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"Mères ano­nymes" sur Arte : la mater­ni­té en série animée

Actuellement sur Arte, la série d’animation Mères anonymes, adaptée de la BD du même nom nous réjouit. Sous le dessin enfantin, un humour féroce et un regard sans fard sur l’époque.

En 2013, Gwendoline Raisson, autrice jeunesse prolifique, se lance tout à coup dans l’écriture d’un scénario d’album graphique destiné aux adultes. Et plus spécialement aux parents. Et encore plus spécifiquement aux mères (et quand même aussi aux hommes alentour). Pour raconter avec humour et précision qu’être maman, ce n’est pas forcément être épanouie. Un discours qui à l’époque, confie-t-elle à Causette, « était encore un peu malpoli ». L’album, illustré par Magali Le Huche, s’intitule Mères anonymes et met en scène un groupe de mamans, assises en cercle, qui échangent autour de leurs problèmes et de leurs questionnements, sur le modèle des Alcooliques anonymes. Et là, le mythe de la mère parfaite, imperturbable et radieuse, il en prend un grand coup dans le biberon ! Au fil des épisodes, Gwendoline Raisson aborde tous les sujets qui crispent : l’allaitement, l’éducation, le partage des tâches et les injonctions (un terme alors inconnu) de toutes sortes qui pleuvent sur les daronnes comme les paillettes dorées sur un défilé de Miss. En 2023, dix ans plus tard, voici que cet album et celui qui a suivi, À la recherche du nouveau père*, s’offrent une deuxième vie sous forme de série animée, trente épisodes de trois savoureuses minutes, diffusés sur Arte.

Intrigant d’observer ce qui a changé ou pas, en une décennie, sur ces questions. Pour l’adaptation, l’autrice a replongé dans son manuscrit. « Ce qui frappe, confie-t-elle, c’est que le sujet est devenu très actuel. Aujourd’hui, il y a une vraie remise en question des stéréotypes, qui à l’époque était encore timide. #MeToo a accéléré les choses, comme les réseaux sociaux. La maternité n’est plus si idéalisée, si simpliste. On peut raconter tout ce qui coince, dire qu’on ne veut pas d’enfant, et même expliquer qu’on regrette d’être mère. Nos questionnements d’alors ne sont pas obsolètes, mais les sujets sont plus intégrés dans le quotidien. »

L’initiatrice du projet, c’est la productrice de White Star, Lucie Portehaut : « J’ai trouvé qu’aborder ces thèmes sérieux en dessin, presque enfantin, produisait un décalage intéressant. J’ai tout de suite vu le potentiel en animation. Je me suis associée avec la maison de production Folimage, qui travaillait déjà avec Magali Le Huche. Corinne Destombes, la directrice du développement, a une grande expertise de l’animation, série ou film. Avec elle, nous avons réfléchi au concept et à la mécanique de l’écriture. On voulait avant tout – ce sera aussi la volonté d’Arte – que ce soit très contemporain, que l’arène [le cercle des mères, ndlr] reflète les mouvements de pensées qui traversent la société. »

Des personnages inédits

Pour incarner ces questionnements, il fallait créer de nouvelles protagonistes par rapport à la BD d’origine. Gwendoline Raisson fourmille d’idées : « J’ai pensé à la mère qui est accro aux réseaux sociaux et à Instagram. Je l’ai appelée Parfaite. Elle n’a aucun défaut mais elle est tyrannisée par ses enfants. Il y a aussi Leïla, une mère lesbienne, Anne-Cécile, bien traditionnelle, qui a fait La Manif pour tous, Jessica, qui est très candide… ». Des héroïnes dont les opinions diverses ne doivent pas tomber dans la caricature. C’est là que la réalisatrice, Hélène Friren, entre en jeu : « Gwendoline imagine les personnages, leur psychologie, leur histoire, leurs origines. Ensuite la dessinatrice Magali Le Huche fait des premiers croquis pour définir leur look, leurs façons de se tenir, leurs couleurs, etc. À partir de là, nous peaufinons. Il me paraissait important de représenter plus de diversité de corps que dans la BD (des femmes plus rondes, certaines plus petites ou plus grandes). Nous avons aussi beaucoup échangé sur la représentation des personnes racisées. Quelle coupe de cheveux, quel type de vêtements ? Afin d’éviter les clichés, tout en cherchant à dessiner des personnages drôles, justes, qu’on a l’impression de connaître dans la réalité ».

Le choix des thèmes abordés est lui aussi crucial. L’autrice y travaille avec la production : « Notre priorité ce sont les questions contemporaines, rappelle Lucie Portehaut. Le poids des réseaux sociaux bien sûr, mais aussi l’homoparentalité, la PMA, l’éducation positive… ». Il s’agit aussi d’éliminer certaines anciennes problématiques. Comme cette chute qui évoquait l’intersexuation** chez les bébés. Un sujet tendu qui nécessite, aujourd’hui, une approche différente. L’histoire a donc été modifiée et orientée vers des thématiques très actuelles : la richesse du spectre LGBTQI+ face à la norme binaire, et celle de l’éducation sans stéréotypes de genre.  

Gwendoline Raisson a gardé ses réflexes de journaliste. Chaque thème est abordé sous tous ses angles, allègrement disséqué par les protagonistes. Sans tomber dans l’écueil du discours éducatif. « C’est un point très important, souligne Lucie Portehaut, on veille à ne pas donner de directive. Dans l’épisode sur l’allaitement, il est essentiel qu’aucune des mères ne puisse incarner “la bonne solution”. L’idée est de libérer la parole, de montrer tous les points de vue, de confronter les avis avec humour et modernité ». La réalisatrice veille à ce que le résultat soit totalement fluide : « Mon implication, précise Hélène Friren, s’exerce sur le traitement : comment mettre en scène une idée très claire à l’écrit, pour que dans le film on en saisisse la portée, que l’on comprenne le propos sans contresens, et qu’en plus la scène réussisse à nous faire rire ». Le pari est réussi et l’équilibre trouvé entre comédie et contenu engagé. On s’amuse beaucoup, on se reconnaît souvent et on partage l’avis de Gwendoline Raisson : « Si on veut se débarrasser du carcan de la maternité traditionnelle, il faut que le monde évolue, que ça ne soit plus la seule tâche des mères ».

* Mères anonymes et À la recherche du nouveau père, de Gwendoline Raisson et Magali Le Huche. Éditions Dargaud.

** Intersexuation : Les personnes intersexes ont des caractéristiques sexuelles (chromosomes, hormones, organes génitaux) qui ne correspondent pas aux définitions types des corps féminins ou masculins.

AFFICHE MA A3 05

Mères anonymes, réalisé par Hélène Friren. Scénaristes : Gwendoline Raisson et François Bierry. Autrices graphiques : Magali Le Huche et Hélène Friren. À partir de mi-décembre sur ARTE à 20h50.

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