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De « Real men don't eat quiche » à Causette, petite his­toire de la quiche

Lectrice régu­lière de Causette, on ne vous la fait pas : bien malin qui réus­si­rait à vous prendre pour une quiche. Mais d'où vient cette expres­sion ? Selon Larousse, le terme désigne une pré­pa­ra­tion faite de pâte bri­sée, de crème, d’œufs et de lar­dons. Pour d’autres dic­tion­naires, une quiche est aus­si une per­sonne pas très futée. Comment diable est-​on pas­sé de la tarte à l’idiote ?

La quiche est lor­raine. On en trouve dans l’est de la France dès le XVIe siècle et sans doute avant, puisque au Moyen Âge, déjà, on ser­vait des tartes du même genre, quoique sans lar­dons. Le mot « quiche », pour com­men­cer, est emprun­té au dia­lecte lor­rain, qui l’a, lui-​même, pro­ba­ble­ment tiré de l’allemand Kuchen (gâteau, tarte). Jusque-​là, tout va bien. Et la spé­cia­li­té a ses ado­ra­teur et ado­ra­trices, notam­ment dans l’Est : « Réussie et cuite à point, la quiche offre l’aspect d’un beau ciel éclai­ré par l’aurore et dans lequel çà et là flottent quelques légers nuages au ton fauve et doré », écrit ain­si Jules Renauld dans un ouvrage * sur les mœurs en Lorraine, publié en 1875 à Nancy, naturellement. 

Le sens figu­ré, lui, appa­raît plus tard : ce n’est qu’à par­tir du début du XXIe siècle que l’on com­mence à consi­dé­rer la quiche avec mépris. Selon Sylvie Claval et Claude Duneton, autrice et auteur du Bouquet des expres­sions ima­gées (éd. Robert Laffont), l’image pour­rait bien avoir rem­pla­cé celle de la cruche. De la cruche à la quiche, il n’y a qu’un pas, et nous l’avons allè­gre­ment fran­chi. La rime est pour­tant pauvre, et l’on aurait mieux com­pris un pas­sage de cruche à autruche, bau­druche, per­ruche ou même ruche. Mais non, c’est tom­bé sur la quiche. Attention, pré­ci­sons d’emblée que le terme « quiche » est fémi­nin mais peut – théo­ri­que­ment, du moins – dési­gner un homme (« Mais quelle quiche, ce type ! »).

Très bien. Mais la chose n’en est pas res­tée là, elle a lar­ge­ment débor­dé des fron­tières hexa­go­nales. Aux États-​Unis, dans les années 1970, la quiche était deve­nue un des plats emblé­ma­tiques du fémi­nisme : l’historienne et pro­duc­trice Libby O’Connell, dans The American Plate : A Culinary History in 100 Bites (éd. Sourcebooks, 2014), raconte que la tarte d’origine fran­çaise, faite mai­son ou ache­tée, était cou­ram­ment empor­tée aux réunions et mee­tings fémi­nistes, d’où sa colo­ra­tion acti­viste depuis lors. Que les choses soient claires : on ne naît pas quiche, on le devient ! 

Les « quiche-​eaters », pas assez virils

Le plat, cepen­dant, perd tout pres­tige dans les années 1980 : années fric, années viriles, dit-​on sou­vent. Ce sont celles, en vrac, de Reagan, de Tchernobyl, du culte de l’entreprise et du krach bour­sier, du sida, des cou­leurs fluo, de l’aérobic (et, en France, du FN, de Bernard Tapie ou du Bébête Show). Fin de la quiche : notre bonne vieille tarte salée, brus­que­ment délais­sée, est même aujourd’hui l’objet d’une véri­table détes­ta­tion. La publi­ca­tion en 1982 du livre de Bruce Feirstein et Lee Lorenz, Real Men Don’t Eat Quiche (Les vrais hommes ne mangent pas de quiche ), chez Pocket Books, qui se vou­lait pour­tant iro­nique, n’a pas arran­gé les choses. Les « quiche-​eaters » sont désor­mais mon­trés du doigt : ce sont ces hommes à qui l’on reproche d’avoir renon­cé aux vraies valeurs mas­cu­lines. Concrètement, ils aiment les fleurs ou les oiseaux, quitte à en délais­ser le Super Bowl (foot­ball amé­ri­cain), ne s’interdisent pas de pleu­rer, n’idolâtrent pas for­cé­ment les gros seins et, sur­tout, sont géné­ra­le­ment domi­nés par les femmes. Disons, pour illus­trer la chose, qu’un match oppose clai­re­ment la piz­za – ita­lienne et virile – à la quiche – fran­çaise et chi­chi­teuse. Messieurs, choi­sis­sez donc votre camp.

Une arme culturelle

La quiche, en Amérique du Nord, ne s’en relè­ve­ra pas. Au point que, fin 2018, Gabrielle Hamilton, cheffe amé­ri­caine à la tête d’un res­tau­rant new-​yorkais, publie, dans le New York Times, une défense en règle de la spé­cia­li­té : « Real people eat quiche » (Les vraies gens mangent de la quiche). Parce que, écrit-​elle, son­geant à mettre un jour la tarte fran­çaise au menu, elle fut prise d’un doute : « Je n’étais pas bien sûre de là où nous en étions en tant que nation, sur ce sujet, ces der­niers temps. » D’où sa mise au point. Extrait : « Hé, on pose des pierres ou on construit une cathé­drale ? Je plaide pour la construc­tion de la tarte, étape par étape, pierre par pierre, avec un air de musique en tête. […] Et voi­ci la quiche, main­te­nant au ser­vice de ma propre guerre cultu­relle contre les rac­cour­cis et les demi-​mesures. » Oui, oui, il s’agit de guerre, vous avez bien lu : la quiche est une arme cultu­relle d’avant-garde. « Un homme sur deux est une femme », criaient les fémi­nistes dans les années 1970. Eh bien, pouvons-​nous com­plé­ter : qu’il mange donc de la quiche !

Aujourd’hui, peut-​on espé­rer un retour en grâce de la tarte lor­raine ? Rien n’est moins sûr. La lutte est engagée.

* Les Hostelains et Taverniers de Nancy : essai sur les mœurs épu­laires de la Lorraine, de Jules Renauld. éd. BNF Collection ebooks.

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