« Cold case » : qui a tué ma cou­sine, Mireille Glédines ?

Il y a quarante-quatre ans, Mireille Glédines, 21 ans, Mimi pour les proches, était tuée à coups de pierres dans un bois sur les hauteurs de Toulon (Var). La création du pôle affaires non élucidées du parquet de Nanterre redonne à Marthe, 85 ans, l’espoir de mettre un jour un nom sur l’assassin de sa fille. La cousine de Mireille, Anna Cuxac, rédactrice en chef adjointe du site Causette.fr, raconte son combat.

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Photo de Mireille Glédines, dite « Mimi »,
prise d'un Photomaton quelques semaines avant sa mort.
© Avec l'autorisation de la famille de Mireille Glédines

Je me souviens d’un grand portrait sépia d’une belle jeune fille aux cheveux noirs nattés, au sourire un peu gêné et à la robe fleurie. Le portrait avait la taille d’un tableau de musée, comme s’il fallait marquer dans la maison de ma tante à Six-Fours-les-Plages (Var), en toute circonstance, le chagrin massif, écrasant, de l’absence. Mimi, la fille de ma tante, avait disparu, me disait-on sobrement quand j’étais vraiment petite, et on n’avait jamais retrouvé celui qui l’a fait disparaître.

Parce qu’elle était déjà âgée sur la photo et que la couleur sépia donnait le sentiment qu’elle vivait dans un passé lointain, j’ai mis longtemps à comprendre que Mimi était ma cousine germaine. La fille unique de ma tante Marthe, assassinée dix ans avant ma naissance, pour laquelle justice n’avait jamais été faite. On ne me racontait pas et, donc, je brûlais de savoir. Je me souviens en particulier d’avoir clandestinement écouté une conversation téléphonique entre ma mère et sa grande sœur âgée de seize ans de plus qu’elle. J’entendais « Mimi », « enquête » et des sanglots dans le combiné. Ce soir-là, j’ai aussi entendu pour la première fois le mot « lapidée » et je l’ai cherché dans le dictionnaire.

Il m’est resté longtemps l’idée confuse que Mimi avait été violée, parce qu’elle avait été retrouvée nue. J’apprendrais des années plus tard que cela, au moins, lui avait été épargné.

Dimanche 20 mai 1979, 16 h 30, garrigue du Beausset

Mireille Glédines, tout juste 21 ans, a été tuée à coups de pierres le dimanche 20 mai 1979. Son corps fut laissé à découvert au lieu-dit du Four à Chaux dans la garrigue du Beausset, à moins d’un kilomètre du circuit du Castellet (Var) où, ce week-end-là, se déroulait le Bol d’Or, une compétition annuelle de moto. C’est un couple de promeneur·euse qui l’a trouvée là, vers 16 h 30. Le médecin légiste estimera que sa mort avait eu lieu quelques heures auparavant. Mimi a donc été tuée en plein jour, les vrombissements des motos couvrant probablement ses cris.

“Tu vois, la création de ce pôle affaires non élucidées au parquet de Nanterre, pour moi, c’est peut-être ma dernière tentative de découvrir la vérité”

Marthe Vanni, mère de Mireille Glédines

Dans les notes constituées par ma tante et ma mère à l’aide du dossier d’instruction, des informations disparates sont étrangement regroupées : le crâne de Mimi a été fracassé avec un objet contondant – on retrouvera trois grosses pierres ensanglantées à ses côtés ; le meurtrier ne lui a laissé aucun vêtement, mises à part ses socquettes blanches et ses tennis ; la pluie de l’orage de la fin de matinée de ce 20 mai 1979 imprègne encore ses poils pubiens.

Ces précieuses notes, dans lesquelles apparaissent aussi des résumés des dizaines d’auditions de l’entourage de ma cousine, ainsi que des coupures de presse, m’ont été récemment confiées par ma tante. Quarante-quatre ans après la mort de sa fille, Marthe Vanni, 85 ans, n’a jamais cessé d’espérer qu’un jour, on attrape le meurtrier – ou l’assassin ? – et qu’il paie sa dette à la société. « Alors, tu vois, la création de ce pôle affaires non élucidées au parquet de Nanterre [début 2022, ndlr], pour moi, c’est peut-être ma dernière tentative de découvrir la vérité », me dit-elle.

“Il ne fait pour moi guère de doute qu’il s’agit là d’un féminicide, qu’elle a été tuée par un homme pour assouvir une atroce haine des femmes. Et particulièrement de celles vivant librement ?”

Anna Cuxac, cousine de Mireille

Marthe et son époux Robert, qu’elle a rencontré après la mort de Mimi, ont pris attache avec une avocate, qui a écrit au parquet de Nanterre (Hauts-de-Seine) en janvier pour solliciter son attention sur le féminicide de Mireille Glédines. Car quand bien même Mireille n’a pas été violée, il ne fait pour moi guère de doute qu’il s’agit là d’un féminicide, qu’elle a été tuée par un homme pour assouvir une atroce haine des femmes. Et particulièrement de celles vivant librement ?

