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© Contre Attaque

« On doit des excuses aux femmes qui ont arrê­té le foot, aux filles qui n’ont jamais pu jouer et à celles qui persistent »

Causette s’associe au webzine Contre Attaque, média créé par de jeunes amatrices de foot et dont nous vous parlions ici. Toutes les deux semaines, le samedi, vous trouverez sur notre site l’un de leurs articles.
Dans ce deuxième épisode, nous vous proposons le texte de Lydia Treloar, qui nous raconte les difficultés des filles à trouver leur place dans les clubs de foot.

Pour lire les beaux webzines de Contre Attaque, c’est ici.

Par Lydia Treloar

"Je ne pense pas vous surprendre en vous annonçant qu’en 2021, les femmes ne représentent que près de 10% des licencé·es en France. C’est-à-dire 198 340 licenciées pour un total de 1 933 630 licencié·es. Certes, le nombre de licenciées est incontestablement en hausse puisqu'en 2012, les pratiquantes représentaient seulement 2% des joueur·euses. Mais le football demeure le sport le plus pratiqué selon l’INSEE. De ce fait, pourquoi, si un sport est si pratiqué en France, les femmes représentent-elles toujours qu’une minorité ?

Sûrement car l’accès au football pour les filles est rendu difficile par une culture footballistique traditionnellement masculine, et ce dès notre jeune âge et dès la cour de récréation. En bref, les chiffres sont là : les filles n’ont pas autant d’occasion de toucher le ballon que les garçons. Mais concrètement, que représentent ces chiffres pour des jeunes joueuses ?

Les filles sur le stade en 2010

La première fois que j’ai enfilé des crampons, j’avais 7 ans. J’avais passé les
deux années précédentes à supplier ma mère de m’inscrire au football et je
passais mes journées à y jouer. Toutefois, tout comme à la récréation, j’étais la
seule fille qui jouait au football dans ce club. À mon arrivée, le coach avait passé cinq minutes à expliquer aux garçons que ce n’était pas parce que j’étais une fille que j’étais moins forte et malgré le fait que tous l’écoutaient, je n’eus même pas à toucher le ballon que j’étais considérée directement comme la moins douée du groupe. S’ensuit une exclusion du groupe, des moqueries et des remarques plus qu’insultantes. Même si depuis deux ans je ne rêvais que de m’inscrire dans un club de football, au bout de deux entraînements je ne prenais plus de plaisir à y aller.

« Moi qui étais si heureuse de posséder des crampons comme les footballeurs que je voyais à la télé, j’étais devenue vite désemparée face à l’ambiance misogyne que peuvent instaurer des garçons de 8 ans »

Lydia Treolar

Un sentiment de dégoût a alors envahi ma passion pour le football. Moi qui
étais si heureuse de posséder des crampons comme les footballeurs que je
voyais à la télé, j’étais devenue vite désemparée face à l’ambiance misogyne que
peuvent instaurer des garçons de 8 ans. J’ai évolué pendant deux ans au sein de
ce club et la deuxième année j’ai été accompagné de deux filles. J’avais pris
confiance en moi et je jouais comme je le voulais et non comme les garçons le
voulaient (c’est-à-dire ne pas garder le ballon plus d’une seconde si par chance
on m’avait fait la passe). À mes 9 ans, j’ai changé de club pour aller jouer avec
des garçons de ma classe et la première chose qu’on ait dit de moi à ce club était
« c’est pas terrible » après deux minutes d’entraînement…

Il fallait être meilleure qu’eux, il fallait faire deux sinon trois fois plus d’efforts,
il fallait être irréprochable, s’excuser à chaque fois que je perdais le ballon. Il
fallait ne pas trop parler ou faire sentir sa présence. En somme, je me devais
d’être invisible. Dans ce club nous étions deux filles dont une qui était incroyablement forte (qui évolue maintenant aux États-Unis il me semble) et nous étions sans cesse comparées malgré nos trois ans de différence… J’ai finalement réussi à trouver ma petite place, je me suis petit à petit imposée et ai gagné du respect des garçons. Cependant, contrairement à eux le respect ne m’était pas accordé à l’entrée du terrain mais seulement après avoir marqué des buts, fait plus de jongles qu’eux, gagner les duels…

« À 13 ans, j’ai été contrainte d’arrêter car on n’était plus autorisées à jouer dans des équipes mixtes en raison du fait que les différences physiques se faisaient sentir. Par manque de club féminin autour de chez moi, je me suis restreinte au jardin »

Lydia Treolar

Je me souviens d’ailleurs avoir croisé peut-être trois filles au cours des tournois et matchs en trois ans, et elles aussi n’avaient visiblement que peu de place au sein de leur groupe. Bien que je m'épanouissais plus ou moins dans ce sport, à l’âge de treize ans j’ai été contrainte d’arrêter car on n’était plus autorisé à jouer dans des équipes mixtes en raison du fait que les différences physiques se faisaient sentir. J’ai donc dû arrêter ce sport et par manque de club féminin autour de chez moi, être restreinte au jardin pour m’améliorer. Bien qu’il y ait d’autres endroits où jouer au football (cityparks, five, cours de sport…) j’ai toujours eu beaucoup de mal à m’y intégrer : d’une part n’osant pas demander et d’autre part car les garçons refusent de s’adapter à nous les filles. Ils poussent et s’appuient plus sur un jeu physique (par des coups d’épaules par exemple) que sur un jeu technique. C’est donc les filles qui s’adaptent aux garçons quand on joue ensemble et jamais l’inverse. De ce fait, il est incontestable que le foot en 2010 était un espace réservé aux garçons où la domination masculine était flagrante.

