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« Je ne vois pas mon ave­nir ». Récit de deux jours au pro­cès du cyber-​harcèlement de Mila

Le procès des treize jeunes adultes poursuivi·es pour cyber-harcèlement et menaces de mort sur Mila Orriols s’est déroulé ces 21 et 22 juin au tribunal judiciaire de Paris. Le verdict de la justice est attendu le 7 juillet prochain.

Le procès est pour ainsi dire historique. Dix hommes et trois femmes âgé·es de 18 à 29 ans ont comparu ces 21 et 22 juin devant la 10ème chambre du tribunal judiciaire de Paris pour avoir, entre le 14 et le 16 novembre 2020, participé à la vague de harcèlement sur la personne de Mila Orriols. Treize jeunes français·es ordinaires, aux casiers judiciaires vierges, qui vivent pour la plupart encore chez leurs parents, poursuivis pour « harcèlement moral en ligne » et « menaces de mort » pour dix d’entre eux. Treize gouttes d’eau dans l’océan de haine qui submerge Mila depuis plus d’un an. Car si la vie des prévenu·es semble sans histoire, leurs messages, cités par le président du tribunal lors de leur audience, sont eux d’une extrême violence. Un véritable débat de société se joue en filigrane de ce procès : que faire de l'impunité sur les réseaux sociaux ?

Retour au 18 janvier 2020. À la suite de commentaires sur la plateforme Tik Tok critiquant son homosexualité au nom de l’islam, l’adolescente, 16 ans à l’époque, publie une vidéo en direct sur le réseau social. « Je déteste l’Islam. Votre religion, c’est de la merde, votre dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul » déclare-elle. Sur le moment, seul·es une quinzaine de spectateur·rices assistent à la séquence. Mais, rapidement, la vidéo devient virale et entraîne des centaines de commentaires d’une violence sans nom. Les réseaux sociaux s’emballent et les #JesuisMila et #JesuispasMila prennent même place en “tendances” sur le réseau social Twitter pendant des jours. Le 14 novembre 2020, dans une seconde vidéo relative au harcèlement qu’elle subit en ligne depuis des mois, Mila réitère ses propos : « Et dernière chose, surveillez votre pote Allah s’il vous plaît. Parce que mes doigts dans son trou du cul je ne les ai toujours pas sortis », conclut-t-elle. Seconde salve de harcèlement pour la jeune femme. Au total, ce sont plus de 100 000 messages privés, posts et mails signalés en partie sur la plateforme Pharros (qui lutte contre le harcèlement en ligne, ndlr), selon l’avocat de Mila, Richard Malka. Parmi ces auteur·rices, treize jeunes adultes, passé·es de l’anonymat d’Internet au banc des prévenu·es.

Procès hors norme

Détecteur de métaux, fouille des sacs, policier·ères devant et dans la salle d’audience. Le dispositif de sécurité témoigne malheureusement de l’ampleur des menaces qui planent sur la vie de Mila. Courageuse, la jeune femme est pourtant bien là. Entourée par son avocat, et par sa mère, elle assiste aux débats, la tête haute. Avec son carré court bleu-vert et sa veste en jean blanche, Mila, à peine majeure a tout d'une jeune fille ordinaire. Seuls ses quatre gardes du corps assis juste derrière elle rappellent qu’on se trouve ici dans un procès hors norme. Ses 8 tomes et quelques 4827 pages de procédure qui tenteront, pendant deux jours, de décortiquer un phénomène : celui de la haine en ligne, gratuite et instantanée. En préambule, le président l’assure d’ailleurs, « il y aura un avant et un après. Nous sommes en train de poser les règles de ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas sur les réseaux sociaux ».

Enzo est le premier prévenu à défiler à la barre. Le 14 novembre, à un internaute ayant tweeté « la différence entre Mila et Allah c’est qu’elle, elle existe », Enzo répondait « plus pour longtemps ». Le lendemain, il adressait un message privé sur Twitter à la jeune fille : « Tu mérites de te faire égorger sale grosse pute. Retire ta croix, tu n’en es pas digne. » Engoncé dans un costume gris, le jeune homme de 22 ans sans profession n’en mène pas large face aux magistrat·es. « Le premier message ce n’était pas une menace de mort, c’était pour dire qu’elle risquait de se faire tuer, tente t-il d’expliquer. Bon le deuxième, j’ai fait une connerie, j’ai directement supprimé et j’ai bloqué Mila. Je me suis mal exprimé, je regrette vraiment. » Le jeune homme - qui se définit comme « chrétien » - sera l’un des seuls à se tourner vers elle pour lui présenter ses excuses.

