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Matthieu Orphelin © Benjamin Boccas

« Toutes mes vic­toires, elles ont été arra­chées avec les dents » : Matthieu Orphelin dresse le bilan de son mandat

Il était une loi 4/6

À quelques jours des législatives, Causette donne la parole à des député·es qui ont porté des lois marquantes au cours du dernier quinquennat. Ce mercredi, c’est au tour du député du Maine-et-Loire écologiste et indépendant, Matthieu Orphelin, qui s’est battu pour faire entendre ses revendications écologiques, de revenir sur ses moments de fierté dans l’hémicycle et ses derniers regrets.

Causette : Quel bilan tirez-vous de ces cinq années de mandat ?
Matthieu Orphelin : Ça a été un mandat de combat, où les trois piliers du groupe politique éphémère que j’ai co-présidé, l’écologie, la démocratie et la solidarité (EDS) ont guidé tous mes projets. Moi, je ne crois pas beaucoup à la désespérance, qui est parfois le discours de certains écolos. Je crois à l’action, à la mobilisation. Pour moi, un bon député, c’est quelqu’un qui se bat et qui ose. Et ça, beaucoup de députés de la majorité ne l’ont pas compris, voulant toujours faire plaisir aux conseillers, aux ministres. Mais ce n’est pas ça, faire de la politique. Un conseil que m’avait donné Roselyne Bachelot à LCI, le conseil le plus utile de tout mon mandat, résume bien tout ça  : « Vote toujours avec tes convictions plutôt qu’avec les consignes de ton groupe, ça t’évitera bien des conneries. »

Un moment fort de ces cinq années que vous retenez en particulier ? 
M.O. : C’est très dur, il y en a plusieurs. Je suis fier quand, fin 2018, avant une audience, je reçois un coup de fil de Matignon. Un des conseillers me dit : « Matthieu, tu ne vas pas être content, mais comme il y a eu toutes les mesures Gilets jaunes pour 10 milliards d’euros, on supprime l’extension du chèque énergie. » Je suis révolté, je me dis que ça ne passera pas comme ça. En sortant je publie un tweet hyper fort, tous les journalistes arrivent, je fais 2-3 interviews, ça part en flamme tout de suite. Trois heures après, Edouard Philippe annule son annulation. Là, je me dis qu’il y aura 2 millions de foyers en précarité énergétique qui auront 60 ou 100 euros en plus. Je réussis, dans le même temps, à la mise en place d’aides massives pour favoriser le changement de véhicules polluants des ménages précaires. Sur toutes ces victoires, ça n’a jamais été simple. Elles ont toutes été arrachées avec les dents. C’est d’abord cette intensité là qui permet de se dire ensuite : « On a agi pour les autres. » C’est un tel honneur d'être ici à l’Assemblée, mais vous n'êtes pas là pour vous, vous êtes là pour les gens.

« Malgré toutes les techniques de l’Assemblée pour que nous n’ayons pas beaucoup de temps pour nous exprimer, on a toujours trouvé des moyens de se faire entendre. »

Après la formation de la Convention Citoyenne pour le Climat fin 2019, vous vous êtes penché sur la loi climat de 2021. Il y a eu beaucoup de déceptions, d'échecs : que gardez-vous de ces projets sur l’écologie qui n’ont pas abouti ?
M.O. : L'écologie est un de mes sujets de prédilection depuis 25 ans. Je suis parti de la majorité au bout de 18 mois avec cette phrase : « Je pars sur un vrai désaccord politique. Nous ne sommes au bon rythme sur aucun des grands chantiers de la transition écologique. » Tout était résumé dans cette phrase. Le problème de la loi climat, c'est que la majorité a voulu nous faire croire qu’elle permettait de diminuer suffisamment les tonnes de CO2 de notre pays. Et ce n’était pas vrai. Dès qu’on a un connaissance du projet de loi avec mon équipe on s'est rendu compte qu’il ne permettait de ne faire qu’un dixième du chemin. Ils ont voulu nous la présenter comme une loi qui règle tout, mais les chiffres ne mentent pas. J'ai été un des premiers à proposer la Convention Citoyenne pour le Climat. À ce moment-là, on avait un vrai outil démocratique, qui aurait pu faire avancer les enjeux écologiques : il y avait tout pour réussir. Et au final on se retrouve avec une loi climat qui est bien sympathique mais qui n'est pas la grande loi climat qu'on attendait. Non pas parce qu’elle n’est pas assez longue, mais parce qu’elle est bien plus une loi bavarde qu’une loi d’action.

