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© Hamza Djenat

Pour l’essayiste Bettina Zourli : “Les femmes sans enfants sont vues comme moins valables”

Bettina Zourli ne veut pas d’enfant, et c’est légitime. Son nouvel essai Le Temps du choix vient de paraître en librairie. La journaliste y parle des injonctions sociales à procréer et demande à légitimer le choix d’être mère ou de ne pas l’être en société. Entretien.

Causette : Quel a été le déclic pour écrire Le temps du choix ?
Bettina Zourli : Ce livre vient de quatre années d’interaction sur les réseaux sociaux avec des personnes qui ne veulent pas d’enfants, mais aussi des personnes qui en veulent. Je me suis rendu compte que, encore aujourd’hui, il y a une injonction à faire une famille d’une certaine manière. Moi, je ne veux pas d’enfants, mais je me positionne en tant que féministe alliée de toutes et tous. J’avais donc envie de faire un essai qui puisse parler à toutes les personnes. Au même titre qu’il y a un désir d’enfant qui peut être hyper viscéral et insaisissable, moi, j’ai un désir de non-parentalité depuis des dizaines d’années qui est tout aussi inexplicable. 

Dans ce livre, vous écrivez : “Décider de ne pas procréer est souvent perçu comme un acte politique et il peut être revendiqué comme tel, c’est mon cas.” En quoi le fait de ne pas procréer est un acte politique ?
B. Z. : La plupart des childfree [celles et ceux qui ne veulent pas d’enfants par choix, ndlr], ne sont pas des personnes militantes. Il n’y a pas l’idée de vouloir imposer un discours ni d’idéal antinataliste. Je politise mon discours parce que, encore aujourd’hui, il y a une hiérarchisation des modes de vie. C’est-à-dire que les femmes sans enfants sont vues comme moins valables, moins légitimes que les femmes qui ont des enfants. Pour moi, on ne pourra pas s’assurer qu’on est 100 % libres de choisir notre chemin de vie si tous les modes de vie ne sont pas mis sur un même pied d’égalité. À savoir, vouloir des enfants ou ne pas en vouloir, et faire ce chemin de vie en conséquence. Encore aujourd’hui, il y a une norme familiale qui est conservée. Je suis pour la visibilisation de tous les chemins de vie et pour leur banalisation. 

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la tocophobie, dont vous souffrez ? 
B. Z. : J’ai découvert ce mot un peu par hasard. C’est la peur de la grossesse, mais aussi la peur de l’accouchement. Dans mon cas, ce n’est pas lié à des changements physiques, ce n’est pas une question esthétique. C’est une question de ressenti, de perte de contrôle par rapport à son corps. En fait, c’est l’angoisse liée au fait d’avoir un enfant qui grandit dans son ventre et de devoir accoucher par voie basse. C’est quelque chose qui m’effraie. C’est toujours difficile de parler de l’absence de quelque chose, mais moi, je n’ai jamais eu une once de désir d’enfant. 

Vous écrivez également : “Si un jour je change d’avis, si je désire un jour des enfants, il est hors de question que j’en aie au sein d’un couple monogame de manière à former une famille nucléaire type. Pourquoi n’envisagez-vous pas du tout la maternité dans le cadre de couple monogame ?
B. Z. : Quand on dit qu’on ne veut pas d’enfant, on nous dit toujours qu’on va changer d’avis. Je ne me suis jamais fermé la porte à potentiellement changer d’avis. On ne sait pas de quoi la vie est faite, peut-être qu’un jour, j’aurai envie d’enfant. Par contre, je sais que je n’en aurai pas envie dans le cadre d’une famille nucléaire classique ou d’un couple exclusif, je suis hyper fan de la phrase : “Il faut tout un village pour élever un enfant.” Aujourd’hui, on nous impose un rythme qui n’est pas compatible avec le fait de pouvoir élever un enfant de manière épanouie, je pense. Si un jour je veux m’occuper d’un enfant, je ne suis pas sûre d’avoir envie d’avoir cette responsabilité légale à temps plein. J’aimerais explorer des modèles de coparentalité, par exemple. Je suis pour une gestion beaucoup plus collective. Ça peut être de vivre à quatre ou cinq sous le même toit et élever un ou plusieurs enfants ensemble. Si on veut sortir d’un système patriarcal, on doit remettre de la solidarité dans nos modes de vie et, en particulier, pour gérer la maternité et la parentalité.

Pourquoi la maternité représente un risque élevé de dépendance pour les femmes ?
B. Z. : Le constat vient du fait qu’avoir un enfant est une source d’inégalité, voire de discrimination pour les femmes, beaucoup plus que pour les hommes. On peut prendre l’exemple de la dépendance financière, lors de la première année de vie du nourrisson, les femmes perdent en moyenne 40 % de leur salaire, là où les hommes ne perdent rien. Ceci est lié à la différence de congé paternité et maternité et au fait que beaucoup d’hommes ne prennent pas leur congé paternité, même s’il est obligatoire maintenant.

