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Endométriose : un shoot de tes­to pour lut­ter contre les douleurs ?

Hors du circuit médical, une poignée de femmes atteintes d'endométriose s’injectent tous les mois de la testostérone pour lutter contre leurs douleurs. Si cette hormone a des pouvoirs antalgiques connus de certains médecins, elle n’est pourtant proposée dans aucun protocole de prise en charge de la maladie.

« Depuis que je prends de la testo, je vis ma meilleure vie », lance Fanny Godebarge, 33 ans. Si Fanny s’injecte de la testo­stérone depuis presque un an, ce n’est pas parce qu’elle veut « transitionner ». Ce sont ses douleurs d’endométriose, diagnostiquée il y a deux ans après des années d’errance thérapeutique et de traitements qui ne la soulageaient pas, qui la poussent à prendre des hormones « masculines ». « Depuis mes 11 ans, j’avais mal pendant mes règles. Mal à avoir envie de me foutre en l’air. Depuis mars 2019, je prends de la testostérone une fois par mois. Dès la deuxième prise, mes douleurs de règles ont quasiment disparu. » Présidente de Cyclique, une plateforme queer inclusive sur la santé gynécologique, Fanny évolue dans les cercles militants féministes où cette information commence à se diffuser. « J’ai beaucoup d’amis trans qui m’ont dit qu’avec la testo, au bout d’un moment, les règles ne venaient plus. Et qu’avant cela, la douleur disparaissait. J’ai voulu essayer. Franchement, je n’avais plus rien à perdre. » 

Fanny retrouve tous les mois quelques ami·es pour faire les injections, à la suite de sa rencontre avec Juliet Drouar, 33 ans, personne trans et militante féministe. Leur accès à la testostérone relève de la débrouillardise la plus totale. Pas question ici de suivi médical ou d’ordonnance. Mais de prise de « fins d’ampoules » de leurs copains trans qui partagent leurs doses. Fanny a connu Juliet en lisant son article sur l’intérêt des pilules de testostérone microdosées pour les femmes, notamment contre l’endo­métriose. Juliet a aussi souffert de douleurs de règles aiguës et extrêmement invalidantes. « On ne m’a jamais diagnostiqué d’endométriose, explique Juliet. Mais j’avais des règles tellement douloureuses que j’avais beau me bourrer de comprimés, j’avais du mal à travailler et à me déplacer. » 

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Cobayes sans suivi médical 

Juliet commence les injections de testostérone il y a deux ans, pour des raisons à la fois physiques et politiques : sans vouloir faire son « passing » d’homme, iel ne souhaite plus être identifiable comme femme. « J’ai tout de suite vu qu’à la dose à laquelle je la prenais, c’était très peu virilisant. Mais j’ai aussi vu que, dès la première prise, je n’avais plus de douleurs de règles. Le sang était plus fluide sans ces plaques d’endomètre qui se détachent. » Les effets de l’hormone sur la santé et le bien-être deviennent pour iel un sujet en tant que tel. « Je me suis dit qu’il y avait un énorme potentiel pour les personnes qui souffrent d’endométriose. » Iel détermine seul·e les doses à s’administrer, un peu à tâtons. « J’ai été mon propre cobaye, rapporte Juliet Drouar. J’ai commencé par un quart d’ampoule avant d’augmenter la dose pour modifier mon apparence. » Fanny s’est, elle, d’abord essayée à un tiers d’ampoule, avant de redescendre à un quart. « Les effets antalgiques étaient aussi bons et je me suis dit que je serais plus susceptible d’éviter les effets secondaires. Je n’en ai d’ailleurs jamais eu. Et je me suis dit que ça en ferait plus pour les autres, note-t-elle. C’est très difficile pour nous de nous procurer de la testo. Au niveau des médecins, les choses sont complètement verrouillées. »

