pmkm9pybnte
© Content Pixie

La Miviludes met le « fémi­nin sacré » et les « stages de viri­lisme » dans le même panier de dérives sectaires

Dans son nouveau rapport d'activité portant sur l'année 2021, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires annonce un record de saisines dénonçant des dérives sectaires. Au milieu des cas d'enrôlement complotiste et des dangers de la médecine parallèle, l'instance dénonce d'un côté l'essor de pratiques dévoyant le féminisme et de l'autre, la mobilisation de thématiques misogynes par des gourous masculinistes.

C'est un nouveau record qu'annonce dans son nouveau rapport, publié jeudi 3 novembre, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). En 2021, elle a reçu 4 020 saisines, soit une augmentation de 33,6% par rapport à 2020. Un « regain d'activité » notamment lié à la crise sanitaire. Ces dérives sectaires s'adaptent à l'air du temps, apprend-on à la lecture du document. On connaissait les alertes de la Miviludes sur certains groupes religieux, certaines méthodes éducatives, des gourous du bien-être et de la médecine parallèle ou encore, plus récemment, de mouvances comploto-antivax. L'instance rattachée au ministère de l'Intérieur canalyse cette fois deux récentes tendances qu'elle juge en plein essor : celle du « féminin sacré » d'un côté et de l'autre, celle du « masculinisme, virilisme et anti-féminisme ». Ce qu'elles ont en commun : une idéologie profondément basée sur l'essentialisation des sexes, c'est-à-dire des croyances réduisant l'individu à son sexe biologique, laissant de côté la construction culturelle du genre.

« La théorie du féminin sacré est en pleine expansion et trouve un véritable succès sous couvert de l’émancipation des femmes, alors même que l’objectif premier semble être purement financier », alerte ainsi la Mivilude dans son chapitre Le féminin sacré : une appropriation du féminisme par les dérives sectaires. De quoi parle-t-on ? D'un concept fourre-tout qui se déploie dans des stages, des livres, des formations en ligne et des pratiques réservé·es aux femmes. S'y entremêlent ésotérisme, mobilisation de la figure de la sorcière, rituels piochés dans des cultures ancestrales, thérapies douteuses et démarche qui se veut « féministe ». Objectif récurrent : une « reconnexion du corps et de l'esprit ».

Bénédictions de l'utérus

Sans préciser le nombre de saisines reçues sur ces thématiques1, l'instance présidée par le préfet Christian Gravel indique que ces expériences ont en commun de proposer d'accéder à un mieux-être en s'appuyant « sur un enjeu d’actualité, à savoir la place des femmes au sein de la société »... Le tout à un prix « très souvent exorbitant ». « Il faut compter 1 206 euros pour un "voyage au bout des sens" d’une durée de 5 jours et 325 euros pour un stage de 4 jours, hébergement non compris, afin de se former au "massage tao" », observe la Miviludes, qui considère que les prestations proposées ne reposent sur « aucun consensus scientifique ». Ainsi de ces « bénédictions de l'utérus », popularisées par la professeur « de thérapie alternative » Miranda Gray dans le but « d'harmoniser et synchroniser les énergies de la femme ».

Lire aussi l Doulas : à boire et à langer

Plus inquiétant encore, ces propositions mercantiles coïncident souvent avec des réelles souffrances que peuvent rencontrer les femmes. Tantôt, il s'agit d'apporter une pseudo-solution à des problèmes de santé parfois lourds, comme l'endométriose : « Durant ces stages, il est affirmé que si une femme a des règles douloureuses, c’est qu’elle n’est pas "en accord avec sa nature profonde de femme" », dénonce la Miviludes. Parfois, il s'agit carrément de prétendre mener une prise en charge des victimes de violences sexuelles : « Selon une saisine, un atelier à destination à la fois de personnes estimant ne pas être épanouies sexuellement et de victimes d’infractions sexuelles était organisé pour "déposer sa souffrance en matière de sexualité" », détaille la Miviludes. Avant de recommander que le « dépôt de la parole » des victimes se fasse auprès d'un « professionnel » médical : « Bien que chacun dispose de la possibilité de se confier à la personne de son choix dans le contexte qui lui convient, il n’en demeure pas moins qu’une vigilance s’impose dans le cadre de cette démarche. » En conclusion de ce chapitre consacré au « féminin sacré », la Miviludes insiste sur les précautions à prendre face à un « type de mouvement qui essentialise les femmes en les réduisant à des organes génitaux ou des facultés reproductives, alors même qu’il est présenté comme un mouvement féministe destiné à leur épanouissement et incitant à davantage de liberté ».

