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© Charles Deluvio

Certificats de vir­gi­ni­té : conti­nuer à les déli­vrer pour pro­té­ger les femmes

Dans le cadre du pro­jet de loi contre le sépa­ra­tisme, les cer­ti­fi­cats de vir­gi­ni­té sont dans le viseur du gou­ver­ne­ment, qui sou­haite les faire inter­dire et péna­li­ser les professionnel·les de san­té les déli­vrant. Quand la vie d’une femme tient à sa vir­gi­ni­té, la conscience prime-​t-​elle sur la loi ? 

« Dans la République […], on ne peut pas exi­ger des cer­ti­fi­cats de vir­gi­ni­té pour se marier. » Le 18 février der­nier, Emmanuel Macron alors en dépla­ce­ment à Mulhouse (Haut-​Rhin), annon­çait la cou­leur en indi­quant son sou­hait de mettre fin aux cer­ti­fi­cats de vir­gi­ni­té dans un dis­cours consa­cré au « sépa­ra­tisme reli­gieux ». Dans le cadre du pro­jet de loi contre les sépa­ra­tismes pré­sen­té cet automne, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et sa ministre délé­guée à la Citoyenneté, Marlène Schiappa s’attellent donc à la tâche : « Ils seront inter­dits et nous enga­ge­rons des pour­suites pénales grâce à cette loi, a pré­ci­sé Marlène Schiappa au micro de RTL le 7 sep­tembre. C’est une atteinte grave à la citoyen­ne­té et à la digni­té des femmes. »

Le cer­ti­fi­cat de vir­gi­ni­té est un docu­ment déli­vré par un·e méde­cin ou sage-​femme pour prou­ver la pseudo-​intégrité de l’hymen. Précieux sésame pour accé­der au mariage dans cer­taines com­mu­nau­tés, il per­met de ras­su­rer les familles sur la « qua­li­té » de la future épouse. Le phé­no­mène est dif­fi­cile à quan­ti­fier car non recon­nu comme un acte médi­cal à part entière. Ghada Hatem, gyné­co­logue et fon­da­trice de La Maison des femmes à Saint-​Denis (Seine-​Saint-​Denis), indique en déli­vrer un à deux par an. Soit peu, contrai­re­ment aux répa­ra­tions de l’hymen, qu’elle pra­tique une à deux fois par mois. 

Lire aus­si : répa­ra­tion de l'hymen, se refaire une virginité 

Avant même la pré­sen­ta­tion en conseil des ministres, le pro­jet gou­ver­ne­men­tal d’interdiction et de péna­li­sa­tion des cer­ti­fi­cats de vir­gi­ni­té inquiète déjà certain·es professionnel·les de san­té. Causette a don­né la parole à Ghada Hatem, gyné­co­logue et fon­da­trice de la Maison des femmes à Saint-​Denis, et Isabelle Derrendinger, secré­taire géné­rale du Conseil de l’ordre des sages-​femmes et direc­trice de l’école de sages-​femmes de Nantes.

Isabelle Derrendinger

secré­taire géné­rale du conseil de l’ordre des sages-​femmes et direc­trice de l’école de sages-​femmes de Nantes