À partir du moment où on nous impose un modèle unique, on ne peut pas être sûr que notre désir découle simplement de notre libre arbitre. On a construit cette division sexuelle de la société avec les hommes qui évoluent plutôt dans la sphère publique et les femmes plutôt en investissant la sphère privée. Ce n’est pas forcément mal. On a le droit, par exemple, d’être femme au foyer si on le désire. On a le droit d’être un homme qui veut investir une grande carrière si on le désire. Le problème, c’est qu’on nous a éduqués dans l’idée que ce sont des rôles naturels et donc innés. Donc, je suis pour le fait de faire exploser tous ces modèles-là, pour s’assurer que tout le monde puisse décider des chemins de vie qu’il ou elle souhaite prendre. Il faut réformer notre manière de faire famille. Il faut visibiliser le fait que ne pas avoir d’enfant, c’est légitime, c’est un moyen d’ouvrir les vannes dans nos choix de vie et dans nos modèles. 

Qu'est-ce que l’instinct maternel ? Est-ce que ça existe ?
B. Z. : Il n’y en a pas, ça n’existe pas. La maternité c’est un mécanisme qui s’est construit au fil des siècles pour faire croire qu’il y aurait chez les femmes une propension innée à s’occuper des enfants et à en vouloir. Donc, quand on parle d’instinct maternel, cela voudrait dire que toutes les femmes ou toutes les personnes qui ont un utérus voudraient un enfant, et qu’en plus, on serait plus en capacité de s’en occuper que les hommes. Alors que pour tout le monde, c’est quelque chose qui s’apprend. Pour tout le monde, il y a la possibilité de désirer ou de ne pas désirer un enfant.

D’où vient cette obsession de la reproduction dans nos sociétés ?
B. Z. : Quand on fait un petit recul historique sur cette question-là, on voit que le fait de faire des enfants a toujours été instrumentalisé à des fins diverses. Notamment au moment où on s’est sédentarisé, donc vers le néolithique. Ça a été un moyen d’asseoir la suprématie d’un peuple sur le peuple voisin. Quand on s’est sédentarisé, il a fallu accumuler des richesses et donc prendre celles des voisins pour assurer la survie de son propre peuple. Il y a également eu une instrumentalisation à des fins religieuses. Ça implique, par exemple, d’être allés coloniser certains territoires avec un ancrage religieux, et cela passait notamment par la reproduction. En somme, des colonisateurs venaient se reproduire sur place pour étendre cette nouvelle société sur place. Cela peut aussi être à des fins économiques ou guerrières. Il y a vraiment cette idée que la population et la démographie, c’est un enjeu guerrier.

Que pensez-vous du réarmement démographique dont parle Emmanuel Macron ?
B. Z. : Pour Macron, la démographie doit servir à un projet national. On dit souvent aux femmes qui ne veulent pas d’enfants qu’elles sont égoïstes parce qu’elles se soustraient justement à ce projet national et à ce projet de société. On relie aussi souvent le non-désir d’enfant à une suspicion de pathologisation. Moi, on m’a dit que si je ne voulais pas d’enfant, c’est parce que j’avais forcément un traumatisme dans l’enfance à régler.

Ce discours est arrivé trois semaines après la loi immigration. Donc avec l’idée qu’il faut faire des enfants, mais d’une certaine couleur de peau et d’une certaine nationalité. Et surtout, dans l’idée que les femmes auraient un service à rendre à la nation. Le désir d’enfant, on s’en fiche un peu. Certes, l’infertilité est grandissante chez les hommes et chez les femmes, à cause des pesticides ou des perturbateurs endocriniens par exemple. Mais, en réalité, on ne peut pas affirmer que si la natalité baisse, c’est uniquement lié à l’infertilité. 

Comment légitimer le non-désir d'enfant dans une société qui évolue mais qui n'est pas forcément progressiste?
B. Z. : Je pense que visibiliser les discours comme le mien, c’est forcément un moyen de banaliser des idées qui n’étaient pas du tout admises quelques décennies auparavant. Plus on va montrer la diversité des familles, plus on va trouver ça normal. Et je pense qu’on est quand même dans une société qui est de plus en plus progressiste, par exemple au sujet de la visibilisation des familles queer.

Le non-désir d’enfant est personnel et ne nuit à personne. Ça ne peut pas nuire à un enfant à naître puisqu'il n'est pas né. Ça ne nuit pas non plus à la société. On participe toutes et tous d'une manière ou d'une autre à vivre en société, on est toutes et tous interconnectés, on est toutes et tous solidaires. Il n'y a donc aucun problème à faire des enfants ou non.

Lire aussi I “Je savais que cela nous séparerait, mais je ne me sentais pas prête à franchir le pas” : quand le non-désir d’enfant au féminin met fin au couple

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