Lactation induite : allai­ter sans procréer

Donner le sein à un enfant que l’on n’a pas porté peut surprendre. Pourtant, des femmes adoptantes ou qui ont eu recours à la PMA utilisent ce protocole permettant de produire du lait sans avoir été enceinte. Une pratique peu courante et méconnue en France, mais qui s’inscrit dans une évolution de la maternité.

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©Marie Boiseau pour Causette

Quand elle a manifesté son souhait d’allaiter, Lina, maman adoptante de 32 ans, a dû faire face à l’incompréhension et aux réprobations de son entourage. « C’est malsain », « bizarre », « pas naturel », lui a-t-on notamment reproché. Dans la tête de beaucoup de mères adoptantes, ne pas porter un enfant dans son ventre sous-entend aussi renoncer à le nourrir au sein. Mais, non, Lina ne pouvait s’y résigner ! « J’ai toujours voulu allaiter mes enfants. Quand j’ai su que j’étais stérile, j’ai perdu de vue la possibilité de porter un bébé et je me suis dit que je ne pourrai pas les nourrir au sein », confie-t-elle. 

Jusqu’au jour où elle entend parler du protocole de lactation induite mis en place par le pédiatre canadien Jack Newman, spécialiste de l’allaitement maternel. L’objectif : simuler un état de grossesse en imitant l’impact hormonal de la gestation et de l’accouchement grâce à l’utilisation de divers médicaments (contraception orale œstroprogestative, dompéridone), d’herbes (fenugrec, chardon béni), ainsi qu’au moyen d’une stimulation mammaire régulière. Lina se lance alors dans l’aventure lactée. C’est une réussite pour la maman qui parvient à produire du lait pour ses deux premiers enfants adoptés. Et elle ne compte pas s’arrêter là. Elle a démarré en janvier 2020 un troisième protocole de lactation induite en vue d’adopter un troisième enfant, qu’elle compte également sustenter de son précieux or blanc. 

Véronique Darmangeat, consultante en lactation certifiée IBCLC 1, l’affirme : toutes les femmes peuvent mener avec succès cet allaitement singulier. Néanmoins, cette pratique contraignante requiert un investissement important et de la disponibilité (le protocole doit débuter au moins six mois avant l’arrivée de l’enfant). Pour des résultats incertains. « On ne sait pas quelle sera la quantité de lait obtenue tout comme on ne sait pas si le bébé acceptera de prendre le sein », précise-t-elle. 

La tétée, un travail d’équipe 

Si la lactation induite est relativement connue chez les femmes adoptantes, on ignore souvent qu’elle peut concerner les mères dites « sociales » des couples homoparentaux féminins. La visibilisation des familles homoparentales a amené les sages-femmes, consultant·es en lactation et professionnel·les de santé à rencontrer de plus en plus de couples de femmes désireux de se lancer dans la parentalité. Et si l’une souhaite porter l’enfant, il arrive que la seconde mère désire assumer le rôle nourricier. 

Preuve que le sujet commence à émerger, début ­décembre 2020, la marque de vêtements plutôt classique Petit Bateau a mis en lumière cette pratique peu connue de la lactation induite en postant sur ses réseaux sociaux une photo d’un couple lesbien et de ses enfants pour la présentation de sa nouvelle collection. En légende, on pouvait lire ceci : « Avec Pauline et Sarah, on a appris qu’il n’était pas nécessaire de porter son bébé et le mettre au monde pour l’allaiter. Nos yeux se sont mouillés, et on s’est dit que c’était ça aussi, la magie de l’amour. » 

Comme Pauline et Sarah, qui ont prêté leur image à la marque, d’autres mères lesbiennes ont exprimé le désir d’allaitement sans qu’il y ait eu de grossesse préalable. C’est le cas de Mona, qui a pu allaiter neuf mois son enfant porté par sa compagne, Katrin. « Je ne savais pas au départ que c’était possible d’allaiter sans avoir été enceinte. J’avais même honte d’y penser », témoigne-t-elle. Après s’être expatriées en Allemagne pour mener à bien leur projet de PMA, les deux femmes ont consulté une spécialiste de la lactation induite. Pendant la grossesse de Katrin, Mona a suivi un protocole strict à base de dompéridone, avec un planning de tirages très régulier. Quand Isaïe est né, « nous avons pu nous partager l’allaitement et c’était très fluide ». Une expérience bénéfique qui a permis aux deux femmes de se relayer pour donner le sein et ainsi de mieux appréhender les semaines qui ont suivi l’accouchement. « Ma femme était très faible, je pouvais assurer une bonne partie de la nuit, elle pouvait se reposer et on a construit notre lactation comme ça, à deux. » Qui a dit que l’allaitement devait être exclusif ? 

Néanmoins, cette démarche – loin d’être anodine – demande un suivi médical approprié pour surveiller l’apparition éventuelle d’effets secondaires. En effet, si la dompéridone permet l’augmentation de la libération de la prolactine, ce n’est pas son indication première puisque ce médicament est prescrit pour soulager nausées et vomissements. Cet usage parallèle n’est donc officiellement pas autorisé en France en raison de potentiels effets secondaires indésirables au niveau cardiaque. « Le protocole d’induction de lactation faisant appel à la dompéridone ne peut certainement pas être qualifié de dangereux. Mais on ne peut pas dire qu’il soit totalement dénué de risque non plus, estime Clémence Boulkeroua, médecin généraliste. Pour préserver les patientes de toute prise de risque, chaque prescription de dompéridone doit être réfléchie. Et il est préférable que, en l’absence de connaissances spécifiques, le prescripteur s’abstienne et passe la main », ajoute-t-elle. 

Des informations pas assez inclusives

En France, nombreux·ses sont les professionnel·les de la périnatalité qui ignorent tout simplement l’existence de la lactation induite. Certain·es, parfois, sont même informé·es grâce aux mamans. En 2017, Lise Dauvignac, alors étudiante en troisième année d’école de sages-femmes, s’est sentie désarmée. Dans le cadre d’un stage, elle s’est rendue, accompagnée d’une sage-femme libérale, chez un couple de lesbiennes, jeunes mamans d’une petite fille. Elles souhaitaient, dans leur projet d’allaitement, que la mère qui n’avait pas été enceinte nourrisse leur bébé au sein. Une situation inédite à laquelle l’étudiante n’avait jamais été confrontée. « Pendant mon cursus, la question de la lactation induite n’a jamais été abordée. » C’est d’ailleurs à partir de ce cas clinique qu’elle donnera naissance à son mémoire 2 de fin d’études sur le sujet. 

Cette méconnaissance des différentes pratiques de mise au sein est regrettable, selon Lise Dauvignac : « Elle est très révélatrice du modèle hétéronormatif qui règne dans toute la société et notamment en médecine. Il n’existe qu’une vision des choses où seul le parent qui accouche allaite, au risque de sembler déviant si l’on souhaite que cela se passe autrement », déplore-t-elle. D’où la nécessité de véhiculer une information pertinente et inclusive sur la lactation induite et plus largement sur les différentes pratiques de mise au sein. « Il faut que les gens sachent que la lactation induite existe et qu’on est là pour les accompagner et les soutenir, explique la consultante Véronique Darmangeat. Il ne s’agit pas de faire la promotion de l’allaitement, mais il faut que chaque modèle familial puisse faire ce qui lui convient le mieux de façon éclairée », rappelle-t-elle.

1. IBCLC : International Board Certified Lactation Consultant.
2. « La lactation induite chez les mères sociales des couples homoparentaux féminins, 2017 »

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