« Je ne suis pas un harceleur, je n’ai pas eu l’intention de la harceler », assure ensuite Axel, 19 ans, qui a tweeté le 15 novembre « La Mila elle continuera jusqu’à ce que quelqu’un la trouve et la crève, c’est tout ». Au cours de sa garde à vue, ce préparateur de commande en intérim avait déclaré « être choqué que Mila réitère ses propos » dans sa vidéo de novembre et qu’« elle aurait dû être sanctionnée pour racisme ». Enzo, Axel, Lauren, Anissa, Manfred, Jordan, Pierre, Nawfel, Adam, Naissata, Corentin, Mehdi. Au total douze prévenu·es (Meven est absent) se succèdent à la barre. Une majorité d’athées et de catholiques, trois mulsulman·es qui affirment toutes et tous ne jamais prendre part aux débats politiques et religieux dans la vie « réelle ». 

L'impunité des réseaux sociaux

Le tribunal cherche donc à comprendre ce qui a alors pu pousser ces jeunes adultes à taper sur leurs claviers « Prends toi un train », « Dis-moi t’habite ou (sic) je vais te faire une Samuel Paty », « Wesh je suis sûr que si je mets un coup de bite à Mila elle arrêtera de faire chier cette mal baisée », « Ça va venir chez toi, ça va te ligoter et te torturer petite pute de raciste de morts », « Bon enculez la fort qu’on en parle plus. Mettez un coup de machette de ma part à cette grosse pute de Mila », « Va bien te faire fourré (sic) sombre pute, je te souhaite de mourir de la façon la plus atroce qui puisse exister et si jamais ça tarde, je m’en chargerai moi-même ».

S’ils et elles reconnaissent pour la grande majorité être l’auteur·rice de ces messages, toutes et tous contestent les faits de harcèlement et de menaces de mort qui leurs sont reprochés. Lauren, reconnaît elle-aussi avoir tweeté « que quelqu’un lui broie le crâne par pitié » le 16 novembre sans « vouloir lui faire quoique ce soit ». Cette étudiante en anglais de 21 ans – qui confie à la barre avoir été harcelée toute sa scolarité - parle à la barre d’une voix fluette. « On ne vous entend pas du tout, c’est vrai que c’est plus facile sur Twitter », ironise le président. 

Un fossé sépare effectivement la violence des faits reprochés et le profil presque banal des prévenu·es. Pourquoi se sont-ils permis·es, derrière leur écrans, d'écrire des horreurs sur les réseaux ? Certains invoquent « leurs impulsions », d’autres expliquent avoir « réagi à chaud ». Tous en tout cas semblent dans la confusion totale concernant le blasphème, et ce qui le distingue légalement de l’injure et du racisme. « Blasphémer c’est manquer de respect envers Dieu, ou la religion, les rites, les symboles de la religion, rappelle le président du tribunal. Mais dire que tous les chrétiens sont des cons, c’est une insulte, c’est tourné vers des êtres humains. »

« J’essaye juste de rester optimiste parce que j’ai très souvent et de plus en plus l’impression d’avoir tout perdu. Ce qu’il me reste, c’est la justice. »,

Mila

Si les treize prévenus estiment qu’il s’agit d’une « erreur de jeunesse », la situation est bien plus grave pour Mila et sa famille, qui vivent un véritable « cataclysme » depuis 18 mois maintenant. À la barre, la mère de la victime témoigne en effet des conséquences réelles de ce harcèlement. « On a l’impression que le ciel nous tombe sur la tête, du jour au lendemain c’est une autre vie. On est confronté à la haine pure. » La vie de Mila est effectivement suspendue depuis janvier 2020. Elle ne peut plus se déplacer sans un service de protection et a dû être déscolarisée. « Mila est complètement coupée de la vie réelle, elle vit comme dans une grotte, confie sa mère. On n’envisage pas l’avenir de Mila, on vit au jour le jour. » À l’évocation de son quotidien, Mila essuie une larme sur sa joue. 

