"Aliya, juste une his­toire de nudes" : le pod­cast qui dévoile les ravages du revenge porn et du har­cè­le­ment scolaire

À 14 ans, Aliya Chartier est victime de revenge porn et de harcèlement scolaire après avoir cédé à un internaute lui demandant des photos dénudées. Avec un courage immense, la jeune femme d'aujourd'hui 20 ans poursuit son travail de prévention, cette fois au travers d'un podcast.

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© Jérémy Bulté

L'histoire, nauséabonde, est à elle seule un condensé de violences sexistes, de culpabilisation de la victime et de lâcheté du collectif. De vol de l'enfance, aussi. En 2015, à 14 ans, la collégienne Aliya Chartier tombe « amoureuse » d'un inconnu sur internet. Elle ne le rencontrera jamais, ne sait aujourd'hui encore qui se cache derrière cet « Alexandre » à qui elle a accordé sa confiance et des photos intimes pour le contenter. Mais cette personne a ravagé l'adolescence de la jeune fille, en la contraignant à ces envois à coups de chantage affectif particulièrement retors puis en diffusant ces images à la famille, aux ami·es et aux élèves de son établissement scolaire tranquille de Vendée.

Le récit de l'emprise d'Alexandre et du harcèlement scolaire qui s'en est suivi est à retrouver dans la série de podcast Aliya, juste une histoire de nudes, réalisée par ZED et Initial Studio. Les deux premiers épisodes (sur sept) sont disponibles dès ce mercredi 2 novembre sur les plateformes habituelles. En alternant lecture du livre Juste une histoire de nudes auto-édité en 2020 par la jeune femme, entretiens avec Aliya et ses proches mais aussi des expertes, le podcast donne à prendre la mesure du gouffre dans lequel les jeunes victimes de revenge porn et de harcèlement scolaire sont plongées. « A partir du moment où Alexandre est devenu menaçant et jusqu'à ce qu'il envoie ces photos aux gens du collège, parler à mes parents n'a jamais été une option car j'étais prise de honte et de culpabilité, explique Aliya à Causette. Je me disais "mon dieu, mes parents m'ont donné une éducation et moi je fais ça", car, oui, je pensais à ce moment-là que tout était de ma faute. »

Double peine à la gendarmerie

Les interventions de Rachel-Flore Pardo, avocate co-fondatrice de l'association Stop Fisha, qui lutte contre les violences sexistes en ligne, ou de Véronique Agrapart, sexologue engagée sur les mêmes sujets décryptent comment ces affaires de revenge porn (pour lesquels les auteur·rices risquent jusqu'à deux ans d'emprisonnement et 60 000 euros d'amende) s'intègrent dans une culture patriarcale et misogyne. Et détruisent les victimes. « Aliya a eu les mêmes symptômes de syndrome post-traumatiques, dont l'hypervigilance et les pensées noires, qu'on retrouve chez les victimes de viol », observe ainsi Véronique Agrapart.

L'adolescente mettra longtemps à se départir d'un sentiment de culpabilité tissé par l'auteur du revenge porn lui-même. La faute aux élèves du collège, qui font circuler les photos sur les téléphones en la traitant de salope et en lui demandant des fellations dans les toilettes. La faute aussi à cette gendarme qui, lorsqu'Aliya et sa mère vont porter plainte, aura ces mots cinglants : « Tu te rends compte de ce que tu as fait ? » Une deuxième fois, Aliya Chartier a cru sombrer. Son chemin de croix qui tient du slut-shaming (stigmatisation d'une femme perçue comme provocante) et victim-blaming (culpabilisation d'une victime) sera fort heureusement illuminé, raconte le podcast, par la présence des parents de l'adolescente, d'un duo d'ami·es qui ne se détourne pas mais aussi de celle d'un professeur qui apporte son soutien inconditionnel à la jeune fille devant l'ensemble de sa classe.

Classement sans suite

On le comprend, Aliya, juste une histoire de nudes, ne traite pas simplement un fait divers. En interrogeant la réponse de la justice - la plainte d'Aliya a été classée sans suite malgré les nombreuses captures d'écran apportées par la mère et sa fille comme éléments de preuves - le podcast montre le peu de cas que notre société accorde à ce qui lui paraît être « juste une histoire de nudes ». Au contraire, l'histoire d'Aliya est le symptôme d'un sexisme toujours bien ancré dans les mentalités des adolescent·es d'aujourd'hui qui suivent la meute en moquant la victime et d'une incapacité des adultes à saisir la gravité de ces affaires.

Revenue du pire (dont des pensées suicidaires), la jeune Aliya a très vite décidé de témoigner en son nom. « Lorsque, sur les conseils de Véronique Agrapart, j'ai décidé de publier un livre racontant mon histoire, je me suis posé la question de l'anonymat, nous explique Aliya. Rester anonyme, cela n'avait certes pas les mêmes conséquences pour ma sécurité, c'était plus confortable. Mais j'ai choisi d'engager mon nom afin qu'on ne pense pas que ce que j'écrivais était une fiction. Remarquez, même avec mon nom, certains lecteurs me demandent si tout est vrai, si je n'ai pas exagéré certaines choses. Il n'en est rien. »

Résilience par l'aide aux autres

Il faut en déployer, du courage, pour oser renvoyer la faute à l'auteur anonyme des faits et aux harceleur·euses du bahut. Aliya Chartier le fait avec un naturel et un aplomb qui forcent le respect, tant cela demande de dévoiler son intimité. Dans le podcast, son père observe avec fierté que de cette affaire sordide, sa fille a fait une force et qu'elle ne serait pas pareil aujourd'hui sans cela. « Je suis contente d’avoir vécu tout ça car ça m’a construite, nous confirme-t-elle. Je me suis toujours sentie comme une personne faible quand j’étais petite car déjà à l'école des groupes d'enfants m’embêtaient, mais ce chemin de vie là m’a permis de me rendre compte de la force qui était en moi. »

Relevant la tête, l'adolescente devenue une jeune femme a très vite eu besoin de partager son expérience à l'occasion d'interventions dans les collèges et les lycées pour sensibiliser, éduquer et dire aux jeunes victimes que ce n'est pas à elles·eux d'avoir honte, jamais. Elle a aussi témoigné pour de nombreux médias, tels que Konbini ou Envoyé Spécial. « Raconter pour aider les autres, cela participe de ma résilience », souligne-t-elle. Ce n'est donc pas un hasard si Aliya Chartier s'est dirigée vers des études de psycho, qu'elle poursuit à Nantes aujourd'hui. Son podcast est une nouvelle pierre à l'édifice de son combat pour la reconnaissance de la gravité du harcèlement et du revenge porn alors que, souffle-t-elle, « la plupart des jeunes filles qui [la] contactent pour des faits similaires ont, elles aussi, vu leur plainte classée sans suite. »

Aliya, juste une histoire de nudes, par Sylvie Aguirre et Jérémy Bulté avec Aliya Chartier pour ZED et Initial Studio.

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