stephanie frappart
UEFA Women's Champions League - FC Bayern vs Goteborg FC on 25.09.2019 at the FC Bayern Campus

Stéphanie Frappart, pre­mière femme du monde à arbi­trer l'Euro masculin

Causette s'associe au web­zine Contre Attaque, média créé par de jeunes ama­trices de foot et dont nous vous par­lions ici. Toutes les deux semaines, le same­di, vous trou­ve­rez sur notre site l'un de leurs articles.
Dans ce pre­mier épi­sode, nous vous pro­po­sons le por­trait de Stéphanie Frappart, arbitre qui brise tous les records. Elle vient d'ailleurs d'être sélec­tion­née pour l'Euro mas­cu­lin 2021, qui débute le 11 juin. Une pre­mière pour une femme. 

Pour lire les beaux web­zines de Contre Attaque, c'est ici.

« Elle est sou­riante et menue… Mais sait se faire res­pec­ter sur un ter­rain. » Voilà com­ment était décrite Stéphanie Frappart en sep­tembre 2016, en intro­duc­tion d’une inter­view dans La Nouvelle République1. Si la for­mule est sexiste, elle a au moins pour mérite de rap­pe­ler, cinq ans plus tard, que la place des femmes dans le foot­ball est tout sauf une évi­dence. Le par­cours de l'arbitre n'en est alors que plus remar­quable. Désignée en jan­vier à la pre­mière place des « Trente qui font le foot­ball fran­çais » par L'Équipe, et fraî­che­ment sélec­tion­née pour faire par­tie des arbitres de l’Euro 2021, Stéphanie Frappart paraît désor­mais par­tie pour mar­quer de son empreinte le foot­ball international.

Née le 14 décembre 1983, c’est d’abord par le jeu que Stéphanie Frappart
intègre le foot­ball, sur les ter­rains du Val d'Oise (95). D’après les mots d’un des entraî­neurs de son pas­sé de joueuse2, « Stéphanie avait une men­ta­li­té de gagnante, elle était le moteur de l’équipe, en sou­tien de l’attaquante, elle orga­ni­sait le jeu. » D’organiser à super­vi­ser, il n’y a eu qu’un pas : l'adolescente mêle rapi­de­ment jeu et arbi­trage, en super­vi­sant des matchs de pous­sins et de ben­ja­mins. C’est à l’entrée à la fac de sport qu’elle se tourne défi­ni­ti­ve­ment vers l’arbitrage. Dans un contexte de média­ti­sa­tion du foot­ball fémi­nin moins impor­tante qu’aujourd’hui, elle déve­loppe une envie d'être celle qui tranche sur le ter­rain, et le foot­ball mas­cu­lin lui ouvre ses pelouses. Après le CFA (Championnat de France de foot­ball de National 2) et le National, elle devient à 31 ans en 2014 la pre­mière femme à super­vi­ser un match pro­fes­sion­nel mas­cu­lin en Ligue 2. La même année, elle est nom­mée meilleure arbitre fémi­nine aux tro­phées de l'Union natio­nale des foot­bal­leurs pro­fes­sion­nels (UNFP).

« Hormis des "mon­sieur l'arbitre", je n'ai encore pas eu à subir de remarques sexistes »

Stéphanie Frappart

Dans les com­pé­ti­tions fémi­nines, Stéphanie Frappart acquiert une renom­mée inter­na­tio­nale dès 2015 avec la Coupe du monde. La suite s’enchaîne : ce seront les Jeux olym­piques en 2016, l’Euro fémi­nin en 2017, puis la finale de la Coupe du monde fémi­nine U20 (com­pé­ti­tion regrou­pant les moins de 20 ans) en 2018. 2019 sera l’année de la consé­cra­tion. D’abord dans le cham­pion­nat de France : c’est lors d’Amiens-Strasbourg qu’elle devient la pre­mière femme à arbi­trer une ren­contre de Ligue 1. À l’international ensuite, avec la finale de la Coupe du monde fémi­nine, mais aus­si sa pre­mière ren­contre inter­na­tio­nale mas­cu­line en Ligue des nations (Malte – Lettonie), et la Supercoupe de l’UEFA (Liverpool – Chelsea). La car­rière de Stéphanie Frappart s'envole. En 2020, ce sera le choc OL-​OM en Ligue 1, la Ligue Europa (Leicester – Zorya Louhansk) et la Ligue des cham­pions (Juventus Turin – Dynamo Kiev). 2021, sera donc l'année de l'Euro. Et 2022, celle du Mondial ?

