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© Pascal Gros

L'école à la mai­son : un pro­blème vraiment ?

Dans le viseur de l’État, car soupçonnée de contrevenir aux principes républicains, l’instruction en famille, jusqu’alors libre, devra désormais faire l’objet d’une dérogation. Les associations de parents adeptes de ce mode d’instruction ultraminoritaire en France sont vent debout.

« C’est une nécessité. J’ai pris une décision, sans doute l’une des plus radicales depuis les lois de 1882 et celles assurant la mixité scolaire entre garçons et filles en 1969. Dès la rentrée 2021 […], l’instruction à domicile sera strictement limitée. » Ainsi parlait Emmanuel Macron, lors de son discours contre les séparatismes, aux Mureaux (Yvelines), le 2 octobre 2020. Le « problème » qui justifie sa décision est clairement désigné : le séparatisme islamiste, qui se manifesterait notamment par des « déscolarisations » d’enfants. Depuis, le projet de loi sur les séparatismes (renommé de manière plus consensuelle « projet de loi confortant les principes républicains ») a été largement débattu, puis voté le 23 juillet dernier et validé pour l’essentiel par le Conseil constitutionnel le 13 août. L’instruction en famille (IEF) voit ses règles se durcir : alors qu’elle dépendait jusque-là d’une simple déclaration, elle sera soumise à un régime d’autorisation à partir de la rentrée 2022. Elle ne pourra être accordée que pour raison de santé, situation de handicap, pratique artistique ou sportive, itinérance de la famille, éloignement d’un établissement ou « situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif ». 

Un choix qui reste très marginal

L’annonce a fait l’effet d’une bombe parmi les familles qui ont choisi ce mode d’instruction. Et les a plongées dans l’inquiétude. Elles y voient la suppression du libre choix du modèle pédagogique pour leurs enfants et un risque de décision arbitraire de l’État.

En effet, si l’instruction est obligatoire de 3 à 16 ans, la fréquentation de l’école, elle, ne l’est pas. Les parents peuvent opter pour l’apprentissage à la maison. Dans les faits, ce choix reste extrêmement marginal. En France, la quasi-totalité des enfants et des adolescent·es d’âge scolaire (99,7 %) est inscrite dans un établissement. L’IEF concerne seulement trente mille élèves environ, très majoritairement âgé·es de 6 à 10 ans. Toutefois, bien que très faibles, ces effectifs sont en augmentation : ils ont presque doublé si on les compare à ceux de l’année scolaire 2010-2011. Emmanuel Macron a avancé le nombre de « 50 000 élèves » actuellement en IEF, sans qu’il soit possible de le vérifier.

Quoi qu’il en soit, quand on regarde des chiffres, l’IEF « n’est pas un sujet, pour François D., inspecteur d’académie de l’Éducation nationale basé en Seine-Saint-Denis, même si le gouvernement essaie de le vendre comme tel ».

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Dans cette minuscule frange, deux cas de figure. Certain·es élèves ne sont pas en mesure d’être scolarisé·es dans un établissement et sont inscrit·es au Centre national d’enseignement à distance (Cned), réglementé. D’autres familles choisissent l’IEF alors que rien n’empêche l’enfant d’aller à l’école. Contrôlées par l’institution scolaire et les mairies, ce sont elles qui sont dans le collimateur du gouvernement. Difficile de connaître leurs raisons : la législation en vigueur ne les oblige pas à déclarer le motif de déscolarisation.

