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Décès d'Aïcha, 13 ans : décryp­tage d'un biais raciste appe­lé “syn­drome méditerranéen”

Le décès d’Aïcha, une adolescente noire accusée par les pompiers de simuler ses souffrances, vient de nouveau mettre en lumière la persistance du “syndrome méditerranéen”. Un préjugé raciste qui favorise inégalités de santé et erreurs médicales.

Suspectée de simuler un malaise, Aïcha, treize ans, a été laissée chez elle dans un état semi-conscient par les pompiers de Paris, convaincus qu’elle mentait. En réalité, l’adolescente souffrait d’une hémorragie cérébrale. Elle est décédée douze jours plus tard, comme l’a révélé Médiapart dans une enquête parue le 3 décembre. Un drame qui fait tristement écho au décès de Yolande Gabriel : en août 2020, cette Martiniquaise de 65 ans est décédée chez elle après avoir attendu les secours plus d’une heure. Là aussi, les enregistrements ont montré que ses souffrances avaient été minimisées par le Samu de Seine-et-Marne.

Trois ans plus tôt, c’est Naomi Musenga, 22 ans, qui appelle le Samu, à Strasbourg, parce qu’elle souffre de douleurs intenses au ventre. Au téléphone, elle souffle qu’elle est “en train de mourir”. Moquée par les deux opératrices qui sont au bout du fil, elle est alors redirigée vers SOS Médecins, qui la renvoie à son tour vers le Samu. Finalement conduite à l’hôpital, elle mourra quelques heures plus tard d’une défaillance multi viscérale. Le point commun entre ces trois manquements fatals ? Tous concernent des femmes noires, qui pourraient avoir été victimes du “syndrome méditerranéen”.

C’est quoi, le syndrome méditerranéen?

C’est un stéréotype culturel raciste selon lequel les personnes noires, maghrébines ou issues de minorités du bassin méditerranéen auraient tendance à exagérer leurs douleurs et leurs symptômes. Un biais qui conduit à des défaillances dans la prise en charge des patient·es concerné·es, dont les douleurs sont minimisées, voire carrément niées, par les professionnel·les de santé. Ce qui, outre des réactions méprisantes envers les patient·es, se traduit par une moindre prise en charge de la douleur (par exemple lors de l’accouchement), des retards de soin, voire une absence de prise en charge médicale. Un ensemble de discriminations dont les conséquences peuvent parfois être fatales.

D’où vient ce stéréotype?

Il s’est développé avec les mouvements migratoires qui ont suivi la Seconde Guerre Mondiale. À l’époque, des études indiquent qu’on observe souvent des douleurs inexpliquées chez les travailleurs venus du Sud de l’Europe ou des colonies d’Afrique du nord, qui exprimeraient des “plaintes douloureuses excessives”. Faute d’explication médicale, ces études mettent ces troubles sur le compte de difficultés d'adaptation à l’environnement local et seraient, en gros, des manifestations psycho-somatiques. En 1952, le psychiatre Franz Fanon utilise à ce sujet l’expression de “syndrome nord-africain” qu’il définit comme “une catégorisation des professionnels de santé sous-tendue par des stéréotypes racistes qui faisait du Nord-Africain […] un simulateur, un menteur, un tire-au-flanc, un fainéant, un feignant, un voleur ».

Le syndrome méditerranéen est-il propre à la France?

Non, il existe ailleurs, sous d’autres noms, et peut concerner d’autres populations. En Europe, on parle par exemple de “syndrome transalpin” en Suisse, ou de “syndrome italien” en Belgique et en Allemagne. Des études ont également montré l’existence d’un phénomène similaire aux États-Unis envers les populations hispaniques, africaines-américaines ou issues des peuples natifs, en Grande-Bretagne envers les personnes d’origine indo-pakistanaise, en Allemagne envers les populations d’origine turque, ou au Canada envers les populations aborigènes. En 2019, la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec avait ainsi souligné l’existence de préjugés pouvant mener à des pratiques discriminatoires à leur égard, notamment dans le champ de la santé.

Lire aussi I Brésil : à la maternité, la douleur aussi a une couleur

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