Elue "meilleure arbitre fémi­nine du monde" deux années successives

Devenir « la femme en noir » de com­pé­ti­tions aus­si pres­ti­gieuses et média­ti­sées que la Coupe du monde ou la Ligue des cham­pions inten­si­fie inévi­ta­ble­ment les regards por­tés sur vous. La recon­nais­sance vient du foot­ball d’abord – elle est élue meilleure arbitre fémi­nine du monde en 2019 et en 2020 par la fédé­ra­tion inter­na­tio­nale de l'histoire et de la sta­tis­tique du foot­ball (IFFHS) - mais aus­si de l’État fran­çais et des médias : elle est faite che­va­lier de l’ordre natio­nal du Mérite en 2019, et donc cou­ron­née pre­mière des « Trente qui font le foot­ball fran­çais » pour L’Équipe. La renom­mée de Stéphanie Frappart dépasse le seul cadre du bal­lon rond. 

Il est impos­sible de ne pas lier cette média­ti­sa­tion au sta­tut de « pre­mière femme arbitre » dans de nom­breuses com­pé­ti­tions. En novembre 2020, Stéphanie Frappart disait elle-​même : « Depuis que je suis dans ce milieu, je porte sur mes épaules le lourd poids du sta­tut de la femme dans le sport et dans la socié­té »3. Les inter­views qu’elle donne laissent (heu­reu­se­ment) pen­ser que le sexisme du monde du foot­ball s’efface, du moins dans le monde pro­fes­sion­nel, face à une arbitre : « Hormis des "mon­sieur l'arbitre", je n'ai encore pas eu à subir de remarques sexistes, ni de ten­ta­tives de drague. Il m'est tout de même arri­vé sur un match en Ligue régio­nale, je devais avoir 18 ans, d'être accueillie par un "on ne peut pas faire pire qu'une femme’’ ». Une femme donc, face à qui, elle l’admet, les joueurs seraient moins viru­lents dans leur contes­ta­tion. Mais sur­tout une arbitre, pour qui « La seule chose qui compte, c'est de prendre les bonnes déci­sions, c'est là-​dessus qu'on est jugé »1

Sa patte ? Le "lais­ser jouer"

La recon­nais­sance dont elle est l’objet, tant par ses pairs que par les obser­va­teurs, ne laisse aucun doute sur ses com­pé­tences. Son pre­mier match en Ligue 1, où elle était sûre­ment davan­tage le centre d’attention que les vingt-​deux joueurs sur le ter­rain, fut qua­li­fié de « pre­mière idéale » par L’Equipe. Ses « pre­mières » ou ses « records » ne se can­tonnent pas à l’arbitrage fémi­nin : pen­dant la Supercoupe d'Europe, elle par­court 16,1 kilo­mètres lors du match oppo­sant Liverpool et Chelsea. C'est à ce jour la plus grande dis­tance enre­gis­trée pour un arbitre en Coupe d’Europe ! Un record non gen­ré donc. 

Pour les spec­ta­teurs et spec­ta­trices du foot­ball, Stéphanie Frappart c’est avant tout une arbitre qui cherche à lais­ser jouer. La flui­di­té qu'elle donne au jeu est un atout consi­dé­rable des ren­contres qu’elle dirige. Ce qui ne l'empêche pas de res­sen­tir une cer­taine pres­sion. Dans L'Équipe, elle confiait être consciente « qu’au moindre coup de sif­flet de tra­vers, le public, les diri­geants, les médias et les joueurs [lui] tom­be­ront sur le dos ». Pour un coup de sif­flet, ou pour son absence peut-​être : le débat autour du but accor­dé à l'équipe de Montpellier au stade Vélodrome, le 6 jan­vier der­nier, aura lar­ge­ment ani­mé l’après-match. Mais fina­le­ment, elle aura ain­si don­né aux sup­por­ters et sup­por­trices l’occasion de s’adonner à leur acti­vi­té pré­fé­rée : râler contre l’arbitre.