En tant que jeune fille, il fallait à la fois convaincre ses parents de l’inscrire au football, s’intégrer dans le groupe en étant directement considérée inférieure et doubler ses efforts tout en faisant face aux remarques sexistes, en essayant de se convaincre qu’on a le droit d’y jouer et enfin à continuer malgré les encouragements des autres à arrêter et se mettre à la danse plutôt.

Les filles au stade en 2020

Les femmes représentent aujourd’hui près de 10% des licencié·es en France et on peut désormais les voir occuper le stade dans sa totalité. Je n’avais jamais vu un stade occupé uniquement par des filles en dehors des grandes villes françaises jusqu’à maintenant. Ainsi, petit à petit des équipes de filles se forment dès le plus jeune âge et ces dernières s’approprient le sport, et s’accaparent le terrain.

Une jeune fille que j’entraîne régulièrement depuis quelques années et qui a commencé le football en club il y a deux ans me confie souvent son ressenti sur la pratique du football en France pour une fille. Je me suis rendue à un de ses premiers matchs il y a maintenant deux ans et j’ai été surprise par la quantité de jeunes filles sur le terrain, je n’avais jamais vu ça ! Lorsque je me rends à ses entraînements, le stade sur lequel elle joue est entièrement occupé par des filles allant de cinq ans à quinze ans, de parents qui regardent leurs filles s’épanouir dans le sport qu’elle a pu choisir, des frères et des sœurs qui encouragent et des coachs attentionnés (mais pas de coach femme…).

« Ces filles sont peu au courant de l’actualité du football féminin, leurs maillots sont floqués Messi, Mbappe… mais pas Renard - ou Henry »

Lydia Treolar

Toutefois, ces filles sont peu au courant de l’actualité du football féminin (tout comme moi en 2010), leurs maillots sont floqués « Messi », « Mbappe »… mais pas « Renard » - ou « Henry ». Elles ne suivent pas les compétitions féminines et ne connaissent que peu de joueuses féminines. Cependant, elles savent qu’elles existent puisque X me dit vouloir devenir « footballeuse » malgré la honte qu’elle ressent de le vouloir (les garçons de douze ans le disent pourtant sans gêne) et parvient même à énumérer des joueuses de l’équipe de France. Et malgré les chiffres prometteurs du nombre de licenciées, ces jeunes filles retrouvent les mêmes difficultés que moi qu’en 2010.

Il aura ainsi fallu deux ans d’encouragement et de persuasion pour qu’X s’inscrive dans un club, cette dernière ayant « honte » de jouer, « peur » des jugements des autres et notamment des garçons. Cette peur, on la retrouve quand sur un stade qu’elle occupe depuis déjà une heure, un groupe de garçons parvient à la faire ranger son ballon dès leur arrivée sur le terrain.

« L'équipe de France féminine joue encore pour une nation qui ne connait même pas leurs noms.»

Lydia Treolar

On nous a volé un rêve d’enfant car nous, les femmes, n’avons pas eu l’opportunité de rêver comme les garçons de notre âge. Nos rêves s’arrêtaient dès le moment où on se rendait compte de notre exclusion, dès que nous nous rendions compte qu’il n’y avait pas de femmes qui jouaient au football à la télé. On voulait être Messi, mais nous on ne pouvait pas être Messi. Lui, c’est un homme, et nous les femmes, on n’occupe pas le terrain, on ne nous donne pas de place sur le terrain. Et on ne pouvait pas savoir que des Wendie Renard existaient, on ne nous les montrait pas à la télé, on n’en parlait pas. Ces femmes jouaient et jouent encore pour une nation qui ne connait même pas leurs noms.

Le rêve de footballeuse nous était interdit, on nous disait que les postes ne se déclinaient pas au féminin, que le mot footballeuse n’existait pas. Alors, si ça n’existe pas, pourquoi rêver de ça ? Donc même si on aime le football, si on nous
dit que dans ce sport il n’y a rien pour nous, pourquoi continuer ? On doit des excuses aux femmes qui ont arrêté le foot, aux filles qui n’ont jamais pu jouer, aux filles qui persistent malgré les injonctions. Nous avons dû attendre que vous étiez prêts, vous les hommes, à nous laisser jouer, à nous laisser toucher le ballon. De plus, une fois sur le terrain vous nous encouragez sans cesse à arrêter. Et lorsque vous nous encouragez il est souvent trop tard…

Aujourd’hui, je vois des filles jouer, occuper le stade, cet espace qui leur était interdit et je ne peux que les envier et être heureuse pour elles, mais au fond de moi j’ai la rage. J’ai la rage parce que moi, je n’ai pas eu droit à ça, je n’ai pas pu vivre ça. Et vous passez votre temps à défendre ce sport comme étant le meilleur sport, le sport suprême, mais comment pouvez-vous prétendre que ce sport est le sport majeur si ce dernier exclut les femmes en permanence ? Nous comptons continuer à occuper ce qui était auparavant votre terrain, votre stade, et nous comptons aussi nous approprier ce sport et nous y épanouir."

Contre Attaque, épisode 1 l Stéphanie Frappart, première femme du monde à arbitrer l’Euro masculin

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