Pendant plus d’une heure, la mère de Mila est interrogée par la défense. « Pourquoi n’avez-vous pas coupé les réseaux sociaux de votre fille pour stopper ce déferlement de haine ? », demande une avocate. « On s’est rendu compte que le harcèlement de Mila est complètement déconnecté de sa présence sur les réseaux sociaux, répond t-elle. Chaque republication de la vidéo, chaque prise de parole d’une personnalité, chaque fait d’actualité pouvant être relié à Mila génère automatiquement du harcèlement. » 

La jeune fille - qui s’est vue prescrire 4 jours d’incapacité totale de travail en décembre dernier - souffre aujourd’hui de dissociation traumatique, d’hypervigilance anxieuse et de troubles du sommeil. Après avoir vu défiler à la barre ses harceleur·ses, c’est à son tour de s’exprimer. Ses mots sont confus et hésitants, sa voix tremblante comme pour nous rappeler que la victime dans ce procès est bel et bien une jeune fille d'à peine 18 ans. « Je ne vois pas mon avenir. Ou alors... si je me projette dans un certain nombre d'années, c'est beaucoup d'idées noires. Si j'ai un peu d'espoir, je me vois encore vivante mais pas avec la vie que j'aurais voulu avoir, déclare Mila face au tribunal. J’essaye juste de rester optimiste parce que j’ai très souvent et de plus en plus l’impression d’avoir tout perdu. Ce qu’il me reste, c’est la justice. »

La justice, c’est aussi ce que demande son avocat, Me Richard Malka. Dans une longue plaidoirie, celui qui avait également défendu Charlie Hebdo à l’occasion du procès des attentats du 7 janvier 2015 rappelle que « pour la première fois dans l’histoire de ce pays, une adolescente de 18 ans a reçu 100 000 messages de menaces de mort avec une connotation sexiste et homophobe » et qu'« il y aura d’autres Mila si on ne prend pas conscience de la gravité de ce qui a été commis par ces treize là. » L’avocat conclut par ailleurs en demandant entre 5 000 et 10 000 euros de dommages et intérêts à l’encontre de chacun·e des prévenu·es.

Six et trois mois de prison avec sursis requis

Au deuxième jour de procès, le procureur présente ses réquisitions. « Déclarer coupable les prévenus, ce sera rendre à Mila la dignité qu’on a voulu lui voler, ça voudra dire qu’on ne la prend plus pour un punching-ball […] Les réseaux sociaux ne sont pas un far-west sans règles », estime t-il. A l’exception d’un des prévenus, dont le ministère public requiert la relaxe « dans le bénéfice du doute », tous·tes sont estimé·es responsables. Pour harcèlement, le parquet requiert ainsi une peine de trois mois d’emprisonnement avec sursis. Pour harcèlement et menaces de mort, les réquisitions montent à six mois, avec sursis là encore. A l’écoute du réquisitoire, Mila fond en larmes de déception.

Ultime étape du procès, les treize avocat·es de la défense se succèdent pour 30 minutes de plaidoiries chacun·e. Une majorité des conseils plaidera la relaxe. Le président demande ensuite aux prévenu·es s’ils et elles souhaitent s’exprimer. Six sont déjà partis et les cinq qui restent n’ont rien à ajouter.  

En attendant le verdict de la justice qui aura lieu le 7 juillet prochain, la justice entend poursuivre son œuvre. « L’enquête se poursuit, il y aura d’autres interpellations et d’autres procès comme celui-ci », a ainsi assuré le procureur. Car pour Mila, le harcèlement n'a pas de fin. À la sortie de salle d'audience, Mila lit d'ailleurs aux journalistes un long message d'une violence inouïe qu'elle vient de recevoir sur Instagram. « Je vais te violer tellement fort que tes règles vont sortir par ta bouche [...] Je vais aller cracher sur ta tombe [...] Va te pendre. » Avant de partir, sous l'escorte de ses gardes du corps, la jeune fille conclut : « Apparemment, il y en a qui n'ont pas envie de comprendre et je trouve ça désolant. »

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