« Pouvoir suivre le rythme des enfants »

Pour Jérémy, père de trois enfants, la « motivation principale » a été celle de « pouvoir suivre le rythme de [s]es enfants ». Son aîné, Yvan, a bien essayé les bancs de l’école en petite section, mais l’expérience n’a pas été concluante. « Cela lui a très moyennement convenu. Et à nous aussi. Il a su lire à 4 ans, ce qui l’a mis en décalage avec le système », raconte cet ancien professeur. Jérémy ne voit que des avantages à l’IEF. Même sur le plan relationnel. « En classe, les enfants n’interagissent pas beaucoup. Et, à la récré, c’est un peu la jungle, surtout au collège. » Yvan vient d’obtenir son brevet « avec mention très bien » et « trois ans d’avance » et il n’ira pas au lycée à la rentrée. Pas plus que ses deux petites sœurs n’emprunteront le chemin de l’école. « En famille, on se sent capable de leur apporter davantage. Avec nous, ils travaillent sur ce dont ils ont besoin, au moment où ils en ont besoin, et aussi longtemps que nécessaire », estime Jérémy. 

Même philosophie pour Jean-Baptiste Maillard ­– père de trois enfants qui sont eux aussi instruits en famille depuis dix ans –, secrétaire général de l’association Liberté éducation et coauteur, avec son épouse Marie, de L’École à la maison, une liberté fondamentale (éd. Artège). Le couple a commencé l’école à la maison avec Karol, leur aîné, aujourd’hui en classe de sixième, en découvrant la pédagogie Montessori. « Il était très éveillé. Dès l’âge de 2-3 ans, on a vu que c’était un enfant qui demandait beaucoup. Nous avons cherché à répondre à ses attentes. » Convaincu par l’IEF, le couple (lui, dans la communication, elle, ergonome pour la médecine du travail) a reproduit le même schéma pour Joseph et Raphaël, en CM2 et CP « à la maison ». Nathalie souhaitait aussi le « respect du rythme » et l’« accompagnement émotionnel » pour son petit garçon aux « spécificités dys ». Après s’être tournée vers plusieurs écoles alternatives, déçue par le manque d’adaptabilité des établissements, elle a opté pour l’enseignement à la maison. « En l’espace d’un an, ça n’a plus été le même enfant. Maintenant, il respire », se réjouit-elle.

Des familles, des réalités différentes

Au sein des associations de familles adeptes – Les enfants d’abord, Liberté éducation, Laia, Felicia… –, les témoignages enthousiastes de parents attachés à des formes alternatives d’apprentissage et attentifs aux besoins particuliers de leurs enfants sont légion. Mais ces pères et ces mères, très visibles dans l’espace médiatique, ne sont probablement pas complètement représentatif·ves. François D. a procédé pendant quatre ans, en binôme, aux contrôles annuels prévus par l’Éducation nationale au sein de foyers de collégien·nes en IEF. La réalité de terrain qu’il a observée en Seine-Saint-Denis ne colle pas à cette version idyllique. « Il y a en effet des “bobos” qui ne veulent pas que leur enfant aille se “gâcher” à l’école. Mais ce n’est pas la majorité des cas partout, assure-t-il. Les parents que j’ai rencontrés cherchaient plutôt à fuir le collège de secteur, sa prétendue mauvaise réputation et les “mauvaises fréquentations” pour leurs enfants. Ils manifestaient un mélange de crainte et de défiance envers l’institution et les programmes. Avec facilement un peu de complotisme en arrière-plan. Certains enfants étaient aussi en situation de phobie scolaire. » Et le niveau académique des élèves était aussi bien loin des success stories mises en avant. 

Si l’instruction en famille semble permettre à un grand nombre d’enfants d’apprendre et de progresser si l’on se fie aux seuls chiffres officiels – les contrôles de l’Éducation nationale concluaient que l’enseignement donné était conforme au droit à l’instruction de l’enfant pour 92,7 % des enfants non scolarisé·es en 2016-2017 –, certain·es ne tireraient pas profit de ce mode d’apprentissage. « Les élèves que j’ai vus, moi, n’avaient pas du tout le niveau. Nous n’avons pas rencontré une seule famille qui ait les compétences pédagogiques et didactiques pour enseigner, même pas en sixième, assure l’inspecteur. Sans compter le manque de socialisation des enfants, pour moi un gros point faible de l’instruction à domicile. » 

Isoler leurs enfants, Jérémy, Jean-Baptiste et les autres s’en défendent fermement, évoquant les nombreuses sorties ludiques ou culturelles prévues notamment par le tissu associatif « no-sco ». « À l’issue des visites, notre préconisation était toujours la rescolarisation », conclut l’inspecteur. Mais il le reconnaît : le système de contrôle manque cruellement d’un suivi des dossiers. Dans les faits, impossible de savoir ce qu’il advient des recommandations des inspecteur·rices. 

