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Capture d'écran de la vidéo La faute des mamans ? © Youtube

Journée mon­diale de la sen­si­bi­li­sa­tion à l’autisme : pour Autisme France, la cam­pagne télé­vi­sée du gou­ver­ne­ment évite les vrais problèmes

La Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme a lieu ce mardi 2 avril. Pour l’occasion, le gouvernement mène une campagne pour combattre les clichés sur ce handicap à l’aide de trois spots télé. Interrogée par Causette, l’association Autisme France salue le clip déconstruisant la responsabilité des mères… Et s’étrangle des deux autres.

Quand il est question d’autisme, la méconnaissance de ce trouble du neurodéveloppement et les préjugés qui l’accompagnent peuvent être causes d’un cocktail de souffrance, d’exclusion et de perte de chance thérapeutique. Pour tenter de combattre cette ignorance encore très infuse dans notre société, le gouvernement diffuse, à la télévision et sur les réseaux sociaux, trois spots de sensibilisation ce mardi 2 avril, Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme. L’un dénonce, grâce aux voix de familles face caméra, la culpabilisation des mères, longtemps accusées d’être responsables du handicap de leur enfant. L’autre, dans lequel Elie Semoun joue un caissier, montre les bonnes pratiques d’un hypermarché pour rendre supportable la déambulation en magasin à des autistes hypersensibles. Le troisième, qui met en scène l’écrivain et champion du jeu télévisé Les Douze Coups de midi, Paul El Kharrat, et l’humoriste Paul Mirabel, a pour vocation de sensibiliser le grand public aux difficultés des personnes autistes à interpréter les expressions faciales d’autrui.

“L’autisme, c’est encore trop souvent la culpabilisation des parents, et notamment des mères, la difficulté pour les personnes concernées à trouver un travail et le garder, une grande solitude et des idées suicidaires fréquentes”, observe Étienne Pot, délégué interministériel en charge de la stratégie nationale autisme et troubles du neurodéveloppement (rattachée au ministère des Solidarités). Même si ce médecin généraliste en poste depuis peu à la délégation reconnaît que le sujet est de plus en plus visible médiatiquement, “les représentations caricaturales, les idées reçues et les fausses croyances continuent encore à circuler”. Pour construire cette campagne gouvernementale – la première depuis 2016 – la prédécesseure d’Étienne Pot, Claire Compagnon, s’est attachée à travailler les messages avec des familles et des personnes autistes. Les scénarios, eux, ont été coécrits par les écrivaines Minh Tran Huy – dont le livre Un enfant sans histoire, sur l’autisme de son fils, a été très remarqué – et Hélène Grémillon, coscénariste du film sur le handicap Presque, d’Alexandre Jolien et Bernard Campan.

Une déculpabilisation des mères bienvenue

Dans le premier clip, sur les fausses croyances autour de la responsabilité des mères en matière d’autisme, on voit plusieurs d’entre elles et leurs enfants énoncer ce qu’elles ont pu entendre de la part des professionnel·les de santé : “Quand on m’a annoncé l’autisme de Karl-Emmanuel, on m’a dit que c’était sans doute dû à des traumatismes que j’aurais vécus dans mon enfance.” “On m’a dit que mon fils était autiste parce que je l’aimais trop.” “On a nié l’autisme d’Arthur et on m’a affirmé qu’il avait des problèmes parce que j’avais repris le travail.” Aux yeux de Danièle Langloys, présidente d’Autisme France – la plus grande fédération française d’associations de familles concernées –, il s’agit d’un spot réussi. “Il a l’intérêt de dire au grand public à quel point les familles concernées par l’autisme ont souffert et souffrent encore des âneries monstrueuses qu’on a jetées aux parents pendant des dizaines d’années, affirme Danièle Langloys. Dans les facs de psycho, on enseigne encore la fausse idée selon laquelle l’autisme serait une psychose liée à un défaut de l’attachement, bien qu’on sache depuis de nombreuses années qu’il s’agit en fait d’un trouble du neurodéveloppement.”

