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Susanna posant dans le jardin de la Casa Susanna, circa 1965, dans le documentaire Casa Susanna (2022) réalisé par Sébastien Lifshitz. © Collection of Cindy Sherman

"Casa Susanna" : le refuge pour tra­ves­tis dans les États-​Unis des années 60 est l'objet d'un nou­veau docu pépite de Sébastien Lifshitz

Disponible sur Arte.tv, Casa Susanna nous entraîne dans la folle et douce histoire de la maison ouverte de Maria et Susanna-Tito, qui ont accueilli pendant des années des hommes qui aimaient s'habiller en femme mais aussi des femmes trans pionnières. Et comme toujours chez Sébastien Lifshitz, l'émotion est au rendez-vous.

C'est une maison d'apparence anodine, en bois peint, comme il s'en fait tant dans cette région campagnarde aux pieds des Catskills, montagnes situées au nord de New-York. Pourtant, les souvenirs enfouis entre ses murs racontent un moment de liberté et d'aventure collective qu'on aurait du mal à imaginer si les protagonistes n'étaient pas là pour le raconter dans Casa Susanna, disponible sur Arte.tv : dans cette petite demeure flanquée de sa pelouse et de sa dépendance ayant servi de cabaret, une communauté d'égaré·es de la norme et leurs proches ont inventé une nouvelle façon de vivre, loin de la pudibonderie des années 50-60.

Certains étaient des hommes dont la passion était de s'habiller en femmes. D'autres avaient toujours su qu'elles étaient nées dans le mauvais corps et étaient femmes. Tous·tes, grâce au bouche-à-oreille circulant dans la bourgeoisie éduquée américaine, intégraient le cercle secret gaiment tenu et élargi par Susanna et sa femme Maria. Maria s'était mariée à Susanna lorsqu'elle était encore Tito et avait continué de l'aimer lorsque Tito s'était épanoui en Susanna. Alors, le couple avait acheté une maison loin du qu'en-dira-t-on et avait fait du lieu un point de rencontre, de fête et de brassage pour les hommes sortant des carcans de leur genre.

« J'ai grandi en jouant le jeu et je l'ai très bien joué », remarque Diana, l'une des femmes trans témoignant dans Casa Susanna, qui se sera mariée avec une femme parce qu'il lui est inenvisageable de faire autrement. « À l'époque, on se disait travestis, pas transgenre », raconte Kate, rappelant que dans ces années, la transidentité est un vécu sur lequel peu de mots sont encore posés.

De fait, parmi les dizaines d'hommes ayant fréquenté la Casa Susanna le temps d'une nuit ou de plusieurs mois, plusieurs évolueront au fil du temps, passant de travesti à femme trans. Certaines recourront même aux premières thérapies hormonales, d'autres opteront pour la chirurgie. La Casa Susanna devient alors un havre où, en plus des paillettes des spectacles de cabaret qui s'y tiennent, la communauté se transmet un savoir balbutiant et les noms des docteurs alliés de la cause.

Mais ce qui frappe le plus dans l'épopée de la Casa Susanna telle que racontée par Sébastien Lifshitz, c'est la place des épouses de ces hommes en marge. Comme Maria, nombreuses sont celles qui ont trouvé la force de rester fidèles et de braver la honte de sortir des normes étriquées de l'après-guerre en accompagnant Monsieur dans la sulfureuse Casa. Il est d'ailleurs intéressant de comprendre au fil du documentaire que ces hommes sont quelque part plus conformistes que leurs épouses : chez Susanna, on n'accepte pas les hommes gays, parce que ces travestis qui adorent s'habiller en bourgeoise distinguée se revendiquent hétéros.

Peut-être ces épouses y trouvaient-elles leur compte. Peut-être aussi ont-elles embrassé une posture sacrificielle, parce que le divorce n'était forcément une option. « Je sais que mon père aimait profondément ma mère, mais je ne l'ai jamais vu amoureux », confie à la caméra Mendy, la fille de l'un des habitué·es de la Casa Susanna.

La force de ce documentaire qui prend son temps (1h30), c'est de rendre hommage aux fabuleuses créatures queer ayant peuplé la Casa Susanna, sans oublier les familles, épouses et enfants, qui ont composé avec ce mode de vie underground imposé. Présenté dans plusieurs festivals de prestige - Festival de Venise, Toronto International Film Festival - Casa Susanna vient combler un pan manquant de l'histoire de la transidentité, avec la sensibilité à laquelle Sébastien Lifshitz (Petite fille, Adolescentes...) commence à nous habituer.

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