Le risque de radicalisation, réel ou fantasmé ?

Quid du « nerf de la guerre », le risque de radicalisation et de séparatisme ? Les discours publics qui mettent en avant des familles musulmanes religieuses en rupture avec les valeurs républicaines inculquées par l’école semblent peu en lien avec la réalité. « Il y a clairement une volonté politique de mettre l’accent sur les familles qui demandent l’IEF pour des raisons religieuses, ce qui, selon mon expérience, est très rare », continue FrançoisD. Le phénomène, s’il existe, n’est de toute façon objectivé par aucun chiffre. « Aucune enquête ne permet de dire dans quelle proportion l’instruction en famille concerne les familles musulmanes ni quel type de familles musulmanes elle concerne réellement », écrit Amélie Puzenat, maîtresse de conférences à l’Université catholique de l’Ouest, à Angers, une des rares chercheuses à avoir travaillé sur l’école à la maison dans les familles musulmanes. « Par ailleurs, vu l’augmentation de témoignages, sur Internet, au sein de familles catholiques, il semblerait que les familles musulmanes ne soient pas les seules familles observantes à avoir recours à l’instruction en famille », poursuit-elle.

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Il serait cependant faux de penser que l’islam radical, lui, ne cherche pas à investir le terrain de l’IEF. Anna Erelle, journaliste et coautrice de L’École hors de la République (éd. Robert Laffont), a enquêté sur la dizaine d’« écoles » en ligne qui se revendiquent salafistes ou wahhabites et proposent d’accompagner les enfants en IEF. Il s’agit en fait d’entreprises privées implantées en France ou à l’étranger (Émirats arabes unis, pays du Maghreb…). Comme toutes les plateformes d’enseignement en ligne autres que le Cned, elles ne sont pas reconnues par le ministère de l’Éducation nationale, qui n’a aucun moyen de contrôle sur leurs contenus ni aucun moyen juridique de les faire fermer. Et le discours religieux tenu, s’il est ouvertement rigoriste, ne contrevient pas à la loi.

Anna Erelle explique néanmoins : « En ligne, je me suis fait passer pour une mère qui souhaitait déscolariser son enfant pour des raisons religieuses. » Si la plupart des formations proposées étaient conformes aux programmes officiels de l’Éducation nationale, certains enseignements interféraient avec le socle de connaissances communes imposées par l’État laïque. « Une mère avec qui j’ai échangé, cliente d’Apprends-moi Ummi, une des plateformes d’inspiration salafiste les plus prisées, m’a par exemple raconté que les cours ne s’attardaient pas sur la théorie du big bang, pour mieux enseigner la vérité », rapporte la journaliste. 

Nombre d’associations de familles, regroupées au sein d’une interassociation nationale qui n’a cessé de faire du lobbying auprès des parlementaires depuis plusieurs mois, entendent bien ne pas en rester là. « Je n’ai jamais vu une telle mobilisation. Nous avons mis de côté tous nos différends, y compris politiques. C’est assez extraordinaire », rapporte Jean-Baptiste Maillard. Pour ce père, la bataille en vaut la peine. « Ce n’est pas possible de toucher à la relation parents-enfants. Un cadre législatif existe déjà pour faire des injonctions de rescolarisation en cas de dérive. C’est à l’Éducation nationale de faire le travail jusqu’au bout. »

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