Business de l'homme viril

Les dérives sectaires de l'autre côté du genre ne sont pas non plus épargnées par les critiques de l'instance. Son rapport y consacre un chapitre intitulé Masculinisme, virilisme et anti-féminisme : un endoctrinement violent et sexiste. Reconnaissant que ces thématiques relèvent souvent d'un radicalisme idéologique ou politique, la Milivudes justifie son intervention ici par le fait que son « attention a été attirée sur certains groupes et individus susceptibles, par leurs discours et méthodes, d’induire un lourd endoctrinement ». Qu'il s'agisse du masculinisme (cette idéologie qui émet l'hypothèse que les femmes ont désormais pris le pouvoir au détriment des hommes) ou du virilisme (cette exaltation des clichés construits autour du masculin et de sa domination « naturelle »), ces mouvances proches font le miel de « youtubeurs très en vogue » qui « peuvent proposer des programmes payants » à leurs communautés afin d'atteindre ces idéaux d'un homme fort en milieu hostile, explique la Miviludes. Comme ceux qui fleurissent autour de l'exaltation virile des cryptomonnaies, comme nous vous en parlions récemment ici.

Par la suite, elle s'attarde autour de l'association internationale ManKind Project qui, elle, propose des « stages d'initiation à la masculinité » en pleine nature. Objectif : « Changer le monde, un homme à la fois », selon le slogan qu'elle se donne. Née aux États-Unis dans les années 80, elle a fait son trou en France ces dernières années, jusqu'à être auréolée de 3 saisines de la Miviludes à son propos en 2020 et... 10 en 2021. Dans cinq de ces saisines, des « changements de comportement radicaux et des violences commises par un mari, un conjoint ou un beau-fils suite à leur participation à ces stages » ont été recensés par la Miviludes.

Emprise mentale

Déjà épinglée dans le rapport de la Miviludes portant sur la période 2018-2020, l'association entretient un culte du secret sur ces séjours dans les bois. À ce titre, ce nouveau rapport publie une parole rare, celle d'un homme ayant saisi l'instance après avoir participé à l'une de ces sessions. Il y dit : « A l’issue de ce weekend, le recours au groupe est présenté comme l’unique solution à ceux qui souhaiteraient s’exprimer à ce sujet. » Or, il évoque des pratiques « confinant selon [lui] à la déstabilisation mentale » comme par exemple la demande « fréquente » « d’évoluer nu durant plusieurs heures, y compris dehors, par des températures proches de 5°C. "L’initié" se trouve donc plongé dans une sorte d’état second qui le rend ainsi perméable à toutes les demandes et suggestions. »

Face à un tel témoignage - et sans cacher qu'un autre homme avait pris attache avec la Miviludes à la suite de la formulation de ses premières critiques pour vanter une « confraternité bienveillante » - l'instance perçoit « un processus d’emprise mentale sur les participants ». En somme, ces nouveaux entrepreneur·ses du développement personnel spécialisé dans le genre peuvent faire des ravages sur des publics fragiles.


De quel « ultra-féminisme » parle-t-on ?

Dans leurs articles consacrés à ce rapport, Le Parisien et Libération ont respectivement titré sur les « ultra-féministes » et le « mouvement ultra-féministe » pour les opposer aux « masculinistes » dénoncés nommément par la Miviludes. Or, l'instance n'emploie pas ce terme et évoque, comme nous l'avons vu, « une appropriation du féminisme par les dérives sectaires ». Par ailleurs, nous n'avons jamais entendu parler d'un mouvement ultra-féministe - on en était bêtement restées à « féminazies ». Pas sûr que les féministes radicales (qui, elles, ont théorisé leur mouvement) apprécieraient que le superlatif « ultra » soit utilisé pour évoquer des cercles de « sorcières » soignant leurs trompes de Fallope à grand renfort de fumée de sauge.

Lire aussi l Cryptomonnaies : concours de bitcoins

  1. Contactée, la Miviludes ne nous a pas encore répondu[]
Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.