La FFF veut plus d'arbitres femmes

Alors faut-​il reven­di­quer l’étiquette « arbitre femme » ou dégen­rer la fonc­tion ? « J’incarne un modèle désor­mais, et je ne peux pas faire comme si ce n’était pas le cas. Si je joue un rôle, autant le mettre en avant », a‑t-​elle notam­ment décla­ré. Mais avec 3 % de femmes arbitres dans les rangs de la Fédération fran­çaise (d’après des chiffres de 2018), le che­min semble encore long. La média­ti­sa­tion d’une figure comme Stéphanie Frappart peut ain­si être une force motrice de cette évo­lu­tion. Elle-​même s’engage sur cette ques­tion, en diri­geant la com­mis­sion de déve­lop­pe­ment de l’arbitrage fémi­nin au sein de la Fédération. Cette der­nière reven­dique une véri­table stra­té­gie de pro­fes­sion­na­li­sa­tion pour les femmes arbitres. Alain Sars, direc­teur tech­nique adjoint de l’arbitrage à la Fédération de Football Français (FFF) a ain­si décla­ré dans Ouest France : « L’objectif est d’augmenter nos effec­tifs d’arbitres fémi­nines de 15% par an envi­ron »4. Cela passe notam­ment par un plan de pro­fes­sion­na­li­sa­tion, qui a concer­né pour son lan­ce­ment huit arbitres de D1 féminine. 

Si l’arbitrage fémi­nin a besoin de sym­boles, comme Stéphanie Frappart, pour se déve­lop­per, il peut en trou­ver par­tout dans le monde. Pour un petit retour his­to­rique, on pour­rait citer Nicole Petignat (Suisse), qui avait offi­cié dans une ren­contre des tours pré­li­mi­naires de la Coupe de l’UEFA (ancêtre de la Ligue Europa), dès 2003. Bibiana Steinhaus (Allemagne) a éga­le­ment mar­qué l’histoire de l’arbitrage, en deve­nant la pre­mière femme à arbi­trer dans un grand cham­pion­nat mas­cu­lin en Europe, la Bundesliga, en 2017. En-​dehors du conti­nent euro­péen, on retrouve Bouchra Karboubi au Maroc, deve­nue arbitre de pre­mière divi­sion en octobre der­nier, déjà arbitre inter­na­tio­nale depuis 2016 et en lice pour la Coupe du monde fémi­nine 2023 et la Coupe d’Afrique des Nations. En février 2021, c’est une Brésilienne qui a incar­né un nou­veau tour­nant : Edina Alves est deve­nue la pre­mière femme à diri­ger une ren­contre majeure orga­ni­sée par la FIFA, lors du Mondial des Clubs.

Face à un monde du foot­ball par­fois las­sant, dans une année par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­cile pour le sport et l’ensemble de ses acteurs, une figure comme Stéphanie Frappart paraît pou­voir aus­si incar­ner un élan d’optimisme. Avec toutes ces per­son­na­li­tés aux par­cours ins­pi­rants et par­ti­cu­liers, l’avenir de l’arbitrage semble s’engager sur une bonne voie, et le foot­ball retrou­ver une par­tie de son charme. Les sup­por­trices et les jour­na­listes femmes ont amor­cé le mou­ve­ment, c’est visi­ble­ment au tour des arbitres de dépas­ser le carac­tère d'exception de Stéphanie Frappart.

Chloé Michel

Vous êtes arrivé.e à la fin de la page, c’est que Causette vous passionne !

Aidez nous à accom­pa­gner les com­bats qui vous animent, en fai­sant un don pour que nous conti­nuions une presse libre et indépendante.

Faites un don
  1. “Stéphanie Frappart : l’arbitre est une femme”, Caroline Devos, publié dans La Nouvelle République le 25 sep­tembre 2016[][]
  2. Propos recueillis par Robin Richardot pour Le Monde, article publié le 6 jan­vier 2021[]
  3. Propos recueillis par Anne-​Sophie Bourdet dans L’Equipe, article publié le 27 novembre 2020[]
  4. “Derrière la pion­nière Stéphanie Frappart, l’arbitrage fémi­nin se pro­fes­sion­na­lise”, publié dans Ouest France, le 3 décembre 2020[]
Partager

Cet article vous a plu ? Et si vous vous abonniez ?

Chaque jour, nous explorons l’actualité pour vous apporter des expertises et des clés d’analyse. Notre mission est de vous proposer une information de qualité, engagée sur les sujets qui vous tiennent à cœur (féminismes, droits des femmes, justice sociale, écologie...), dans des formats multiples : reportages inédits, enquêtes exclusives, témoignages percutants, débats d’idées… 
Pour profiter de l’intégralité de nos contenus et faire vivre la presse engagée, abonnez-vous dès maintenant !  

 

Une autre manière de nous soutenir…. le don !

Afin de continuer à vous offrir un journalisme indépendant et de qualité, votre soutien financier nous permet de continuer à enquêter, à démêler et à interroger.
C’est aussi une grande aide pour le développement de notre transition digitale.
Chaque contribution, qu'elle soit grande ou petite, est précieuse. Vous pouvez soutenir Causette.fr en donnant à partir de 1 € .

Articles liés