SPLIT Prendsmamain
© Caroline DUBOIS-FTV

Iris Brey : “Je trouve ça génial qu’une série les­bienne soit dif­fu­sée sur le ser­vice public !”

Iris Brey passe de la théorie à la pratique avec Split, une série diffusée sur la plateforme de France TV, qu’elle a écrite et réalisée de bout en bout. Non sans difficulté. Elle revient avec nous sur l’élaboration de cette histoire d’amour entre deux femmes, qui, pour une fois, se passe du regard masculin…

Causette : On vous connaît comme critique, universitaire et autrice, spécialiste de la représentation des genres et des sexualités dans les séries et au cinéma. Pourquoi, tout à coup, cette bascule de la théorie à la pratique avec Split, série que vous avez écrite et réalisée ?
Iris Brey : Je crois que j’ai toujours voulu réaliser. L’envie m’est venue lorsque je rédigeais ma thèse. J’en ai parlé à mon directeur, qui s’est un peu foutu de moi. Du coup, j’ai mis du temps à assumer, je ne me sentais pas assez forte. Au vu de mon bagage universitaire, je me sentais davantage en capacité d’écrire des essais critiques. Toujours le problème de se sentir légitime quand on est une femme ! Et puis les refus sont fragilisants…

Vous en avez essuyé beaucoup pour mener à bien cette première série ? A priori, on se dit que le succès de vos livres aurait plutôt dû vous ouvrir des portes, non ?
I. B. : Ça a été un vrai parcours du combattant ! Il a fallu, notamment, que je me batte pour réaliser seule. Comme c’était une première pour moi, on voulait me faire travailler en duo. D’ailleurs, vous pouvez jeter un œil sur France.tv Slash, la plateforme qui diffuse Split… Elle a beau être reconnue pour ses programmes novateurs, très peu de ses séries sont réalisées par des femmes seules. Mais moi, j’y tenais ! C’est même ce désir profond de mise en scène qui m’a donné envie de passer de l’autre côté. J’avais une vision très nette, alors je n’ai rien lâché. Pour le coup, j’avais grandi depuis ma thèse : je savais que je possédais les armes nécessaires, désormais, pour parler des thèmes qui me sont chers…

Précisément, plusieurs thèmes irriguent votre série. Le premier, le plus immédiat, est celui du cinéma puisque Split a pour cadre un tournage et pour héroïnes une cascadeuse et une actrice. Pourquoi ce choix du “film dans le film” pour votre première fois ? C’est assez risqué au vu du nombre de cinéastes qui se sont essayé·es à l’exercice !
I. B. : Eh bien, déjà, parce que j’aime profondément le cinéma ! L’enjeu était d’autant plus excitant que je n’avais jamais mis les pieds sur un plateau avant cette expérience. C’était donc un endroit fantasmé pour moi, sur lequel j’ai écrit à l’aveugle. Et puis, bien sûr, il y a le personnage de Musidora, qui est au cœur du film dans le film, et de cette mise en abyme. Musidora n’était pas seulement la muse des surréalistes, qui se fit connaître grâce à son rôle d’Irma Vep dans la série Les Vampires, de Pierre Feuillade, comme on la présente encore trop souvent. C’était une cinéaste, elle a écrit notamment des films avec Colette, avec laquelle elle a vécu une histoire d’amour. C’est aussi la première comédienne à avoir réalisé elle-même ses cascades. Bref, c’était un personnage précurseur, qui s’est affranchi de tous les codes, donc qui m’intéressait énormément…

Il n’y a pas que vous qu’elle a intéressée puisque Musidora est également au cœur d’Irma Vep, la belle série d’Olivier Assayas diffusée il y a tout juste un an sur OCS. Ça ne vous a pas fait peur de vous lancer après lui ?
I. B. : J’avais déjà commencé à écrire ma série quand j’ai appris qu’Assayas écrivait la sienne, une relecture de son film éponyme… mais avec 50 millions de plus que moi [sourire] ! J’aime beaucoup son cinéma, je l’avais même invité dans mes cours pour qu’il vienne nous parler d’Irma Vep justement, le film originel qu’il a réalisé en 1996 avec Maggie Cheung. Donc tout va bien ! En fait, je me suis dit que nos deux œuvres allaient se répondre, puisque pour lui Musidora est une figure du cinéma et que pour moi, c’est une femme libre d’aimer et de faire des cascades.

