci pour celles et ceux qui voudraient « cocher des cases » en matière de sexualité. Surtout si c’est pour se conformer aux désirs présumés de son ou sa partenaire. Car une autre légende, à laquelle il faut tordre le cou de toute urgence, fait pas mal de dégâts : les hommes auraient plus de libido. « Les femmes (et les hommes) ont intégré l’idée que le sexe était un besoin chez les hommes, et uniquement chez eux, soupire Fiona Schmidt. Et bien sûr, il faudrait y répondre pour leur bien et aussi dans notre intérêt à nous, pour qu’ils n’aillent pas satisfaire leurs besoins irrépressibles ailleurs. » Et pour éviter cela, certain·es se mettent en tête qu’elles doivent se réinventer et émoustiller leur partenaire. Bien évidemment, il revient (presque) toujours à la femme d’œuvrer pour le bien-être physique du couple. « Cette pression sexuelle – qui n’est pas sans lien avec une vision fortement capitaliste de la sexualité –, à devenir testeur·es, créateur·trices, et à sortir des sentiers battus pour pimenter, innover et surprendre l’autre vient alimenter la charge sexuelle », rappellent Clémentine Gallot et Caroline Michel dans leur ouvrage sur le sujet 3

Les mecs aussi

Dans le couple formé par Sophie et son compagnon, celle-ci était d’ailleurs la seule à s’inquiéter et à mettre le sujet sur la table. « Bon, il est anglais, donc il n’aime pas trop parler de ces sujets, plaisante-t-elle. J’ai parfois eu du mal à lui faire comprendre mes craintes. Il me disait toujours qu’il était très au clair avec notre sexualité tranquille. » Attention, truc de dingue : tous les mecs ne rêvent donc pas d’être les rois du gang bang. Mais ils ont du mal à le dire. Clément, 24 ans, unique homme hétérosexuel ayant accepté de témoigner dans Causette (lire page 48), avoue que ça ne lui a même « jamais traversé l’esprit ». Les câlins, les caresses, le ­missionnaire, ça lui va très bien. 

« Cette exigence de performance virile est très inhibante pour les hommes, qui auraient tout intérêt, eux aussi, à ce que la sexualité soit décentrée de cette notion d’exploit et de prouesse », assure Renée Greusard. Dans son cabinet, la sexologue Claire Alquier entend parfois quelques voix masculines refuser cette indexation automatique de la virilité sur la sexualité. Mais elles sont encore très rares. « La question du désir masculin en berne reste taboue », souligne-t-elle. Allez les gars, encore un petit effort pour oser dire que vous kiffez la vanille ! 

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