Une soi­rée à La Bringue, ces fêtes pari­siennes uni­que­ment réser­vées aux femmes

Jeudi dernier, Causette s’est rendue à La Bringue, dans le 6ème arrondissement de Paris. Depuis trois ans, Clarisse Luiz organise ces soirées exclusivement réservées aux femmes où elles peuvent lâcher prise entre sécurité, sororité, drague et bienveillance.

Le rendez-vous est donné à 22 heures au 21, rue Dauphine, à quelques pas du Pont neuf, dans le 6ème arrondissement de Paris. En passant une première fois, nous ratons l’adresse. Et pour cause, à travers la vitre du bar qui se trouve au 21, on aperçoit trois hommes accoudés gaiement au comptoir. Le Cavern ne semble pas alors être l’endroit pour accueillir, ce jeudi soir, la soirée qui nous attend. Quand soudain, une tête connue passe la porte du bar. « C’est bien ici ! », lance joyeusement Clarisse Luiz, la maîtresse éphémère des lieux. La jeune femme, robe moulante zébrée bleue et basket à plateforme rose, nous entraîne aussitôt à l’intérieur. « C’est en bas que ça se passe », indique-t-elle, claquant la bise à de nouvelles arrivées.

Nous laissons notre hôte à l’entrée pour emprunter le long couloir exigu qui mène à l’escalier en colimaçon. Au sous-sol privatisé pour l’occasion, une salle en pierre voûtée à l’allure intimiste. Lumières stroboscopiques et reggaeton, nous sommes au bon endroit : ce soir c’est La Bringue. C’est la 64ème édition de ces soirées uniquement réservées aux femmes, organisées depuis trois ans par Clarisse Luiz. Des festivités qui, à voir la petite file qui s’est formée en bas de l’escalier, marchent du feu de Dieu.

140 bringueuses
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La Bringue, Le Cavern, Paris. 9 juin 2022. ©A.T.

« La soirée est full [complète, ndlr] ce soir », annonce Laurianne, la sœur de Clarisse, qui s’occupe de vérifier les noms. L’entrée de La Bringue coûte dix euros et se fait uniquement sur réservation en ligne. « On pensait qu’on pouvait payer sur place, on est venu exprès de banlieue », soupirent, déçues, deux jeunes femmes devant nous. Après un bref moment, il sera acté qu’elles pourront entrer en payant en liquide. Les frangines Luiz attendent environ 140 bringueuses cette nuit. La plupart d’entres elles sont étudiantes, et ont entre 18 et 30 ans. Et toutes les participantes, des serveuses à la djette, sont des femmes. Elo, la directrice du Cavern, sera derrière le bar. Son frère, avec qui elle dirige l’établissement, restera lui au rez-de-chaussée, pour servir les autres client·es.

Devant nous, une fille, mini jupe et tee-shirt blanc, se voit mettre un bracelet en papier jaune au poignet. « C’est pour toutes les filles venues seules, indique Laurianne à Causette. Ça permet aux autres de les repérer et de les intégrer. » L’initiative semble fonctionner : à droite, plusieurs filles dont certaines affublées du sésame contre la timidité discutent en sirotant un verre, assises sur un sofa en skaï marron. Si La Bringue permet de pouvoir se rencontrer, elle offre surtout, pour les femmes, un espace de fête sécurisé. Une bulle de tranquillité loin des regards et comportements déplacés des hommes que subissent les femmes dans les bars et les boîtes de nuit.

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L'école Clandestine propose un show de twerk.
La Bringue, Le Cavern, Paris. 9 juin 2022. ©A.T.

L’école de twerk fait son show 

« Là c’est calme mais tu vas voir, dans 1h ça sera la folie », nous promet Sofia, une bringueuse aguerrie. Au bar, on sert des mojitos bien chargés et des cosmo à huit euros tandis qu’au centre de la piste, encore vide pour l’heure, six jeunes femmes en body orange échancrés et collant résille prennent le pouls des lieux en twerkant énergiquement. C’est une Bringue un peu particulière qui se prépare : l’école de twerk parisienne Clandestine fait son show avant le début des festivités.

