Capture d’écran 2022 11 07 à 14.10.18
©Besse

Françoise Cadol, comé­dienne de dou­blage et voix off : "Le dou­blage est un acte empathique"

Elle est la voix française d’actrices étrangères (Sandra Bullock, Tilda Swinton...), de personnages de jeux vidéo (Tomb Raider), mais aussi, celle que l’on entend dans des documentaires, des pubs, des livres audio... Françoise Cadol, 57 ans, est comédienne de doublage et voix off. En studio, elle doit s’adapter en un clin d’œil aux scènes et à leurs interprètes, souvent sans rien connaître à l’avance des œuvres.

« Le cerveau me passionne. À 14 ans, je voulais devenir neurochirurgienne. Mais un jour, je vois une annonce de stage de théâtre et décide de m’inscrire. Le stage dure une semaine, je suis fascinée. Je passe le bac et plutôt que de m’inscrire en fac de médecine, je m’inscris au Cours Simon dans lequel je reste trois ans. Un jour, la directrice me convoque dans son bureau et me dit : “Ta scène d’hier soir était top. Tu as montré de très belles émotions. Par contre, je ne sais pas ce qu’on va faire de toi avec ta voix.” C’est violent !

Je travaille et travaille mes rôles, ma technique et j’apprends. À force de parler, de lire tout haut, ma voix se place. Après le Cours Simon, je continue le théâtre avec Denise Noël, sociétaire de la Comédie-Française. Puis j’entre dans l’école de Niels Arestrup et Yves Lemoine. Sept ans de cours. Un beau jour, je me dis : “J’y vais, je me lance.” Je n’ai personne de ma famille dans le milieu, alors j’essaie tout : le théâtre, les tournages, le doublage, la radio... Je rencontre des gens, je me renseigne, je vais au théâtre, regarde les noms des metteurs en scène, regarde des films et des films et les noms des réalisateurs, des documentaires, des doublages, je cherche un agent... Je passe des auditions, des essais, des castings... Et puis la vie.

Le premier film dans lequel je prête ma voix pour un rôle important, c’est Femmes au bord de la crise de nerfs, de Pedro Almodovar. Cela arrive après de nombreuses heures passées dans les studios à regarder comment font les autres, à m’essayer à la technique du doublage, à m’améliorer, à me rendre disponible à ce que je vois à l’image... Il y a une vraie technique à acquérir. Les labiales, par exemple. Quand tu es dans le studio de doublage, tu es devant un écran de cinéma. En bas, à gauche de l’écran, il y a une barre qui ne bouge jamais. Quand le texte arrive sur cette barre, il faut le dire et être en accord avec lui. Ce texte, c’est un auteur qui l’a traduit et adapté : on ne choisit pas n’importe quel mot car il faut que la prononciation colle avec le mouvement des lèvres de la comédienne. Par exemple, le mot life est très compliqué, car la traduction française – “vie” – est très éloignée de la prononciation initiale. Il faut donc trouver des adaptations.

Pour prêter sa voix à une comédienne, il faut être soi-même comédienne. Et connaître sa propre voix. Prêter la sienne est un acte empathique. Il faut être capable d’attraper en un minimum de temps les émotions, les intentions de l’actrice, partir non pas de soi, mais d’elle, de ce qu’elle propose, de ce qu’elle joue et se laisser porter. Il faut oublier “soi”. Ne pas réfléchir. Quand, parfois, la comédienne que je double est dans des émotions fortes, il arrive que mon émotion s’ajuste à la sienne et que je sois submergée. Je dois malgré tout garder une distance avec moi-même, parce que ce n’est pas moi le sujet.

Le “truc” le plus important dans ce métier est que le résultat doit paraître évident. Le spectateur ne doit pas se poser de question. “Ça marche” lorsqu’il y a alchimie perçue comme simple et naturelle. Dans le studio, l’ingénieur du son, le directeur ou la directrice artistique nous dirigent. Ils nous aident à préciser notre jeu, veillent au son et à ce que les mots soient en place avec l’image. On ne voit pas toujours les films en entier avant de les doubler. Jamais les séries. Quand on est récurrent dans une série, on se familiarise avec le comédien ou la comédienne que l’on double. Avant la crise sanitaire, nous pouvions jouer des scènes à plusieurs devant le micro. On se parlait, on se répondait. Le Covid a bougé tout cela ; et nous nous sommes retrouvés seuls, chacun face au micro à s’imaginer les répliques de l’autre ou des autres comédiens. Pourtant, nous avons continué de travailler.

Doubler un film est toujours passionnant. J’ai la chance de prêter ma voix à des comédiennes magnifiques, telles qu’Angelina Jolie, Sandra Bullock, Tilda Swinton, Nicola Walker et tant d’autres. Je me suis régalée à travailler sur Maléfique, ou encore sur Gravity... Dans Miss Détective, Sandra Bullock joue une flic qui parle beaucoup en mangeant. Je ne sais pas combien de kilos de pommes j’ai ingurgités pour la doubler ! Je viens de doubler Tilda Swinton dans Trois mille ans à t’attendre. Ce film est un régal. C’est génial de découvrir comment chaque comédienne travaille son personnage. Et là aussi, je continue d’apprendre et de m’inspirer. Il arrive que l’on “reconnaisse” ma voix dans le quotidien. Il y a peu, dans un café, je parle avec une amie, une jeune femme me montre du doigt en s’exclamant : “Desperate Housewives !” Ou encore dernièrement, un jeune homme me regarde avec des yeux ronds : “Vous avez accompagné mon enfance avec Lara Croft ! Pourquoi ont-ils changé la voix française ?” Que de sourires !

Niveau emploi du temps, ce n’est jamais la même chose d’une semaine sur l’autre. Je suis intermittente du spectacle, je cumule souvent des activités artistiques différentes. Je peux travailler deux mois sur une pièce de théâtre, tourner quelques jours, avoir une semaine de libre, écrire, mettre en scène, monter un projet, puis un autre, partir en studio prêter ma voix à des pubs, des livres audio, des jeux vidéo, des documentaires, animer des ateliers sur la voix ou sur l’imaginaire... La voix est un paysage, un monde ; c’est une signature. Elle est rusée, elle émeut, chatouille, séduit, joue avec qui l’écoute, si bien qu’elle vous laisse à penser que vous la connaissez. »

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