Le deuxième thème qui hante votre série est celui du double. Ainsi, vos deux comédiennes – Alma Jodorowsky et Jehnny Beth – se ressemblent étrangement. Par ailleurs, la première interprète une cascadeuse qui est la doublure de la seconde… dont elle va tomber amoureuse. Expliquez-nous ce jeu de miroir troublant !
I. B. : Split, en anglais, signifie “division”. C’est de cela que parle ma série, d’un corps scindé en deux, qui se dédouble avant de se réunir, puisque la cascadeuse qui double l’actrice tombe amoureuse d’elle. D’où l’effet miroir. Et d’où l’utilisation récurrente du split screen (l’écran est divisé en plusieurs parties). Ce procédé m’a donné une grande liberté ! Il m’a permis de montrer les endroits de scission, un peu comme une cicatrice, une ligne de suture ; mais aussi ceux où les deux images se recollent et ne font plus qu’une. Je dois reconnaître que c’était parfois difficile à tourner, mais on a procédé de façon artisanale et très collective. Mon équipe était jeune, majoritairement féminine et hyper créative, j’ai adoré ! Et puis je me suis pas mal inspirée, aussi, du cinéma de Germaine Dulac, de Jane Campion et de David Lynch. J’avais envie de quelque chose de poétique, de merveilleux, d’idéal même… de l’ordre de la rêverie ou du conte de fées.    

L’autre grand sujet de Split, c’est le désir et la naissance d’un amour ; précisément d’un amour lesbien. Un choix qui résonne de façon politique, non ?
I. B. : Je voulais montrer qu’une femme pouvait sortir de l’hétérosexualité, se confronter à un désir bouleversant, auquel elle n’avait jamais pensé, sans que cela soit violent ou malheureux. D’ailleurs, la question n’est pas que son mec soit méchant ! Ici, les conflits sont internes, ils n’ont pas besoin d’être incarnés par quelqu’un. Ça aussi j’y tenais : pas d’antagonisme, je voulais être amie avec tous mes personnages. Mais j’ai eu du mal lorsque je présentais mon scénario pour obtenir des financements : on me disait qu’il n’y avait pas assez de péripéties. Heureusement que j’ai travaillé avec Clémence-Madeleine Perdrillat (scénariste de Nona et ses filles, En Thérapie, Irrésistible) ! Elle a su me défendre et convaincre les décideurs. Donc pour répondre à votre question, montrer qu’un amour peut évoluer, montrer la joie, le bonheur, la vie qui va avec, en bref montrer un récit de lesbiennes heureuses, bien sûr que c’est politique.

La façon dont vous filmez les scènes de sexe retient également l’attention. Peu de nudité, des plans serrés, des poils qui se hérissent : on est loin du male gaze habituel ! Doit-on y voir une sorte de manifeste ?
I. B. : Disons que cette série est une façon de réfléchir à d’autres modalités, d’autres représentations. L’idée, c’est de montrer comment les femmes peuvent être connectées à leur désir, mais aussi que le sexe peut sortir de la domination, qu’il peut être un récit de l’échange et du partage. Mais là encore… ça a été compliqué ! Non pas sur le plateau, où nous avons travaillé avec une coordinatrice d’intimité, dans le respect et la douceur avec les comédiennes, qui avaient d’ailleurs un droit de regard au montage, mais après. On m’a ainsi demandé de couper ces scènes de quelques secondes, sous prétexte que les orgasmes étaient trop longs et qu’il y avait trop de va-et-vient ! J’ai accepté de modifier les épisodes 2 et 3 pour éviter qu’ils soient interdits aux moins de 16 ans (ils sont “seulement” interdits aux moins de 12 ans). Mais je n’ai pas touché l’épisode 4, donc, il ne sera disponible sur la plateforme que de 22 h 30 à 6 heures du matin. Cette censure me heurte profondément.

Est-ce à dire que vous regrettez ?
I. B. : Non, je ne regrette pas du tout, je trouve même ça génial qu’une série lesbienne soit diffusée sur le service public ! Disons qu’on a essuyé les plâtres [sourire].

Split, d’Iris Brey. Série de 5 épisodes de 20 min. À partir du 24 novembre sur France.tv Slash

Lire aussi I Docu : “Sex is comedy”, dans la peau d’une coordinatrice d’intimité

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