En effet, aucun protocole thérapeutique de l’endométriose ne prévoit d’administration de testostérone aux femmes. Elle a pourtant des effets antalgiques. « Les femmes produisent naturellement de la testostérone, mais à des doses très inférieures à celles sécrétées par les hommes. C’est pourquoi, quand elles souffrent, elles peuvent ressentir plus fortement la douleur », explique Serge Marchand, chercheur en neurosciences à l’université de Sherbrooke (Canada), qui s’est intéressé au rôle des hormones sexuelles dans la modulation du message douloureux. « Nous avons montré chez l’animal que la testostérone avait la faculté d’atténuer la douleur avant même qu’elle ne fasse son action dans le système nerveux central. Chez les femmes, des petites doses de testostérone ont été testées sur les douleurs de fibromyalgie. Sur un petit nombre de femmes, certes, mais avec un certain succès. » 

Le docteur Éric Sauvanet, chef de service de chirurgie gynécologique à l’hôpital Saint-Joseph (Paris), est lui aussi loin d’être surpris du retour d’expérience de Juliet, Fanny et leurs copines. « Je ne peux pas me prononcer sur la manière dont ces femmes utilisent ce produit, admet-il. Mais les effets antidouleurs des androgènes, c’est-à-dire les médicaments qui reproduisent les effets des hormones masculines, c’est quelque chose que l’on connaît depuis longtemps. Le danazol, un médicament à action androgénique qui bloque la sécrétion d’œstrogènes et de progestérone, continue à être prescrit pour l’endométriose. » Mais ses effets secondaires – prise de poids, signes de virilisation… – sont nombreux et, pour certains, irréversibles. « C’est cependant un bon médicament antidouleur et il m’arrive de le prescrire quand les autres ne marchent pas. » Non seulement le médicament agit sur la douleur, mais aussi il agit sur les lésions de l’endométriose. « Les injections de testostérone agissent probablement aussi de manière multifactorielle », estime le médecin. 

Réponse individuelle et effets à long terme

Delphine Lhuillery, médecin spécialiste de la douleur, en particulier celle de l’endométriose, et coautrice de Tout sur l’endométriose*, partage l’avis de son confrère. « Il est tout à fait logique que la testostérone soulage certaines femmes, annonce-t-elle d’emblée. Mais les hormones féminines, et donc les pilules, peuvent aussi être soulageantes, si elles sont au bon dosage. Car les taux d’œstrogènes et de progestérone jouent aussi sur les douleurs. » La réponse aux hormones est très individuelle. « La testostérone n’est certainement pas la solution pour toutes les femmes. Par ailleurs, certaines douleurs de l’endométriose résistent aux hormones », souligne Delphine Lhuillery. Les deux spécialistes de l’endométriose et Serge Marchand déconseillent les prises à long terme d’hormones sans suivi médical. Mais s’accordent à dire qu’il serait bon d’étudier l’action de microdoses de testostérone sur l’endométriose. 

Juliet Drouar explique l’absence d’études sur ce point par une médecine patriarcale qui « rechigne à produire des traitements pour les femmes à base de testostérone, pour des raisons idéologiques. Le patriarcat repose sur l’idée de corps très différenciés entre les femmes et les hommes. Et donc, tient à ce que la testostérone reste associée à la masculinité. Administrer des hormones dites “masculines” à des femmes est vu comme une menace pour lui », estime Juliet. Les praticien·nes évoquent aussi, plus prudemment, une certaine réticence culturelle. « La testostérone n’a pas d’autorisation de mise sur le marché [AMM] dans l’indication de l’endométriose, rappelle Éric Sauvanet. Ceci étant dit, aucune pilule à base d’hormones féminines n’en a non plus pour soulager ses symptômes. Pourtant, tous les médecins les utilisent. » Avec les prises de parole de Fanny Godebarge et de Juliet Drouar, la « piste de la testo » ne semble pas être tombée que dans les oreilles de sourdes. « De plus en plus de meufs nous demandent comment s’en procurer. On ne peut pas vraiment les aider, car les pénuries sont fréquentes, rapporte Fanny. Ce qu’on leur dit, c’est qu’il faut pousser auprès de leur médecin. » Il y a fort à parier que la résistance du corps médical sera massive. 

Tout sur l’endométriose. Soulager la douleur, soigner la maladie, de Delphine Lhuillery, Éric Petit, Éric Sauvanet. Éd. Odile Jacob, 2019.

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