À gauche, deux jeunes femmes viennent d’arriver. Catia, mini-robe rose pailletée et grandes bottes blanches est une habituée. Ce soir, la blonde de 24 ans, a entraîné avec elle sa copine Albane, jean large et tee-shirt simple. Leur tenue différente nous offre une réflexion : « Oserait-on s’habiller plus librement ici ? » La réponse de Catia fuse : « Dans un bar classique, si je m’habille comme ça, je sais que je prends le risque de me faire potentiellement emmerder par des mecs. Ici à la Bringue, il n’y a pas de problème, je n’y pense même pas. »

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Catia (à gauche) et Albane. La Bringue, Le Cavern, Paris. 9 juin 2022. ©A.T.

« Je me suis dit : pourquoi pas faire des soirées qu’entre meufs ? »

Clarisse Luiz, fondatrice de La Bringue. 

À l’origine du concept, pas forcément l’engagement féministe qu’on pourrait imaginer mais un showcase du rappeur Heuss l’enfoiré il y a trois ans. « Un flyer mentionnait que chaque groupe de cinq filles avait droit à une bouteille de champagne offerte », explique Clarisse Luiz, 26 ans, community manager pour Wyylde, un réseau social libertin, dans la vraie vie. Celle qui s’est fait connaître sur Twitter en abordant des sujets de sexualité en toute décomplexion explique : « Je n’avais pas forcément de copines qui aimaient ce rappeur alors j’ai lancé un appel sur Twitter et j’ai réussi à réunir un groupe de dix filles. La soirée s’est super bien passée, on a kiffé et je me suis dit : pourquoi pas faire des soirées qu’entre meufs ? J’ai compris ensuite la portée politique de La Bringue, l’intérêt et l’importance d’offrir un endroit safe pour les filles. » La première Bringue réunit 60 filles le 8 mars 2019 – Journée internationale des droits des femmes.

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Clarisse Luiz, devant sa soeur Laurianne. La Bringue, Le Cavern, Paris. 9 juin 2022. ©A.T.

Hormis une pause pendant les confinements, La Bringue qui se tient deux jeudis soirs par mois affiche toujours complet. En témoigne le sous-sol du Cavern plein à 22h45. Le crew en body orange monte sur la petite scène pour vingt minutes de twerk. Les fesses claquent, les grand-écarts s'enchaînent sous les cris et les applaudissements d’un public dont l'enthousiasme n’a rien à envier à ceux des grandes stars de la chanson. L’école Clandestine quitte la scène, aussitôt envahie par une vingtaine de filles portées par la chanson Gasolina de Daddy Yankee, hymne générationnel qui met visiblement tout le monde d’accord.

Sororité 

Toutes les morphologies et les styles vestimentaires se collent et se mélangent avec l’impression d’assister à la réunion d’une grande bande de copines. On twerke, on se déhanche et surtout on se lance des « ma chérie » et des « tu es magnifique ». Ici, toutes les bringueuses interrogées par Causette viennent chercher une sororité qu’elles ne retrouvent pas forcément ailleurs. « Tout le monde se complimente tout le temps, assure Clarisse. Ça casse le cliché des filles qui ne peuvent pas s’empêcher d’être mauvaises entre elles. »

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La Bringue, Le Cavern, Paris. 9 juin 2022. ©A.T.

