MA13 009
© Arte

"Mères ano­nymes" sur Arte : la mater­ni­té en série animée

Actuellement sur Arte, la série d’animation Mères ano­nymes, adap­tée de la BD du même nom nous réjouit. Sous le des­sin enfan­tin, un humour féroce et un regard sans fard sur l’époque.

En 2013, Gwendoline Raisson, autrice jeu­nesse pro­li­fique, se lance tout à coup dans l’écriture d’un scé­na­rio d’album gra­phique des­ti­né aux adultes. Et plus spé­cia­le­ment aux parents. Et encore plus spé­ci­fi­que­ment aux mères (et quand même aus­si aux hommes alen­tour). Pour racon­ter avec humour et pré­ci­sion qu’être maman, ce n’est pas for­cé­ment être épa­nouie. Un dis­cours qui à l’époque, confie-​t-​elle à Causette, « était encore un peu mal­po­li ». L’album, illus­tré par Magali Le Huche, s’intitule Mères ano­nymes et met en scène un groupe de mamans, assises en cercle, qui échangent autour de leurs pro­blèmes et de leurs ques­tion­ne­ments, sur le modèle des Alcooliques ano­nymes. Et là, le mythe de la mère par­faite, imper­tur­bable et radieuse, il en prend un grand coup dans le bibe­ron ! Au fil des épi­sodes, Gwendoline Raisson aborde tous les sujets qui crispent : l’allaitement, l’éducation, le par­tage des tâches et les injonc­tions (un terme alors incon­nu) de toutes sortes qui pleuvent sur les daronnes comme les paillettes dorées sur un défi­lé de Miss. En 2023, dix ans plus tard, voi­ci que cet album et celui qui a sui­vi, À la recherche du nou­veau père*, s’offrent une deuxième vie sous forme de série ani­mée, trente épi­sodes de trois savou­reuses minutes, dif­fu­sés sur Arte.

Intrigant d’observer ce qui a chan­gé ou pas, en une décen­nie, sur ces ques­tions. Pour l’adaptation, l’autrice a replon­gé dans son manus­crit. « Ce qui frappe, confie-​t-​elle, c’est que le sujet est deve­nu très actuel. Aujourd’hui, il y a une vraie remise en ques­tion des sté­réo­types, qui à l’époque était encore timide. #MeToo a accé­lé­ré les choses, comme les réseaux sociaux. La mater­ni­té n’est plus si idéa­li­sée, si sim­pliste. On peut racon­ter tout ce qui coince, dire qu’on ne veut pas d’enfant, et même expli­quer qu’on regrette d’être mère. Nos ques­tion­ne­ments d’alors ne sont pas obso­lètes, mais les sujets sont plus inté­grés dans le quotidien. »

L’initiatrice du pro­jet, c’est la pro­duc­trice de White Star, Lucie Portehaut : « J’ai trou­vé qu’aborder ces thèmes sérieux en des­sin, presque enfan­tin, pro­dui­sait un déca­lage inté­res­sant. J’ai tout de suite vu le poten­tiel en ani­ma­tion. Je me suis asso­ciée avec la mai­son de pro­duc­tion Folimage, qui tra­vaillait déjà avec Magali Le Huche. Corinne Destombes, la direc­trice du déve­lop­pe­ment, a une grande exper­tise de l’animation, série ou film. Avec elle, nous avons réflé­chi au concept et à la méca­nique de l’écriture. On vou­lait avant tout – ce sera aus­si la volon­té d’Arte – que ce soit très contem­po­rain, que l’arène [le cercle des mères, ndlr] reflète les mou­ve­ments de pen­sées qui tra­versent la société. »

