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On a fait le crash test fémi­niste de "Wish" avec Célia Sauvage, autrice de "Décoder Disney-Pixar"

A l'occasion de la sortie de Wish: Asha et la bonne étoile, le dernier Disney (en salles), l'universitaire Célia Sauvage, autrice de Décoder Disney-Pixar (éditions Daronnes), revient sur les questions de genre, de classe et de race déployées par le géant de l'animation.

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© Gabrielle Malewski

Causette: Le nouveau Disney, Wish : Asha et la bonne étoile raconte l'histoire d'une jeune fille de 17 ans en lutte contre un roi maléfique et aidée par une petite étoile. Est-ce un film féministe ? Quel est l'arc narratif de son héroïne ?

Célia Sauvage: Le personnage d'Asha s'inscrit parfaitement dans la lignée nouvelle génération des héroïnes célibataires et totalement désintéressées par les hommes et l'amour. Comme Elsa, la reine des neiges ou encore Vaiana, la romance n'est jamais un arc narratif envisagé. Au sein de l'imaginaire Disney-Pixar, elle appartient donc aux rares héroïnes débarrassées de l'hétérosexualité, ce qui est super pour l'identification du plus grand nombre. Le film oriente davantage vers la force de l'amitié comme moteur d'émancipation, à l'image de ce que proposaient des films comme La Reine des neigesLes Mondes de Ralph, Luca, ou encore Alerte rouge. Sans spoiler, le film démontre également que seule la solidarité, l'action collective permettra de renverser le système injuste en place, ce qui est un message fort contre l'individualisme à l'américaine.
Wish est un film de rébellion, celle de la jeune génération contre toutes les normes standardisées à Hollywood. Comme toujours chez les personnages qui détiennent le pouvoir dans l'imaginaire Disney-Pixar, le personnage du roi Magnifico est associé à la couleur blanche (ses cheveux, ses vêtements, les portraits de lui) alors que l'ethnicité du personnage est floue. Mais contrairement aux classiques, la domination blanche est désignée comme dangereuse : Magnifico se croit tout permis, y compris décider qui a le privilège de réaliser son vœux le plus cher. C'est contre cette toute puissance blanche qu'Asha et ses ami·es résistent pour rendre à chacun·e une forme d'autonomie. Autre changement sûrement invisible pour la majorité du public, mais pour une fois, l'ennemi désigné est aussi hétéronormé : Magnifico n'est pas codé comme un méchant queer, il est hétéro, en couple et adore narcissiquement sa propre virilité. C'est aussi ce modèle qui doit être puni à la fin du film - sans spoiler

Causette: Comment la question raciale est-elle ici mise en scène ?
C.S: Après Tiana, l'héroïne de La Princesse et la grenouille, Asha n'est que la seconde héroïne noire de tout l'imaginaire Disney, la première avec des cheveux tressés et non lissés pour correspondre à des standards blancs occidentaux. Elle représente même la première héroïne métissée, enfant d'une mère Africaine noire et d'un père Hispanique blanc. L'air de rien, le métissage racial demeure un tabou culturel important aux Etats-Unis, qui était interdit sur les écrans par le code de production hollywoodien jusqu'à la fin des années 1960.
La ville, Rosas, dans Wish, est présentée comme un endroit utopique qui accueille tout le monde sans distinction : se mélangent des personnages blancs et non blancs, certaines femmes sont voilées, Asha dit "Shalom" à un groupe de touristes. Cette mixité est parfaitement normalisée, ce qui est très rare dans l'imaginaire Disney-Pixar davantage habitué à spectaculariser des marqueurs d'altérité, à raciser les personnages. D'ailleurs, Asha échappe à tous les stéréotypes racisés traditionnels chez Disney-Pixar sans être pour autant "blanchisée" par la mise en scène : elle ne se transforme pas en animal, n'est pas animée par des croyances animistes, n'a pas besoin de travailler dur pour réussir, ne souffre pas de précarité, n'est pas une criminelle violente et n'est jamais aidée par un homme blanc néocolonialiste pour s'en sortir.

