Largué·e sur l'affaire Médine ? Deux spé­cia­listes du rap nous aident à y voir plus clair

La venue du rappeur Médine, accusé d’antisémitisme, est prévue ce jeudi soir aux journées d’été d’Europe Écologie-Les Verts (EELV). Plus l'échéance se rapproche, plus elle cristallise les tensions. Décryptage d'une polémique qui tient en haleine la classe politique depuis plusieurs semaines.

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Médine sur le tournage du clip
"FC Grand Médine", 2020. ©ThoMind

Ces derniers temps, Médine Zaouiche, de son nom complet, est partout. On ne compte plus les titres d’articles de presse faisant état de la polémique entourant le rappeur. En cause, sa programmation ce jeudi 24 août à l’ouverture des journées d’été des écologistes qui ont lieu au Havre (Seine-Maritime) jusqu’à dimanche. Au cours d’un rendez-vous public intitulé « Le canapé », l’homme de 40 ans, originaire du Havre, échangera avec Marine Tondelier, cheffe de file des écolos sur le thème « La force de la culture face à la culture de la force », parole tirée d’une de ses chansons, Rappeur 2 force, sortie en 2017.

L’entretien prévu ce soir à 18h45 durera quinze minutes. Quinze minutes de trop pour certain·es qui fustigent le choix d’EELV. Et celui de la gauche en général. Effectivement, deux jours après les écologistes, Médine sera également présent à l’université d’été de la France insoumise à Châteauneuf-sur-Isère (Drôme) pour une discussion publique cette fois avec la députée et cheffe de file des insoumis·es, Mathilde Panot. Il sera aussi à l’affiche de la fête de l’Humanité, festival organisé par le journal L’Humanité, proche du parti communiste, mi-septembre. Une invitation cohérente pour les organisateur·trices de ces évènements : Médine n’a jamais caché son engagement à gauche et a multiplié ces dernières années les actions contre la politique du gouvernement.

Jeu de mots ou tweet antisémite ?

Si l’annonce de sa venue aux journées EELV a provoqué une levée de boucliers fin juillet, c’est un tweet du rappeur posté le 10 août qui a mis le feu aux poudres. Dans ce dernier, Médine qualifie l’artiste et essayiste franco-gambienne Rachel Khan, très proche du gouvernement Macron, de « resKHANpée », à savoir, selon les termes du rappeur, « une personne ayant été jetée par la place hip-hop, dérivant chez les social traîtres et bouffant au sens propre à la table de l’extrême droite ». Il répondait là à une attaque de l'intéressée qui l'avait qualifié quelques jours plus tôt de « déchet ».

Il s'avère que Rachel Khan est juive et petite-fille de déporté·es. Raison pour laquelle certains membres du gouvernement ont vu dans ce jeu de mot une dimension antisémite. La secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté Sonia Backès et le ministre des Transports Clément Beaune, qui fustige un jeu de mot « abject », ont ainsi demandé à EELV et à LFI de le déprogrammer. « L’allusion aux rescapés des camps de la mort et la mise en évidence du patronyme juif en fait une attaque antisémite indéniable et intolérable », ont également écrit des député·es du parti présidentiel Renaissance dans un communiqué commun.

Dans la foulée, Médine s’est excusé auprès de Rachel Khan et s’est défendu de tout antisémitisme, précisant n’avoir fait « aucune allusion à une quelconque origine ou histoire familiale ». « Rachel Khan m’a traité il y a quelques jours de “déchet”. Je n’ai pas crié à l’islamophobie ni au racisme anti-arabe », avait-il déclaré sur X (anciennement Twitter).

Maintenir le dialogue

« C’est une erreur, je le reconnais », a-t-il ensuite affirmé dans un entretien au Parisien, précisant qu’il « n’avait pas en tête l’histoire de sa famille ». D’autant que, selon Benjamine Weill, philosophe experte du rap et autrice de À qui profite le sale ? Sexisme, racisme et capitalisme dans le rap français, paru en avril chez Payot, le jeu de mot avec « Khan » est courant dans l’univers du rappeur. « Il appelle tout le temps l’un de ses fils “le Khan” [son plus jeune fils s’appelle Genghis en référence à l’empereur mongol Gengis Khan, ndlr] et il appelle toute sa famille la Khan Family », explique-t-elle à Causette. Anissa Rami, journaliste indépendante spécialiste en société et dans le rap, abonde : « Sa femme, Karinale, a même sorti un livre de recettes “Bienvenue à la Khantoche” en 2021 », ajoute-t-elle.

Les excuses de Médine n’ont pas suffi à calmer la polémique. Polémique qui ne s’est d’ailleurs pas contentée d’agiter uniquement la sphère médiatique et populaire. L’invitation de Médine cristallise jusqu’au sein de la gauche. Elle la déchire même, au point d’en éclipser la rentrée politique de la Nupes. Si Marine Tondelier reste sur son choix de maintenir le dialogue qui sera selon elle l’occasion de « parler d’antisémitisme » pour mieux le faire « reculer », tout comme Mathilde Panot qui, au micro de France Inter hier, s’est dit « honorée », « contente et heureuse » de sa présence, d’autres ont préféré annuler leur venue. Les maires EELV de Bordeaux et Strasbourg, Pierre Hurmic et Jeanne Barseghian ont ainsi décidé de boycotter l’événement en raison de sa présence. Tout comme le ministre de l’Industrie, Roland Lescure ou l’ancien premier ministre et désormais maire du Havre, Édouard Philippe.

