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Camélia Jordana dans le rôle de Malika pour le film Avant que les flammes ne s'éteignent. © Bac Films

Camélia Jordana : “Des femmes qui se sont bat­tues pour hono­rer la mémoire des leurs, il y en a eu des tonnes malheureusement…”

Un drame sur fond de violences policières, une famille endeuillée, une sœur en quête de vérité et de justice : Avant que les flammes ne s’éteignent, premier film élégant signé Mehdi Fikri, offre l’un de ses plus beaux rôles à Camélia Jordana. Elle répond à nos questions…

Causette : Malika, votre personnage, est une héroïne à la fois très moderne et qui évoque les plus grandes tragédies antiques. Certainement l’un de vos plus beaux rôles ! Parlez-nous d’elle, cette sœur qui, à la suite de la mort de son petit frère lors d’une interpellation par la police, va se battre pour qu’un procès ait lieu...
Camélia Jordana : Comment ne pas penser à Antigone, bien sûr ? Comme elle, Malika veut honorer la mémoire de son frère, et, comme elle, est en quête de vérité et de justice. Lorsque j’ai lu le scénario de Mehdi [Fikri, le réalisateur, ndlr], j’ai été très touchée par cette histoire, sa structure, son universalité. Nous nous sommes donc rencontrés une première fois dans un café, puis une deuxième, une troisième… Bref, un lien de confiance s’est établi entre nous et l’on a pu ainsi travailler sur l’ensemble du scénario, notamment sur la façon dont Malika évolue puisqu’elle se découvre une force, au fur et à mesure des événements, à laquelle peu de choses peuvent résister. Oui, c’est cela qui m’a intéressé chez elle : Malika est un personnage qui se construit, s’émancipe. Elle n’est pas une militante à la base, elle croit en la justice de son pays au départ, et c’est seulement lorsqu’elle se rend compte qu’il y a des failles dans cette justice qu’elle se transforme, apprend à nommer le drame qui lui arrive et en fait quelque chose. En l’occurrence, elle choisit de s’armer avec des mots, ceux du vocabulaire judiciaire, qu’elle apprend à maîtriser…

La connotation politique du film, qui noue son intrigue sur fond de violences policières, est indéniable et d’ailleurs assumée par son réalisateur. Au vu de vos déclarations sur les violences policières en France, en mai 2020 dans l’émission On n’est pas couché, on peut s’interroger : votre participation relève-t-elle d’un choix artistique ou… politique ?
C. J. : C’est d’abord un choix artistique. D’ailleurs, le film de Mehdi est très élégant, son image est belle, sa lumière aussi et son récit très intelligent. Il a été salué dans plusieurs festivals de renom. Après… on connaît mon engagement. Le fait que j’ai posé en Marianne sein nu à la Une de L’Obs, ou que j’ai chanté Quand on a que l’amour avec Nolwenn et Yaël Naïm après les attentats du 13 novembre, tout cela parle pour moi. Je l’assume pleinement. Car je suis une citoyenne française, une femme sensible aussi bien à la cause d’une personne qui a du mal à remplir son frigo qu’à une personne en proie aux violences policières. Mais je suis aussi, surtout, une actrice… donc le Petit Poucet du militantisme ! En fait, mon rapport à l’art, qui est de l’ordre de la survie, me permet de dire tout ce que j’ai en dedans, mais autrement. Ainsi, ce que j’aime dans le film de Mehdi, c’est qu’il prend le temps d’aller vers la complexité, à la différence d’une réponse dans un média, sur un plateau de télé, où le rythme n’est pas le même… puisque vous m’en parlez [sourire].

D’une certaine façon, Avant que les flammes ne s’éteignent pourrait être la meilleure des réponses aux polémiques qui ont suivi vos déclarations en 2020, non ?
C. J. : Ça n’était pas du tout ma démarche : comme je vous l’ai dit, c’était le trajet de Malika qui m’intéressait avant tout. En revanche, il me semble qu’avec une œuvre d’art, notamment une œuvre comme celle-ci, on peut très humblement proposer un changement de point de vue. Attention, l’idée n’est pas de se substituer aux regards existants, mais de les déplacer, de les nourrir autrement, en montrant de l’intérieur comment une famille vit ces violences, ces morts, ces deuils. J’insiste : oui, ces policiers qui tuent, qui sont une minorité heureusement, ils existent. Mais pour moi, ces violences policières sont le décorum du film, car ce qu’Avant que les flammes ne s’éteignent veut raconter, d’abord, c’est comment la mort de Karim, le petit frère de Malika, va bouleverser les liens de cette famille et comment chacun va vivre son deuil…

Outre Antigone, figure mythique, Malika peut également faire penser à une figure contemporaine, à savoir Assa Traoré, sœur aînée d’Adama Traoré, mort en 2016 après son interpellation par les gendarmes. Y avez-vous songé ?
C. J. : On ne peut pas ne pas penser à elle, qui est une figure importante de la cause, mais je me suis également beaucoup intéressée au parcours de Ramata Dieng* ou d’Amal Bentounsi. Cette dernière, fondatrice du collectif Urgence contre les violences policières, s’est engagée à la mort de son frère, tué en 2012 par un tir policier. De fait, des femmes qui se sont battues pour honorer la mémoire des leurs, il y en a eu des tonnes malheureusement…

Un autre combat se profile à travers votre personnage, celui de la représentation des femmes racisées dans le cinéma français. Pour le coup, Malika échappe à bien des stéréotypes ! Était-ce important pour vous, petite-fille française de grands-parents immigrés algériens ?
C. J. : Ce qui est important, c’est qu’il y ait de la place, aujourd’hui dans le cinéma français, pour ce type de personnages et pour des réalisateurs comme Mehdi. Le fait qu’ils aient leur place, ça me paraît nouveau d’ailleurs. Je ne pense pas que l’écoute était la même lorsque j’ai parlé sur le plateau de Ruquier il y a trois ans. Et cela me réjouit… de même que l’on puisse me proposer des projets comme celui-ci !

* Ramata Dieng est la sœur de Lamine Dieng, décédé le 17 juin 2007 dans un car de police après avoir été immobilisé et pressé au sol alors qu’il résistait à son arrestation. 

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Avant que les flammes ne s’éteignent, de Mehdi Fikri. En salles.

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