Les sons de Beyonce, Lady Gaga et Aya Nakamura s’enchaînent. Lola a 18 ans, une brassière noire en dentelle et un mini short moulant de la même couleur. Au bar, elle commande un gin tonic et passe ses mains dans ses cheveux trempés par deux heures de danse effrénée. Étudiante en littérature, elle nous explique qu’elle est venue seule pour sa première bringue « uniquement parce que c’est réservé aux femmes ». «  Tu peux danser plus librement, parce que malheureusement, quand tu es en boîte avec des mecs, la façon dont tu vas danser pourra être interprétée d’une certaine manière », ajoute-t-elle, en précisant être aussi rassurée de ne pas avoir à surveiller son verre toute la soirée par peur d’être droguée au GHB, « surtout avec tout ce qu’il se passe en ce moment »

À La Bringue, toutes les filles sont les bienvenues, qu’elles soient cis, trans, hétéros, bi ou lesbiennes. Au bar, Noémie, elle aussi attend son verre. La jeune femme a entamé sa transition hormonale il y a deux ans et participe, ce soir, à sa cinquième Bringue. « Je me sens en sécurité ici pour être moi-même », confie-t-elle à Causette

« Dès qu’il y a de la testostérone, ça finit mal. »

Elo, directrice du bar Le Cavern. 

Devant le succès de ses soirées, qui n’ont lieu que le jeudi dans un bar de nuit, Clarisse Luiz aimerait augmenter la cadence. « J’aimerais en faire le samedi dans des boîtes mais c’est dur de les convaincre, explique la jeune femme. Les patrons partent du principe que les filles ne consomment pas autant que les mecs et qu’ils feront forcément moins de chiffres d’affaires avec une soirée 100% filles. Certaines boîtes parisiennes m’ont aussi déjà répondu : “Si on vire les mecs bourrés il y aura plus personne”. » Elo, la directrice du Cavern en est pourtant certaine : « [elle n’a] jamais autant transpiré qu’en travaillant pendant les Bringues » qui sont organisées depuis 2020 dans son bar. « Ce sont mes soirées préférées ça se passe toujours bien, alors que dès qu’il y a de la testostérone, ça finit mal », plaisante-t-elle, en prenant sa pause à l’extérieur. 

Un mec, une fois, s’est incrusté au milieu d’une Bringue. « Les filles l’ont dégagé en trois secondes, certifie Clarisse. En règle générale, ils respectent même si quand je leur explique le concept, j’ai souvent le droit à des réflexions du type : “Je vais venir avec une perruque", "Vous n’aimez pas les hommes ?", "Vous faites ça parce que vous êtes lesbiennes ?” »

Nouer des amitiées et plus si affinités

Il est une heure du matin et comme dans n’importe quelle autre boîte de nuit mixte, les corps se frôlent, des bouches se pressent et quelques couples d’un soir se forment. « La Bringue a déjà vu naître des couples mais surtout beaucoup d’amitiés, certaines filles sont même parties en vacances ensemble, souligne Clarisse en souriant. Une fille m’a dit que grâce à la bringue elle a trouvé son groupe de potes et elle s’est aussi trouvée elle-même. »

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La Bringue, Le Cavern, Paris. 9 juin 2022. ©A.T.

La Bringue n’a pas fini de faire danser. La prochaine - et pas des moindres - se tiendra le soir de la fête de la musique, le 21 juin, sur le rooftop de l’Arche de La Défense et pourra accueillir sept cent bringueuses. Après Lille début juin, Clarisse espère aussi exporter sa Bringue à Marseille et Lyon cet été.

À notre départ du Cavern vers deux heures du matin, deux heures avant la fin des festivités, le sous-sol est encore plein. On nous avait promis le classique Confessions nocturnes de Diam's et Vitaa mais jeudi soir oblige, il est l’heure pour nous de rentrer. En remontant l’escalier en colimaçon, un petit groupe de filles assises dans un coin discutent du phénomène qui secoue actuellement les soirées françaises : les piqûres sauvages qui pourraient contenir du GHB. « Clarisse ne pouvait pas faire mieux comme concept mais c’est fou qu’on ait toujours besoin d’une fille pour créer quelque chose pour nous protéger. »

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