Causette: Dans votre livre, vous avancez que les productions Disney ont été plutôt pensées pour les filles et Pixar pour les garçons...
C.S: Historiquement, les histoires de princesses ciblaient un public de jeunes filles accompagnées de leurs mères. Mais rapidement, les studios Disney évoluent vers les récits d'animaux mignons et de quêtes de personnages masculins pour élargir leur public, ce qui n'a pas toujours été une réussite commerciale comme en témoigne le désintérêt pour les productions des années 1970 et 1980. Les équipes se sont donc à nouveau tournées vers les princesses avec La Petite sirène, en 1989. Lorsque Disney fait l'acquisition de Pixar, en 1991, les studios sont non seulement en charge de développer l'animation en 3D, mais aussi de diversifier le public. Pour attirer notamment les adolescents, en particulier les garçons, Pixar privilégie les aventures rocambolesques d'héros masculins (cowboys, robots, monstres). Cette division du public s'est ancrée durablement dans l'esprit des spectateur·ices. Il faut attendre Rebelle, en 2012, pour découvrir la toute première héroïne Pixar, une princesse de surcroît mais qui prend le contrepied des normes de féminité traditionnelles. 

Causette: Comment a évolué la masculinité dans ces fictions, entre héroïsme et masculinité plus soft ?
C.S : L'imaginaire Disney a longtemps donné l'impression de peu s'intéresser à la masculinité, à l'image des princes finalement assez fades, discrets, moins spectaculaires que les princesses. Le véritable changement a eu lieu à l'ère de la renaissance, à la fin des années 1980, parallèlement au grand retour des princesses mais aussi à l'arrivée des héroïnes rebelles (Ariel, Jasmine, Pocahontas, Mulan). L'imaginaire Disney, puis Pixar développe deux modèles de masculinités simultanés : la virilité visible, avec des physiques costauds, musclés (Triton, Gaston, la Bête, Hercule, M. Indestructible), des héros avides d'action et de compétition (Woody et Buzz, Flash McQueen). Et, de l'autre, des hommes plus sensibles, tantôt amoureux transits (John Smith, Hercule), tantôt pères célibataires ou au foyer (Dingo, le père de Nemo, le même M. Indestructible dans le second opus), mais aussi des intellectuels qui réfléchissent avant d'agir (comme les héros moins connus de La Planète au trésor et Atlantide, l'empire perdu). 

Causette: Du côté des personnages féminins, en quoi la féminité dite "hégémonique" et les beautés standardisées continuent-t-elles d'être privilégiées ?
C.S: Le physique des héroïnes est souvent interchangeable dans les productions Disney. De Cendrillon à Aurore, en passant par Raiponce, elles ont généralement les cheveux longs, blonds, une poitrine modeste, des hanches fines, des robes longues. En somme, une féminité traditionnelle et conservatrice. Mais aussi un physique aux proportions irréalistes voire problématiques : la taille de leurs hanches est, par exemple, plus étroite que l'écart entre leurs yeux, de quoi créer des complexes à la majorité du public ! Leur beauté est aussi presque toujours blanche, ou claire de peau, et valide (sans handicap), conditions nécessaires à leur désirabilité. Les rares femmes qui échappent à ces représentations sont, ou bien des méchantes soumises à des représentations grossophobes (Ursula), âgistes (Yzma) ou psychophobes (Cruella), ou bien des tantes, des vieilles dames bienveillantes mais célibataires, hors du marché de la désirabilité. Les héroïnes non blanches sont aussi davantage montrées comme des femmes fétichisées, sexualisées, contrairement aux blanches respectables : Esméralda est vue comme une tentatrice, Jasmine et Pocahontas portent des vêtements moins couvrants.

Causette: Comment sont présenté·es les personnages considéré·es comme "déviant·es", dans ces films ?
C.S: Dans l'imaginaire Disney-Pixar, l'hétéronormativité domine en maître sur les conventions affectives, romantiques et sexuelles, mais aussi sur les normes de genre, garantes de la désirabilité des personnages et donc du succès des histoires d'amour. Tout personnage qui dévie de l'hétéronormativité est facilement identifiable. D'abord physiquement, ils ne se conforment pas aux standards et inversent les normes de genre traditionnelles : les hommes tendent vers le féminin (maquillage, voix aiguë, physique fébrile) alors que les femmes tendent vers le masculin (cheveux courts, physique imposant, absence de poitrine). Plus menaçants, ils représentent bien souvent une résistance dangereuse contre le bonheur hétéronormé. C'est le cas des méchant·es queer qui veulent séparer les couples heureux comme Ursula et Jafar, voire kidnapper leurs enfants comme le Capitaine Crochet. Ce sont aussi des personnages étrangement célibataires et non intéressés par la magie de l'amour hétéro, comme Elsa, la reine des neiges, qui n'exprime aucun désir ou intérêt pour un homme contrairement à sa sœur, prête à tomber amoureuse du premier inconnu, comme le veut la tradition. Ces célibataires queer développent aussi souvent des amitiés ou des rivalités jugées bien trop ambiguës comme Rox et Rouky, Basil et Ratigan, ou récemment Raya et Namari, Luca et Alberto. 