Des per­son­nages inédits

Pour incar­ner ces ques­tion­ne­ments, il fal­lait créer de nou­velles pro­ta­go­nistes par rap­port à la BD d’origine. Gwendoline Raisson four­mille d’idées : « J’ai pen­sé à la mère qui est accro aux réseaux sociaux et à Instagram. Je l’ai appe­lée Parfaite. Elle n’a aucun défaut mais elle est tyran­ni­sée par ses enfants. Il y a aus­si Leïla, une mère les­bienne, Anne-​Cécile, bien tra­di­tion­nelle, qui a fait La Manif pour tous, Jessica, qui est très can­dide… ». Des héroïnes dont les opi­nions diverses ne doivent pas tom­ber dans la cari­ca­ture. C’est là que la réa­li­sa­trice, Hélène Friren, entre en jeu : « Gwendoline ima­gine les per­son­nages, leur psy­cho­lo­gie, leur his­toire, leurs ori­gines. Ensuite la des­si­na­trice Magali Le Huche fait des pre­miers cro­quis pour défi­nir leur look, leurs façons de se tenir, leurs cou­leurs, etc. À par­tir de là, nous peau­fi­nons. Il me parais­sait impor­tant de repré­sen­ter plus de diver­si­té de corps que dans la BD (des femmes plus rondes, cer­taines plus petites ou plus grandes). Nous avons aus­si beau­coup échan­gé sur la repré­sen­ta­tion des per­sonnes raci­sées. Quelle coupe de che­veux, quel type de vête­ments ? Afin d’éviter les cli­chés, tout en cher­chant à des­si­ner des per­son­nages drôles, justes, qu’on a l’impression de connaître dans la réa­li­té ».

Le choix des thèmes abor­dés est lui aus­si cru­cial. L’autrice y tra­vaille avec la pro­duc­tion : « Notre prio­ri­té ce sont les ques­tions contem­po­raines, rap­pelle Lucie Portehaut. Le poids des réseaux sociaux bien sûr, mais aus­si l’homoparentalité, la PMA, l’éducation posi­tive… ». Il s’agit aus­si d’éliminer cer­taines anciennes pro­blé­ma­tiques. Comme cette chute qui évo­quait l’intersexuation** chez les bébés. Un sujet ten­du qui néces­site, aujourd’hui, une approche dif­fé­rente. L’histoire a donc été modi­fiée et orien­tée vers des thé­ma­tiques très actuelles : la richesse du spectre LGBTQI+ face à la norme binaire, et celle de l’éducation sans sté­réo­types de genre. 

Gwendoline Raisson a gar­dé ses réflexes de jour­na­liste. Chaque thème est abor­dé sous tous ses angles, allè­gre­ment dis­sé­qué par les pro­ta­go­nistes. Sans tom­ber dans l’écueil du dis­cours édu­ca­tif. « C’est un point très impor­tant, sou­ligne Lucie Portehaut, on veille à ne pas don­ner de direc­tive. Dans l’épisode sur l’allaitement, il est essen­tiel qu’aucune des mères ne puisse incar­ner “la bonne solu­tion”. L’idée est de libé­rer la parole, de mon­trer tous les points de vue, de confron­ter les avis avec humour et moder­ni­té ». La réa­li­sa­trice veille à ce que le résul­tat soit tota­le­ment fluide : « Mon impli­ca­tion, pré­cise Hélène Friren, s’exerce sur le trai­te­ment : com­ment mettre en scène une idée très claire à l’écrit, pour que dans le film on en sai­sisse la por­tée, que l’on com­prenne le pro­pos sans contre­sens, et qu’en plus la scène réus­sisse à nous faire rire ». Le pari est réus­si et l’équilibre trou­vé entre comé­die et conte­nu enga­gé. On s’amuse beau­coup, on se recon­naît sou­vent et on par­tage l’avis de Gwendoline Raisson : « Si on veut se débar­ras­ser du car­can de la mater­ni­té tra­di­tion­nelle, il faut que le monde évo­lue, que ça ne soit plus la seule tâche des mères ».

* Mères ano­nymes et À la recherche du nou­veau père, de Gwendoline Raisson et Magali Le Huche. Éditions Dargaud.

** Intersexuation : Les per­sonnes inter­sexes ont des carac­té­ris­tiques sexuelles (chro­mo­somes, hor­mones, organes géni­taux) qui ne cor­res­pondent pas aux défi­ni­tions types des corps fémi­nins ou masculins.

AFFICHE MA A3 05

Mères ano­nymes, réa­li­sé par Hélène Friren. Scénaristes : Gwendoline Raisson et François Bierry. Autrices gra­phiques : Magali Le Huche et Hélène Friren. À par­tir de mi-​décembre sur ARTE à 20h50.

Partager
Articles liés
recos series

3 séries à bin­ger ce week-end

Causette vous pro­pose trois séries au top à binge-​watcher ce week-​end. D’argent et de sang Et si la toute pre­mière série de Xavier Giannoli, cinéaste césa­ri­sé d’Illusions per­dues, n’était pas, tout sim­ple­ment, son grand œuvre ...

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.