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© Santiago Alvarez

Lettre à l'anorexie : « Tes griffes ont été les paroles de sa mère, lui disant qu'une femme ronde n’est pas belle »

Causette est par­te­naire de Lettres d’une géné­ra­tion, un site sur lequel les adolescent·es et jeunes adultes fran­co­phones sont invité·es à écrire une lettre à un des­ti­na­taire qui ne peut pas répondre. Toutes les deux semaines, Causette publie l’une de ces mis­sives.
Dans ce sei­zième épi­sode, Alexane écrit une lettre à l'anorexie, dont elle a vu les ravages chez une cama­rade de lycée.

Vous avez entre 15 et 25 ans et sou­hai­tez par­ti­ci­per au pro­jet Lettres d’une géné­ra­tion ? Écrivez-​leur par là !

"Juillet. Le mois que pré­fèrent les gens de mon âge : le soleil, la plage, les vacances. Belle image du bon­heur. C’est pour ça que tu as choi­si ce moment ? Elle était curieuse, joueuse, tou­jours en quête de nou­veau­té. La parole n’était pas son point fort, c’est vrai. Elle était tra­vailleuse aus­si, et puis culti­vée et très intel­li­gente. La fille par­faite me direz-​vous. Elle avait tout pour elle. 

Elle venait d’entrer au lycée, en scien­ti­fique. Son che­min était tout tra­cé : des études supé­rieures, brillantes, un ave­nir de méde­cin ou de chi­rur­gien. Tout était prêt pour la belle vie.

Elle était par­tie deux mois pen­dant les vacances d’été. Je crois qu’elle vou­lait un peu fuir son quo­ti­dien. Elle vou­lait voir d’autres choses, s’évader. Pourtant elle sem­blait heureuse. 

Et voi­là que tu es entrée dans sa vie, sans pré­ve­nir. Personne ne t’a vue. Pourquoi l’as-tu choi­sie ? Pourquoi elle. Tu t’es accro­chée à elle. Tes griffes ont été les paroles de sa mère : « Ne mange pas trop, une femme ronde n’est pas belle. » C’est tout. Quelques mots, et une vie bascule.

Maintenant la voi­là en dehors du monde. Toujours en décalage. 

Un soir d’automne je l’ai croi­sée. Je vous ai croi­sées plu­tôt, car désor­mais vous mar­chiez tou­jours ensemble. Elle mar­chait seule dans le noir. Visage fer­mé, joues creu­sées, regard éteint. Et toi tu riais.

Tu as pris de plus en plus de place dans sa vie. Elle en oubliait le reste. Tu lui as tout pris. Petit à petit. D’abord ses pen­sées, sa joie, sa curio­si­té. Tu lui as pris ses forces et ses mots. Gramme par gramme. Battement de cœur par bat­te­ment de cœur. 

Elle n’était plus qu’une plume sur la balance. Le ventre creu­sé, les côtes qui sortent. L’effroi prend place dans son cœur. Et puis est venu le jour où on l’a emme­né dans une grande salle blanche, seule par­mi des hommes en blouse blanche. 

Je ne sais pas ce qu’elle est deve­nue. J’espère qu’elle a réus­si à se débar­ras­ser de toi. Mais je ne sais pas si tu pars com­plè­te­ment de ceux que tu poursuis."

Alexane

Lettres d'une géné­ra­tion, épi­sode 15 l Ôde au latin : « Ton corps est lit­té­raire, ton âme est mathématique »

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