« Contre Attaque » : le web­zine qui donne la parole aux ama­trices de foot

Contre Attaque, c’est un magazine diffusé sur le Web qui parle exclusivement de foot. Mais, petit twist : la rédaction est 100 % féminine. Car, quand il s’agit de parler ballon rond, les femmes sont généralement reléguées sur le banc de touche.

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C’est par un petit message que tout a commencé. Le 18 août 2020, Charlotte laisse sur « Supportrices Football Club » le premier commentaire d’une longue série. Il introduit le principe de ce groupe Facebook, créé avec Zoé quelques jours auparavant : « On espère toutes que vous vous sentirez à l’aise ici pour parler foot en long, en large et en travers. » Des groupes de supporteurs, il en existe des dizaines. Mais des groupes de supportrices exclusivement réservées aux femmes, il y en a beaucoup moins. Ce qui explique sans doute le succès du « Supportrices FC ». Sept mois plus tard, plus de trois cents femmes viennent y parler de foot masculin et féminin. Mais seulement entre passionnées.

Car Zoé et Charlotte font le même constat : « Il y a encore une difficulté à parler foot quand on est une femme, notamment sur les réseaux sociaux. Il y a toujours les commentaires du type "Tu ne t’y connais pas, tu fais juste ça pour faire ton intéressante" ou "Tu regardes juste les joueurs, tu ne regardes pas le foot." On doit tout le temps se justifier sur la raison pour laquelle on parle de foot et prouver qu’on est vraiment calées », déplore Zoé. « Il y a vraiment un problème de légitimité, appuie Charlotte. Il faut limite passer un diplôme pour avoir la possibilité de parler de foot et être entendues, prises au sérieux dans ce qu’on a à dire. »

L’absence d’hommes sur Supportrices FC a un effet libérateur. Finie la timidité qui l’emporte sur l’assurance au moment de donner son avis sur la performance d’un·e joueur·euse. Plus de batailles pour faire valoir son avis, aussi pertinent soit-il. Le plaisir est tel qu’émerge rapidement l’idée de se regrouper pour écrire sur cette passion qui les anime. En septembre, elles n’hésitent pas à mouiller le maillot pour concrétiser. Un mois plus tard sort le premier numéro du webzine Contre Attaque.

"Amateurismes effervescents"

Pour protéger ce havre de liberté d’expression, Contre Attaque n’a pas plus vocation à intégrer les hommes que Supportrices FC. « Il y a déjà tellement de médias où les hommes sont totalement intégrés qu’il n’y a pas besoin que Contre Attaque les intègre aussi. Ils ont la chance d’avoir leur place partout ailleurs », explique Charlotte. Si donc l’équipe est 100 % féminine, le webzine s’adresse à tout fan de ballon rond, peu importe leur genre. 

Près de 70 pages réalisées par une rédaction de huit à douze femmes (selon les numéros), pour la plupart étudiantes, mais aucune (encore) journaliste. Une atmosphère bienveillante qui donne un magazine aussi beau que pertinent. Les papiers d’analyse alternent avec des articles plus grand public. Un subtil mélange de sujets purement sportifs et d’autres envisageant le foot dans sa dimension sociale et culturelle. Si Contre Attaque a un petit air de So Foot et peut-être un quelque chose de Caviar Magazine, il reste un ovni difficile à classer. « Ce n’est pas qu’on n’avait pas de ligne éditoriale, mais on voulait se laisser expérimenter et voir où pouvaient nous mener nos amateurismes un peu effervescents », précise Charlotte. 

Zoé, elle, est particulièrement amatrice de l’OL. Lors de ses études à Science Po Lille, le bureau des sports invite sa classe à venir voir le match Olympique lyonnais-Manchester City. « Je suis archi fan de l’OL, donc c’était le match de ma vie », se souvient-elle. Mais, seule fille parmi une vingtaine de garçons, elle ne se sent pas très à l’aise. Ses camarades sont d’abord surpris de la voir là. Puis bluffés, quand ils comprennent qu’elle s’y connaît réellement. « Quand je faisais des commentaires un peu pertinents, ils me regardaient en mode "Whaou, mais tu sais vraiment parler de foot !". » L’étudiante s’en amuse aujourd’hui, mais c’est l’accumulation de ce genre d’expériences qui ont mené à la création du webzine et surtout à sa non-mixité. Car s’il n’est déjà pas toujours facile de se faire entendre dans l’espace public quand on est une femme, c’est encore plus le cas quand on s’intéresse au foot.

Amatrices ou pro : même galère

C’est aussi ce que dénonce Marie Portolano dans le documentaire Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste, montrant, au-delà des saillies sexistes et des agressions sexuelles qu’ont subies les journalistes sportives qui témoignent, les difficultés à être prise au sérieux dans le milieu. Pour les deux membres de Contre Attaque, le sexisme dénoncé par le documentaire – en partie censuré par Canal + dans une tentative désespérée pour protéger son animateur vedette Pierre Ménès – est précisément ce qu’elles subissent, à leur échelle, à longueur de commentaires sur les réseaux sociaux. Là aussi, Zoé peut témoigner : « Rien qu’en tant qu’amatrice de foot et membre de Contre Attaque, je reçois des commentaires hyper sexistes. Par exemple, j’avais mis des joueurs que j’adore en “favoris” sur Instagram et je recevais des commentaires du style “Elle aime que les Reubeus”. Alors que ça n’a rien à voir, c’était simplement parce que j’adore ces joueurs pour ce qu’ils valent sur un terrain ! » Le documentaire Je ne suis pas une salope soulève un autre problème : le manque d’hétérogénéité des profils de celles qui réussissent à se faire une place sur les plateaux, correspondant en tous points aux critères de beauté actuels. « On voit toujours le même type de femmes qui s’expriment. Il n’y a pas de diversité de races, de styles, de morphologies ou de femmes ouvertement homosexuelles. J’en connais plein qui n’ont pas encore eu voix au chapitre et c’est hyper dommage. Il y a encore un cap à franchir. Tout ça, c’est progressif et je pense qu’on est sur le bon mouvement », confie Zoé.

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Avec Contre Attaque, Zoé, Charlotte et les autres rédactrices offrent aux supportrices de foot un espace où se sentir légitime et affirmer sa parole. Leur rêve pour la suite ? « J’ai envie que ça grossisse, parce que je suis trop fière des filles qui s’investissent. Qu’on se dise “ah ouais, la non-mixité, ça donne aussi des médias trop intéressants !” » avoue Zoé. Pour y parvenir, l’appui des grands clubs serait une aide précieuse. Un en particulier est dans son viseur : l’Olympique lyonnais. « Ils ont eu le flair pour détecter le football féminin avant tout le monde. Je pense qu’ils seraient sensibles à cette démarche. » L’appel est lancé.

Les numéros sont téléchargeables gratuitement ici.

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