Causette: Combien avez-vous comptabilisé de personnages "out" et quelles sont leurs caractéristiques ?
C.S: A l'exception de personnages figurants perçus comme des couples par les fans (dans La Reine des neiges, Le Monde de Dory, Zootopie, Toy Story 4), il n'existe que trois personnages out dans l'imaginaire Disney-Pixar. En 2020, dans le film Pixar En avant, Spencer, policière lesbienne, évoque son homoparentalité. En 2023, dans Buzz l'éclair, à nouveau chez Pixar, la commandante Alisha Hawthorne annonce ses fiançailles, embrasse sa compagne et devient mère d'un garçon. La même année, dans Avalonia, l'étrange voyage, une production Disney, enfin, le jeune adolescent Ethan, personnage bien moins secondaire, drague maladroitement un autre garçon avec qui il finit par se mettre en couple. Si Spencer était une créature fantastique avec une coupe de cheveux en sidecut clichée, Hawthorne et Ethan répondent à une volonté d'homonormaliser les personnages. Au programme : pas d'excentricité vestimentaire ou genrée contrairement à tous les personnages queer de l'imaginaire, et surtout une validation des héros hétéros comme le robot star Buzz ainsi que le père et le grand-père d'Ethan. En dépit de leur inclusion dans l'imaginaire, ces trois personnages demeurent soit secondaires (à l'exception d'Ethan), soit très peu bavards à propos de leurs identités et de leurs désirs LGBT+ (au total à peine trois minutes de dialogues compilés). Aucun·e d'entre elleux ne se présente d'ailleurs explicitement comme lesbienne ou gay. Les mots restent tabous. 

Causette: Que pensez-vous des efforts déployés par Disney-Pixar pour inventer de nouvelles narrations et des personnages plus inclusifs : du pur affichage ? Une vraie évolution ? Un peu des deux ?
C.S: D'un côté, évidemment, on serait tenté de penser que l'évolution tardive de l'imaginaire Disney-Pixar est un calcul marketing pour attirer de nouveaux publics et éviter la faillite. De l'autre, on ne mesure pas les efforts qu'il leur faut sûrement mobiliser pour imposer des représentations plus inclusives, année après année. Comme en témoignent régulièrement les équipes artistiques, les studios Disney et Pixar sont soumis à des pressions très fortes de la part des financeurs, très réfractaires à tout progressisme trop visible. Chaque échec commercial menace leur liberté créative et donne raison aux financeurs de l'ancienne génération. La moindre micro-avancée est donc une victoire non négligeable. D'autre part, les studios restent relativement autonomes dans leur gestion des ressources humaines, ce qui a permis depuis des années à Disney-Pixar d'être en avance sur l'inclusion et la protection des employé·es LGBT+, qui ont créé le premier syndicat LGBT+ au sein d'un studio hollywoodien. Historiquement, les studios Disney sont leader dans l'embauche des femmes dès les années 1930, puis la valorisation de celles-ci à des postes phares comme celui de réalisatrice, à l'instar de Jennifer Lee, la co-réalisatrice de La Reine des neiges, devenue créatrice en cheffe des équipes d'animation. Depuis les années 1990, les artistes non-blancs ont également participé activement au renouveau des studios et à la construction de représentations plus inclusives. 

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Décoder Disney-Pixar. Désenchanter et réenchanter l'imaginaire, de Célia Sauvage, éditions Daronnes, disponible, 25 euros.

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Wish: Asha et la bonne étoile, de Fawn Veerasunthorn et Chris Buck (en salles).

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