Clémentine Autain : tout sur ma mère

Dans son nouveau livre Dites-lui que je l’aime, Clémentine Autain se raconte à travers sa mère, une actrice fantasque et tragique qui se donna la mort à 33 ans. Entre règlement de comptes et déclaration d’amour posthume…

98 clementine autain © Smith pour Causette
© Smith pour Causette

En cette période de grand débat et d’actualité sociale plus qu’agitée, on la sent à moitié à l’aise à l’idée de faire la promo de son nouveau livre, Dites-lui que je l’aime. La députée de La France insoumise est plus habituée à dénoncer les injustices et les tragédies des autres. « Ce n’est pas un exercice classique chez les politiques que de se raconter intimement, ça décale, j’avais peur de ce décalage. À travers mon enfance, je parle de filiation, de mémoire et de règlements de comptes avec ses parents, c’est universel », ajoute-t-elle, comme pour se rassurer en inscrivant son récit dans une dimension collec­tive. C’est à sa mère, en l’occurrence, qu’elle dit, entre les lignes, qu’elle l’aime, empruntant au passage le titre du film du réalisateur Claude Miller, qui offrit à sa mère son premier grand rôle en 1977 aux côtés de Gérard Depardieu.

Beauté tragique

« Je venais d’avoir 12 ans lorsque tu es morte, j’en ai 42. Tu es partie il y a si longtemps que la haine s’est éteinte, évaporée avec les années […] Tu n’avais pas seulement disparu, je t’avais fait disparaître. Tout a fonctionné comme si j’avais eu un besoin impérieux de t’anéantir pour pouvoir m’en sortir et tracer mon chemin loin de la déprime et de l’alcool. » Ainsi écrit Clémentine Autain avec des mots tendres et durs à la fois, qui claquent, glacent, émeuvent, se révoltent, pleurent, rigolent, racontent cette maman qui ne l’a jamais trop été. 

Sa mère, c’est Dominique Laffin, une jeune comédienne qui crève l’écran dans les années 1970, une beauté tragique et frondeuse que se disputent les réalisateurs et réalisatrices Catherine Breillat (Tapage nocturne), Marco Ferreri (Pipicacadodo) et Claude Sautet (Garçon !). Elle pose à moitié nue à la Une de Playboy et, en même temps, incarne La femme qui pleure, de Jacques Doillon. Un rôle qui lui vaut d’être nommée aux César en 1980 comme meilleure actrice. Mais c’est finalement Miou-Miou qui décroche la récompense. Côté cour, Dominique Laffin, c’est aussi la femme qui brûle sa vie. Whisky, clopes Gitane, fiestas et somnifères sans modération, une réputation se fait vite dans le métier, le téléphone sonne moins. Sa fille Clémentine est spectatrice de cet autre film noir, elle qui vit chez sa mère depuis que ses parents se sont séparés quand elle avait 2 ans. 

Le 12 juin 1985, elle est retrouvée morte noyée dans sa baignoire. Elle avait 33 ans. Ce jour-là, la petite Clémentine dort chez son père, le chanteur Yvan Dautin (dont le vrai nom est Autain), et l’entend chuchoter avec sa belle-mère derrière la porte de sa chambre. « Je comprends que tu es morte. Évidemment tu es morte. C’est peut-être mieux comme ça. Je me sens mieux comme si ta disparition n’était déjà qu’un vieux souvenir, une façon d’abréger mes souffrances mais aussi les tiennes après tout », écrit-elle. 

Car de la souffrance, il y en a eu. Comme ce jour dans une gare, où la gamine relève sa mère ivre morte avec son amoureux de l’époque qui la transporte dans un chariot à bagages. Ou cette nuit où elle la laisse seule terrorisée dans ­l’appartement, après lui avoir lu une histoire pour aller faire la fête et l’oublier jusqu’au lende­main. « Elle buvait beaucoup, collectionnait les amants, fraudait les impôts et ignorait la notion de maternité. Elle était tout sauf politiquement correcte ! » plaisante Clémentine. Enfant, ces scènes lui faisaient honte et la terrorisaient. La fillette s’interdit de pleurer en jouant le rôle de l’adulte auprès de cette mère enfant.  

Son père demande finalement la garde en 1982 quand elle a 8 ans, après une énième soirée arrosée qui tourne mal. « Il m’a souvent dit : “Je savais qu’en sauvant la fille, je mettais en danger la mère.” Effectivement, elle a sombré quand je suis allée vivre chez mon père. Ce fut dur pour lui, il a longtemps culpabilisé, mais il ne regrette pas son choix, c’était moi ou elle. » 

Suicide ou accident ? Clémentine Autain a longtemps changé de version. « Une crise cardiaque à 33 ans, je trouvais ça louche. Quelle que soit sa vérité, ça ne change rien finalement. Un jour, j’ai entendu l’expression suicide accidentel à propos de Marilyn Monroe. Ça va bien à ma mère aussi », raconte-
t-elle en pesant ses mots, devant un thé à la menthe. 