Soutien à Dieudonné

Le tweet a surtout été l’occasion de déterrer des accusations plus anciennes. Médine est en effet lesté d’une réputation sulfureuse, entretenue par des gestes et des prises de position passées. Pour comprendre la polémique, il faut donc revenir quelques années en arrière. A l’orée des années 2010, le rappeur affiche à plusieurs reprises un soutien à l’humoriste Dieudonné, condamné à plusieurs reprises pour avoir tenu des propos négationnistes, Dieudonné. Il pratique notamment une quenelle en 2014, salut nazi inversé créé et popularisé par ce dernier. Près d’une décennie plus tard, Médine a changé de discours. Quand il évoque cette période, il déclare auprès du Monde qu’« [il] se trompe, à ce moment-là. J’avais l’impression que Dieudonné était un fonds de commerce bâti sur des souffrances et des douleurs ».

« Il y a une cristallisation autour de Médine, qui, au-delà de la question de ce tweet, incarne une certaine islamophobie »

Benjamine Weill

On reproche aussi à Médine les mots « crucifions les laïcards comme à Golgotha » dans la chanson Don’t Laïk sortie en 2015 une semaine avant l’attentat visant la rédaction de Charlie Hebdo. « Il faut comprendre que depuis des années, une bonne partie de la droite et de l’extrême droite considère que Médine est un islamiste, estime Benjamine Weill. Il ne s’agit pas de minimiser ses paroles et gestes passés mais il ne faut pas oublier que Médine s’est excusé et qu’il s’est largement désolidarisé de Dieudonné, il n’a aucun mal à le dire. »

Pour elle, comme pour Mathilde Panot cheffe de file des Insoumis·es, Médine est donc « victime d’une cabale » de l’extrême droite. «Médine cristallise malgré lui une certaine islamophobie, bien au-delà de la question de ce tweet, ajoute-t-elle. Et c’est beaucoup plus facile d’accuser Médine d’antisémitisme que de creuser les questions du véritable antisémitisme structurel qui se pose dans la classe politique. Ça ne veut pas dire qu’il est parfait, mais avec cette polémique, on retombe dans l’image du rappeur qui est toujours “le grand méchant loup”. »

Censure

Pour Anissa Rami, il y a aussi une volonté de le censurer. « Il fait de la politique depuis longtemps dans ses chansons et maintenant qu’il songe à s’engager personnellement, il y a une volonté de le faire taire », estime-t-elle auprès de Causette. Pour elle, la force de Médine réside au contraire dans le fait qu’il « déconstruit le discours politique » et « porte une véritable convergence des luttes ».

Anissa Rami comme Benjamine Weill regrettent le manque de soutien de la gauche face à ces accusations. « Cette polémique montre surtout l’incompétence de la gauche. Ils veulent draguer du rappeur pour s’attirer les voix des jeunes, mais ne le soutiennent pas », soutient ainsi la journaliste. Même son du côté de Benjamine Weill. Si pour elle, les ponts entre rap et politique sont toujours intéressants, ils sont bien souvent l’expérience d’une récupération politique et desservent tout autant l’artiste que le discours politique. « Je me méfie toujours de ces passerelles, on a eu l’expérience en 2007 avec Diam’s et Ségolène Royal, raconte-t-elle. Ça discrédite à terme toute forme d’engagement des artistes dans leurs textes. » Et de poursuivre : « Certains artiste ont envie de prendre part au débat au delà de leurs chansons. Ça ne m'étonne pas que certains, comme Médine, s'engagent davantage pour tenter de faire bouger les choses. D’ailleurs je ne serais pas étonnée qu’un jour certains briguent des mandats. »

En attendant, Médine devra passer le test de l’échange avec Marine Tondelier ce soir. Un échange, qui, a quelques heures de l'échéance, continue de diviser chez les Verts et risque bien d'attirer toute l'attention. L’eurodéputée, Marie Toussaint, sera présente, mais a déjà acté qu’elle n’ira pas l’écouter. Quant au député écologiste de Paris, Julien Bayou, s’il a estimé qu’il « aurait peut-être été plus simple de ne pas l’inviter », il affirme qu’il est « important, maintenant que la polémique a tellement enflé, qu’on puisse prendre le temps de discuter ». Le maire de Lyon, Grégory Doucet, a lui assuré sur RTL qu’il irait « écouter ce que Médine a à dire » pour se faire « sa propre opinion ». Pour d’autres, il est tout simplement trop tard pour reculer. « J’aurais réfléchi au fait qu’il ne vienne pas, a déclaré, embarrassée, la députée Sandrine Rousseau sur RMC. Maintenant, il est invité, il faut aller jusqu’au bout. » Rendez-vous dans quelques heures donc. 

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