De nombreuses communautés issues de la « manosphère », ces espaces virtuels réservés aux hommes, ont fait des cryptomonnaies et des NFT leur nouveau cheval de bataille. Un nouvel espace où leur vision de la virilité, qui oscille entre haine des femmes et hypervalorisation du capitalisme, peut se déployer en toute tranquillité.
Comme tous les matins, depuis son bureau de Bruxelles, l’eurodéputée membre de la sous-commission des affaires fiscales, Aurore Lalucq, scrute Twitter entre deux mails. Elle réagit à l’actualité, sur « l’urgence » à « réguler » le monde de la cryptomonnaie. Un sujet qui, d’après elle, « ne mérite aucun buzz ». C’était compter sans Zoomteacher ou $Cristaline, qui, derrière leur clavier, tapent de manière frénétique. « Vas‑y, régule-moi ça ma gourmande », « Vous êtes débile pauvre fille », « On te pisse au cul ». Au total, ce sont plus d’une centaine de messages à caractère sexiste qui la visent quotidiennement. « À leurs yeux, je suis responsable de chaque décision européenne sur le sujet », rétorque-t-elle aujourd’hui, l’air désabusé. Si elle ne lit pas tout « pour [se] protéger », chaque tweet d’Aurore Lalucq déclenche dans la communauté crypto un déversement de haine, de réflexions sexualisantes, quand ce ne sont pas des photomontages injurieux.
Sur les réseaux sociaux, les comptes consacrés à l’investissement dans les monnaies virtuelles transpirent la testostérone. Des femmes dénudées devant de grands écrans de trading y côtoient des villas de rêve. En France, selon une étude1 de KPMG pour l’Adan (Association pour le développement des actifs numériques), parmi les 8 % de Français·es ayant déjà investi dans les cryptomonnaies, 60 % sont des hommes. Parmi eux, les masculinistes ont peu à peu tissé leur toile.
Vitalik Buterin, “prince de la crypto”
Retour en 2009. Le bitcoin, devenu aujourd’hui la plus célèbre des cryptomonnaies, émerge alors d’un doux rêve libertaire et nourrit l’ambition d’une monnaie virtuelle décentralisée, loin des banques et du contrôle étatique. À son origine, une mystérieuse entité anonyme se faisant appeler Satoshi Nakamoto. Et l’espoir de « remettre la main sur ses finances propres », explique Amandine, dite La Mineuse, qui tient un compte spécialisé sur Instagram. Ces monnaies virtuelles se fondent sur la technologie de la blockchain, sorte d’immense livre de comptes numérique permettant l’enregistrement et la sécurisation de toutes les transactions.
Grâce à un cours volatil qui permet de s’enrichir (et de tout perdre) très vite, les cryptomonnaies deviennent rapidement[…]
- « La crypto en France : structuration du secteur et adoption par le grand public », réalisée par les équipes Blockchain & Cryptos de KPMG pour l’Adan (Association pour le développement des actifs numériques), février 2022.[↩]