photography of school room
Une classe (© Feliphe Schiarolli)

Éducation à la sexua­li­té : après les annonces de Pap Ndiaye, les asso­cia­tions demandent plus « d'actes poli­tiques » et moins de « communication »

Pour faire appliquer les trois séances obligatoires d’éducation à la vie affective et sexuelle à l'école, Pap Ndiaye a promis l'élaboration d'un programme scolaire dédié et la mise en place d'une formation. Pour les observateur·trices et associations qui interviennent en milieu scolaire, ces annonces ne sont pas suffisantes et des moyens financiers sont demandés.

Un programme d'éducation à la sexualité et un plan de formation « ambitieux » des personnel·les éducatif·ves. Ce sont les deux annonces réalisées cette semaine par le ministre de l'Éducation Pap Ndiaye, afin de faire appliquer et respecter les trois séances d’éducation à la vie affective et sexuelle censées être données chaque année, de l'école primaire au lycée, depuis la loi Aubry de 2001. Ces annonces, attendues, interviennent dans un climat tendu. Trois associations (Le Planning familial, SOS Homophobie et le Sidaction) ont récemment décidé d'attaquer l'État en justice afin de demander « l’application pleine et entière de la loi de 2001 ». Car le texte de loi est peu ou pas appliqué, comme l'avait notamment révélé une enquête du collectif Nous Toutes, l'année dernière.

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Concrètement, le Conseil supérieur des programmes a été saisi afin d'élaborer un programme d'ici à l'automne 2023 dédié à ce sujet pour que les personnel·les « disposent d’un cadre clair et précis, par niveau et par cycle, qui leur permettra de mettre en place cet enseignement », explique le ministère de l'Éducation nationale à Causette. « On aura alors un instrument qui permettra de construire les séances, poursuit-il. (...)  Le monde de l’éducation est particulièrement sensible à l’existence d’un programme, cela légitime l’enseignement et contribuera de ce fait à ce que les trois séances soient données. » Concernant les formations, « un premier niveau sera accessible à tous les agents », selon la rue de Grenelle, qui ne précise cependant pas s'il sera obligatoire, et une formation continue existera pour « les agents de l’Éducation nationale qui sont ou seront amenés à dispenser effectivement ces séances ».

Un comité de liaison, intégrant des lycéen·nes et des parlementaires, devrait aussi être lancé afin d'observer l'intérêt de ces mesures. « Les différentes mesures prises visent à faire appliquer la loi concernant les séances. Nous constatons des progrès, mais ils restent insuffisants et cela justifie les nouvelles mesures annoncées par le ministre. Une enquête sera faite à la fin de l’année scolaire 2023/2024 pour suivre les progrès de la mise en œuvre des séances », promet le ministère.

« Donner l'illusion d'un cadre »

Ambitieuses ces annonces ? Pour le Dr Kpote, fidèle collaborateur de Causette qui intervient depuis une vingtaine d'années dans les lycées et centres d'apprentissage d'Île-de-France en tant qu'animateur en santé sexuelle, il ne s'agit ici que de « donner l’illusion qu’on va créer un cadre ». « Comme si les séances n'étaient pas déjà cadrées, peste-t-il auprès de nous. Toutes les associations qui interviennent dans les établissements ont des programmes. Et au sein de l'éducation nationale, il existe déjà le site Éduscol, avec des ressources pour créer ces séances. Je pense que Pap Ndiaye réagit à la vague de réacs et de familles sur les réseaux sociaux qui parlent de transidentité, de théorie du genre... Il souhaite les rassurer avec ce cadre. »

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Sur Éduscol, un site web créé par le gouvernement pour accompagner les professionel·les du monde éducatif, il existe en effet un onglet consacré aux enjeux de l'éducation à la sexualité. Des informations sont données sur les contenus à aborder, et des démarches sont indiquées pour se former, notamment en continu : « Les académies, dans le cadre de leur plan académique de formation (PAF), proposent des formations sur l'éducation à la sexualité, peut-on lire dessus. Elles s'adressent au personnel pédagogique du premier et second degré, au personnel éducatif et au personnel administratif, technique, social et de santé. »

Interrogé sur l'existence de ces formations, le ministère de l'Éducation botte en touche, affirmant qu'« il est nécessaire de faire un effort de formation supplémentaire notamment pour accompagner la création du programme ». Avant d'ajouter : « De la même manière, les ressources doivent être développées et adaptées au nouveau programme. L’enjeu est de permettre que les équipes de l’Éducation nationale soient bien accompagnées pour être en capacité de délivrer cette éducation dans de bonnes conditions. »

Des moyens financiers

De son côté, Sarah Durocher, la présidente du Planning familial, salue le fait que Pap Ndiaye « parle enfin d'éducation à la sexualité » et trouve « positif » de vouloir encore plus former les professionnel·les du monde éducatif. Elle attend néanmoins « des actes politiques et pas seulement des actes de communication » et déplore que le ministre n'ait pas parlé du travail et de l'expertise des associations. « Au Planning, on intervient dans énormément d’établissements, poursuit Sarah Durocher. On refuse même certaines des demandes. Nous aidons également à former les membres de l'éducation nationale et les infirmières scolaires. Il faut travailler avec les associations. Nous avons un savoir-faire qui n'est pas repris par Pap Ndiaye. Ce n'est pas simplement aux professeurs de faire l'éducation à la sexualité. D'ailleurs, certains ne veulent pas forcément intervenir car ils considèrent que ce n'est pas leur rôle de parler de sexualité. »

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Pour le Dr Kpote, « il faut mettre la pression sur les chefs d'établissement » et « donner aux associations les moyens d'intervenir plus souvent ». « On pourrait imaginer que la première séance soit donnée par une infirmière, la deuxième par un prof et la dernière par une association, pour avoir un côté transversal, souligne-t-il. Ces séances sont importantes. Il s'agit du seul moyen de diminuer les violences sexistes et sexuelles. Entre le début et la fin de l'année, j'observe un vrai changement de mentalité des élèves, ça bouge dans leurs représentations. »

Le Planning familial demande lui aussi « plus de moyens » afin de lutter contre la hausse des violences sexuelles, des LGBTphobies et le développement des IST. « Dans les budgets des ministères, on veut une vraie ligne dédiée aux moyens financiers des associations », affirme Sarah Durocher. Cette dernière demande au gouvernement de s'adresser aux parents pour préciser ce que sont ces cours d'éducation à la vie affective et sexuelle. « Il est frileux, estime-t-elle. Pourtant il y aurait les moyens de faire appliquer la loi. On veut des actes, il y a urgence à agir vite ». Au premier semestre 2024, le Planning, SOS Homophobie et le Sidaction seront fixés sur la tenue ou non d'un jugement dans leur recours en justice contre l'État. Les lignes bougeront alors peut-être à cet horizon.

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