Au début, vous nourrissiez beaucoup d’espoirs pour cette loi climat, comment avez- vous ressenti cette désillusion ?
M.O. : J’essaie de ne jamais être prisonnier de mes émotions. Je me lève le matin, je pense à l’avenir, à l'écologie. Je me couche le soir en me demandant quelle planète on laisse à nos enfants. Il faut se servir de cette émotion non pas pour être déçu ou triste, mais pour faire avancer les causes. Et malgré toutes les techniques de l’Assemblée pour que Delphine Batho [députée non-inscrite, ndlr] et moi n’ayons pas beaucoup de temps pour s’exprimer ici, on a toujours trouvé des moyens de se faire entendre.
Par exemple, ils avaient mis en œuvre une commission spéciale pour examiner le texte de la loi climat en 2021, et il n’y avait qu’une place pour les non-inscrits, donc on ne pouvait pas être là tous les deux. En plus, on n’avait quasiment pas de temps de parole. Et nous n’avons pu présenter aucun amendement à ce moment-là. Pour nous c’était inacceptable, donc avec Paula Forteza et Delphine Batho, on a fait le « vrai » débat de la loi climat sur Twitch, au même moment. Après, chaque fois qu’il y avait un débat où on n'avait pas la parole à l’Assemblée, on la prenait en ligne. Sur ce débat, on a eu des dizaines de milliers de personnes connectées, c’était fort. 

« Je crois avoir mésestimé le manque de connaissance des députés sur les questions écologiques. »

Comment on ne désespère pas face à tous ces obstacles ?
M.O. : J’ai porté ici tout un tas de mesures, et sur le moment on me disait non. Je me battais quand même, et au final, le gouvernement décidait parfois pour certaines, jusqu’à six mois plus tard. Par exemple, je suis originaire de la région de La Baule, il y avait des pick-up partout dans la ville. J'ai gagné la mise en place d’un malus imposé sur les pick-up, à 5 heures du matin à l’Assemblée en 2019. Gérald Darmanin a essayé de m’en empêcher : « Mais ton texte est mal rédigé, retire-le, puis on verra ça plus tard », mais je suis resté jusqu’au bout. Je le maintiens, on arrive à le voter : un malus de douze mille euros est adopté. Depuis cet amendement, il y a deux fois moins de pick-up vendus.
Je ne vais pas vous mentir, j’ai mes doutes, chaque jour, mais c’est quand même plus enthousiasmant de transformer cette énergie négative en énergie de combat. De toute façon, si on ne relève pas les défis du climat et de la biodiversité, on va perdre tout ce qui a de l’importance à nos yeux. J’ai pris autant de plaisir dans ce mandat à faire avancer la mobilité en zone rurale dans les endroits de ma circonscription sans transports en commun, qu’à vivre la COP 21 et l’Accord de Paris. Mais enfin, quand dans la nuit de cet accord, une négociatrice éthiopienne me dit : « C’est la première fois que nous, pays en cours de développement, nous sommes respectés dans un accord international », ça donne tout son sens à ce que je fais. 

Vous ne vous représentez pas pour les législatives en juin mais vous transmettez à vos successeurs un nouveau livre publié le 3 juin, À quand l’écologie en grand ? - Ce qu’il reste à faire (Ed. Rue de l’Echiquier). Quels regrets gardez-vous de votre mandat ?
M.O. : Mon plus grand regret : je crois avoir mésestimé le manque de connaissance des députés de tous partis politiques sur ces questions-là. J’ai fait des choses pour eux : j’ai monté un collectif transpartisan Accélérons, j’ai fait venir Greta Thunberg à l'Assemblée, un grand moment. Mais je n’ai pas réussi à amener assez de députés dans cette pleine conscience écologique et climatique.
Du coup, y compris dans la majorité, ils n’ont pas réussi à regarder en face ce qu’il faudrait faire, se contentant de dire « mais Matthieu, tu n’es jamais content. » Ils se sont satisfaits en disant : « On fait mieux que François Hollande et que la majorité d’avant. » Mais tant mieux ! Le contraire aurait été désolant. Mais ça ne suffit pas. C’est une décision difficile de ne pas me représenter. Il y a tellement de combats à mener que je sais que j’aurais été utile dans un second mandat. Mais j’ai 49 ans. J’ai envie de sortir de cette frénésie. Et puis au-delà de tout ça, il y a mon burn-out de 2019 : j’en suis sorti, bien heureusement. C’est une vie exaltante, passionnante d’être député, mais c’est une vie déséquilibrée. Une chose est sûre : je suspends toutes mes activités politiques, je ne sais pas pour combien de temps. Cependant, je ressors plus fort, mieux armé qu’en début de mandat. Je n’ai jamais eu autant d’énergie qu’aujourd’hui, et mes combats, je vais les mener différemment. 

Matthieu Orphelin publie le 3 juin 2022 son prochain livre, À quand l’écologie en grand ? - Ce qu’il reste à faire, aux éditions Rue de l’Echiquier. 

Lire aussi : « Des femmes ont cru que la PMA pour toutes allait arriver vite, ne sont pas parties à l’étranger et c'est désormais trop tard » : le député Guillaume Chiche fait le bilan

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