Son roman “cathartique”

En 2006, Clémentine Autain avait, déjà, courageusement été sur le terrain de l’intime en racontant son viol subi à l’âge de 23 ans, dans une biographie signée Anne Delabre, en vue de porter la question des violences dans le débat public. Cette fois-ci, c’est elle qui tient la plume. « Ce n’est pas mon idée, c’est celle de mon mari ! Il m’a toujours dit : “Tu as ce livre en toi.” Pour lui, c’était une évidence, pour moi, c’était délirant. » Il lui a fallu trois ans pour jeter ses mots sur le papier, de 42 à 45 ans, à un âge où elle se sentait suffisamment « stable et équilibrée » pour libérer le fantôme dans le placard à travers un dialogue posthume avec sa mère. « Quand j’en étais à la moitié du livre, on m’a volé mon ordinateur dans la voiture. Je n’avais pas fait de sauvegarde. Je suis rentrée en pleurant, je me suis dit que je n’arrêtais pas de la perdre. »

Perdre ou sauvegarder sa mère, les mots ne sont pas anodins, elle parle d’« écriture cathartique ». Durant trente ans, Clémentine a tout verrouillé : « J’ai fait un black-out. Ma mère était un sujet tabou, même avec mon propre père, on n’en parlait jamais, pas un mot, du grand art. » Les mots ne sortent pas non plus quand ses deux jeunes enfants l’interrogent sur cette grand-mère qu’ils n’ont pas connue. Mettre des mots là où il n’y en a pas eu, c’est son projet. Sa mère est partie sans laisser une lettre d’adieu. « Ça n’est pas plus mal, il y a des mots qui peuvent être très entêtants. » 

Dites-lui que je l’aime est une déclaration d’amour posthume et un bel hommage à une grande comédienne inconnue des nouvelles générations. « J’espère que je l’ai rendue attachante ? » doute Clémentine, qui relate aussi l’autre visage plus solaire de sa mère. « J’en avais ras-le-bol du côté morbide. Ce livre m’a permis de construire une mémoire positive. Elle riait beaucoup aussi et transformait la vraie vie en jeu. » Comme lors de ces nombreux rendez-vous chez le banquier qui convoque sa mère flambeuse, toujours dans le rouge. « Tu m’avais demandé de jouer un rôle : “Quand on sera dans le bureau du monsieur, il faut que tu me dises avec le regard triste : ‘Maman, j’ai faim’. Comme ça, je pourrai enchaîner : ‘Regardez cette petite, elle a faim, vous ne pouvez pas me laisser sans un sou.’” On riait comme deux gamines. C’était un peu sinistre comme situation, mais on rigolait quand même », écrit Clémentine. 

Quelques pages plus loin, elle se raconte, jeune femme mal dans sa peau, peu de temps après son viol. L’étudiante en histoire bosse son sujet de mémoire sur le MLF à la bibliothèque et tombe par hasard sur les dessins de sa mère en couverture du journal féministe Les Pétroleuses. Le fantôme de sa mère réapparaît. « Je ne photocopie rien […] Je t’ai remise sans sourciller dans les archives », écrit-elle.  

Par peur de photocopier le destin, la fille de la balle choisit la scène politique, où les comédiens ne manquent pas ! Elle se projette en mère “normale”, avec une famille bien comme il faut comme dans la pub Ricoré. Aujourd’hui, la députée vit dans une famille recomposée. « J’ai toujours pensé que j’avais eu la chance de devenir mère en accouchant d’abord d’un garçon. L’anxiété de la reproduction se trouvait neutralisée. Je me suis donné beaucoup de mal pour ne pas ressembler à ma mère. J’avais besoin de me prouver que je n’allais pas sombrer comme elle. Je donne l’impression d’être hyper carrée, mais je suis moins carrée à l’intérieur de moi. »

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© Smith pour Causette
Un côté “passionaria”

L’écrivain et critique littéraire Arnaud Viviant, son ami de vingt ans, se souvient encore de la première fois qu’il a vu « Clem », en 1998, alors coprésidente de l’association féministe Mix-Cité, sur le plateau de l’émission Arrêt sur images, dont il était chroniqueur. « Ça a été un choc. Cette tête de Jeanne d’Arc de Falconetti *, ses yeux bleu lavande qui donnent l’impression de sortir de chez le teinturier ! Elle parlait avec ce ton pincé un peu sévère, mais empli de douceur et de drôlerie sous-jacente. Elle avait déjà ce côté passionaria, pour moi, c’est notre première féministe moderne. Mais, j’ai toujours vu derrière son masque, j’aime deviner chez l’autre sa partie moins rangée ! » 

Il y a un temps pour tout, ranger les photos de sa mère dans une malle au sous-sol, fuir, pardonner, se réconcilier. Aujourd’hui, Clémentine ose assumer les ressemblances. « Je suis une femme publique comme elle l’était. On partage le même goût de la liberté, son féminisme à elle était plus intuitif, moins intellectualisé. C’était une trotskiste, mais mon engagement politique vient plutôt de ma famille paternelle. J’ai aussi hérité du même culot qu’elle ! Un jour, ma mère a eu le toupet de balancer un verre entier à la figure d’Alain Delon, après qu’il eut fait une réflexion sexiste », raconte-t-elle, avec un brin de fierté. « Il y a une part d’artiste en Clem aussi, ajoute Arnaud Viviant. Ensemble, on parle énormément de littérature. Au fond d’elle, je pense qu’elle aurait rêvé d’être écrivaine, même si la politique est sa passion. »

Écrire pour redevenir l’auteure de son récit, ­l’actrice du prochain chapitre de sa vie. Clémentine Autain se dit heureuse de vieillir et se projette déjà avec sa fille devenue adulte. « J’ai redouté le jour où j’ai eu 33 ans, l’âge de ma mère quand elle est morte. Depuis, je me dis que c’est du rab ! » 

* En référence à La Passion de Jeanne d’Arc (1928), de Carl Theodor Dreyer, avec Renée Falconetti dans le rôle-titre.

Dites-lui que je l’aime, de Clémentine Autain. Éd. Grasset, 162 pages.

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