Au-delà de ce premier spot réussi, la présidente d’Autisme France regrette que sa fédération d’associations n’ait pas été consultée et émet de grosses réserves sur les deux autres vidéos. “Certes, on peut se féliciter que, pour une fois, ce sont des personnes autistes qui jouent dans ces vidéos et non pas des acteurs non concernés, souligne Danièle Langloys, interrogée par Causette. Mais le principal problème, c’est que ces deux autres clips mettent en scène des adultes qui ont un certain niveau cognitif. Or, 30 à 40 % des personnes autistes présentent des troubles du développement intellectuel associés sévères et sont bien incapables de parler d’elles-mêmes. Cette campagne porte donc une vision quand même très réductrice de ce qu’est l’autisme en mobilisant des clichés.” Des clichés qui, aux yeux de celle qui est elle-même mère d’un garçon autiste, feraient passer à la trappe les difficultés que rencontrent de nombreuses personnes concernées et leurs familles au quotidien.

“Pas suffisamment glamour”

Ainsi, avec le clip mettant en scène un jeune homme autiste pris de malaise face aux bruits et aux lumières criardes d’un supermarché, “on tombe dans le cliché de l’hypersensibilité, qui met de côté toutes les personnes autistes qui, au contraire, sont hyposensibles et sont aussi nombreuses que celles hypersensibles”, tempête Danièle Langloys. “Pourtant, cette hyposensibilité peut pourtant être dramatique, par exemple avec des personnes qui ne vont pas craindre le feu et se brûler”, insiste-t-elle.

Quant à la vidéo dans laquelle Paul El Kharrat et Paul Mirabel se donnent la réplique, attablés à un café, pour échanger sur la supermémoire du premier et ses difficultés à percevoir les sentiments des gens, là non plus, elle ne tombe pas juste pour Danièle Langloys. “En France, entre 40 à 50 % des personnes autistes ne parlent pas, rappelle la présidente d’Autisme France. Et celles-là, elles n’existent pas, on ne les représente jamais, car on préfère parler de celles qui ont des capacités cognitives extraordinaires qui, elles, sont suffisamment glamour. Que va comprendre le grand public ? Ah, les autistes, vous êtes des petits génies un peu bizarres qui savent tout, vous avez bien de la chance ? Cela me heurte. Parce que ce sont ceux qui ont du mal à entrer en contact avec autrui qui ont besoin de services et n’y ont pas accès, qui ont besoin de lieux de vie et qui attendent au moins dix ans sur les listes d’attente.”

"Vraie galère"

Malgré la volonté de bien faire et de décloisonner l’autisme avec cette campagne, la déception est grande pour Autisme France. “Le gouvernement devrait plutôt aller voir dans les centres qui prennent en charge les personnes autistes pour se rendre compte de ce que c’est qu’un adulte sévère avec des troubles sévères, tance encore Danièle Langloys. Souvent, les troubles autistiques s’accompagnent d’un TDAH sévère, de crises d’épilepsie, de troubles alimentaires, du sommeil, etc.”

S’adapter à son environnement, être scolarisé·e, travailler : autant de domaines qui relèvent du parcours du combattant pour les personnes autistes et leur famille. Pour faire prendre la mesure aux acteur·rices public·ques et à l’opinion de ce que peut être la “vraie galère” de trouver sa place dans une société encore largement validiste, Autisme France a, de son côté, préféré s’emparer de la journée du 2 avril pour alerter sur le sort des adultes autistes, “grands oubliés des politiques du handicap”. Dans un rapport publié sur son site, l’association établit des constats à l’appui d’une étude à laquelle ont répondu 2 300 autistes et leurs aidant·es : errance diagnostique, obligation de vivre chez ses parents faute de soutien en milieu ordinaire, grandes difficultés dans l’accès au travail et à la vie sociale, absence d’encadrement parfois délétère dans les maisons d’accueil spécialisées pour les personnes dont le trouble est le plus sévère, maltraitances en hôpital psychiatrique, manque de moyens structurel… les préoccupations d’Autisme France se révèlent bien éloignées de la campagne de sensibilisation lancée par le gouvernement.

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