« C’est un pro­jet de loi poli­tique, mais qui n’est pas fon­dé sur la pra­tique médi­cale. On va trai­ter d’un phé­no­mène rare, qui va encore une fois à l’encontre des droits des femmes. Dans la réa­li­té, aus­si bien du côté des méde­cins que des sages-​femmes, il est impos­sible de quan­ti­fier le nombre de cer­ti­fi­cats puisqu’ils n’ont pas de légi­ti­mi­té en tant que telle et ne font pas l’objet d’une cota­tion d’acte spé­ci­fique.
Par ailleurs, je ne veux pas du tout en faire un fait musul­man, car le cer­ti­fi­cat de vir­gi­ni­té peut concer­ner toutes les reli­gions. Il faut donc repar­tir sur le concept his­to­rique de vir­gi­ni­té, qui reste l'absence de rela­tion sexuelle, qui serait démon­trée par l’intégrité de l’hymen. Or l’hymen, cette mem­brane qui sépare la vulve du vagin, est dif­fé­rent chez toutes les femmes, intègre ou déchi­ré. Et sur­tout, il n’a qu’une fonc­tion pro­tec­trice de la cavi­té vagi­nale, un peu comme les poils dans le nez. Cette vision de la vir­gi­ni­té revient aus­si à réduire la rela­tion sexuelle à une péné­tra­tion vagi­nale. Sachant qu’on peut avoir une péné­tra­tion vagi­nale sans rela­tion sexuelle, lorsqu’on uti­lise par exemple des tam­pons ou des cups. Les patientes ne sont pas pré­oc­cu­pées par l’intégrité de leur hymen, elles s'en moquent comme nous toutes.
Ce sont les parents, la belle-​famille, le futur époux qui réclament le cer­ti­fi­cat. Ce sont ces per­sonnes qu’il faut sanc­tion­ner. Pénaliser le pra­ti­cien, c’est prendre le pro­blème à l’envers. Le pro­fes­sion­nel, lui, est confron­té à une déon­to­lo­gie com­plexe : certes, le cer­ti­fi­cat de vir­gi­ni­té n’a aucun inté­rêt médi­cal, pour autant, s’il n’est pas déli­vré, la patiente peut se retrou­ver en dan­ger.
Le ministre de l’Intérieur se trompe, il ne va rien chan­ger en péna­li­sant les pro­fes­sion­nels qui sauvent par­fois la vie de ces femmes. Il va sim­ple­ment dépla­cer le pro­blème, car les patientes iront trou­ver d’autres “garants de l’intégrité hymé­nale”. Il vau­drait mieux édu­quer, plu­tôt que de sanc­tion­ner. Éduquer la popu­la­tion et les très jeunes à la vie affec­tive et sexuelle. Par exemple, en plus du cli­to­ris, expli­quons ce qu’est l’hymen afin de décons­truire le fan­tasme de la virginité. »

Ghada Hatem

gyné­co­logue et fon­da­trice de La Maison des femmes à Saint-Denis


« Interdire les cer­ti­fi­cats de vir­gi­ni­té et péna­li­ser les méde­cins qui en délivrent n’a pas de sens et ne pro­tège per­sonne. Encore moins les femmes que je reçois une à deux fois par an pour cette demande. Le plus sou­vent, ce sont des jeunes femmes magh­ré­bines dont le cer­ti­fi­cat per­met­tra de ras­su­rer le futur mari qui attend des garan­ties sur la qua­li­té de sa future épouse. Il y a aus­si de très jeunes filles mineures issues de la com­mu­nau­té rom, qui viennent, ter­ro­ri­sées, avec leurs parents. Dans ce cas, c’est un non caté­go­rique, car j’ai bien conscience que ce n’est pas une demande de la jeune fille. Je reçois éga­le­ment des femmes de 30–35 ans qui ont eu une vie « nor­male » avant et qui sou­haitent désor­mais faire un mariage reli­gieux où leur vir­gi­ni­té relève du Graal.
Chaque his­toire est sin­gu­lière, et je prends le temps d’écouter et de com­prendre chaque situa­tion. C’est d’ailleurs sou­vent le seul moment où elles entendent par­ler de sexua­li­té et où, sur­tout, elles peuvent par­ler libre­ment de la leur. Je ne les exa­mine jamais, ça m’est égal qu’elles soient vierges ou non. Ce qui m’intéresse, c’est com­ment je peux les aider à avoir la paix. En effet, cer­taines patientes viennent ter­ro­ri­sées à l’idée de ne pas pou­voir prou­ver qu’elles sont vierges, qu’elles risquent de se faire tuer par leur père. D’autres me racontent que leur père tue­ra leur mère parce qu’elle n’a pas su « tenir » sa fille.
En fonc­tion des risques et de leur capa­ci­té à s’opposer à leur famille, je décide ou non d’établir un cer­ti­fi­cat. D'ailleurs les patientes m'expliquent qu'elles "ne sont pas toutes des révo­lu­tion­naires prêtes à en découdre avec le sys­tème patriar­cal et les tra­di­tions fami­liales", alors lorsque la vie d’une femme est en dan­ger, je délivre un cer­ti­fi­cat. 
On me dit qu’avec cette pra­tique j’aide les oppres­seurs, mais je pense plu­tôt que j’aide les femmes à trom­per leurs oppres­seurs. D’ailleurs, le véri­table pro­blème n’est pas de faire ou de ne pas faire un cer­ti­fi­cat, mais pour­quoi les familles veulent que les femmes soient vierges. 
Je fais par­tie des gens qui pensent qu'il est par­fois utile de désobéir. »

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