Portrait de la jeune fille à l’avenir devant elle

C’est ce qui me frappe et me réjouit à propos de cette cousine sur laquelle j’apprends, via les articles de presse et les souvenirs de famille. Du haut de ses vingt et un printemps, Mireille semblait profiter pleinement de la vie et des aventures que lui offrait son statut d’étudiante à l’IUT de La Garde, près de Toulon, en gestion des entreprises et des administrations (GEA).

De Mimi, je sais donc qu’elle fréquentait des garçons auxquels elle ne s’attachait pas forcément plus de quelques mois, et qu’elle sortait en discothèque à Hyères-les-Palmiers. Ces derniers temps, elle avait pris un petit studio dans les quartiers est de Toulon, s’éloignant de la maison de ses parents, à l’ouest de la ville.

Mimi avait aussi la tête bien faite : elle venait d’entamer un stage aux chantiers navals de La Seyne-sur-Mer et affichait des convictions antiracistes et contre la peine de mort, qui ne sera abolie qu’en 1981. Ironiquement, les policiers retrouveront dans son studio un article de presse découpé sur le sujet, dans le contexte de l’affaire criminelle du tueur de l’Oise. Dans un article de Nice-Matin daté du 26 mai 1979, on la décrit comme une « jeune fille libre et indépendante, émancipée et à la personnalité affirmée ». Il est aussi précisé qu’elle « ne liait pas facilement connaissance », pas plus qu’elle ne pratiquait « l’auto-stop ».

Bal des interrogations

La question, en effet, est au cœur de l’affaire : la dernière fois que Mimi a été vue vivante, c’est par mon autre cousine, Carol, 15 ans, le samedi 19 mai aux alentours de 20 heures, à La Seyne, commune voisine de Toulon. Mireille et Carol ont passé l’après-midi dans la chambre de cette dernière, à laquelle Mimi confiait « tous ses secrets ». Ensuite, elles ont cueilli des cerises dans le jardin des parents de Carol, puis Mimi a indiqué se rendre à l’arrêt de bus pour rentrer chez elle. Celui-ci était à environ dix minutes à pied et il est possible qu’elle ait raté le dernier bus. C’est en tout cas ce que suggère le témoignage du chauffeur, qui a affirmé ne pas reconnaître la jeune fille sur les photos montrées par les policiers. À partir de là, c’est le bal des interrogations : qu’a fait Mimi après avoir manqué le dernier bus ? Comment réagit-on, quand on est une jeune fille de 21 ans, qu’on a rendez-vous le soir même avec un ancien petit copain sur le campus de La Garde, que le téléphone portable n’existe pas et qu’on ne fait pas d’auto-stop ?

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Moins de vingt-quatre heures plus tard, le corps inanimé de Mimi était retrouvé. Dans son bol alimentaire, quasiment rien que des cerises, mais chose étonnante : certaines venaient à peine d’être mangées. Selon la presse, pour le commissaire chargé de l’en- quête, cela indiquerait que Mireille connaissait son tueur puisqu’elle était assez en confiance pour manger à ses côtés. De fait, la seule personne qui fut placée en garde à vue, c’est Ali E. I., l’ex-amoureux avec lequel Mimi avait rendez-vous. C’était plus d’un an après le meurtre, en juillet 1980, et il sera rapidement mis hors de cause après vérification de son alibi.

Question pistes intimes, on note aussi un mystérieux « petit truand » rencontré en discothèque et mentionné à la fois par Carol et par un très proche ami de Mireille, Nicolas W. Ce « petit truand », dont Mimi avait confié qu’elle avait cessé de le fréquenter parce qu’elle « aurait eu toute son éducation à refaire », n’a jamais été identifié.

Le “plateau maudit”

Reste à savoir si Mireille a été victime d’un homme de son entourage ou d’un « maniaque », comme l’écrit la presse de l’époque. Jusqu’en décembre 1980 et le non-lieu de l’enquête, le détachement toulonnais de la police judiciaire de Marseille et les juges d’instruction oscillent entre ces deux pistes. De fait, les arguments en faveur de la théorie d’un crime sériel sont solides : le 10 mars 1979, un peu plus de deux mois avant le meurtre de Mimi, le corps de Josiane Maria, 20 ans, était découvert dans le même bois, et dans les mêmes circonstances – crâne fracassé, cadavre exposé. Jusqu’aux socquettes blanches pour seuls vêtements.

“Le dossier Glédines semble prescrit. Mais l’intégrer à notre base de données nous permet de peut-être faire un jour le lien avec une affaire non prescrite.”

Franck Dannerolle, chef de l’Office central pour la répression des violences aux personnes

Si Mimi a été retrouvée au lieu-dit du Four à Chaux, c’est sur le chemin du Charnier que gisait Josiane. Comme si le tueur s’était amusé de ces noms macabres. Avant et après elles, entre juillet 78 et avril 86, quatre autres dépouilles de toutes jeunes femmes furent retrouvées dans ce bois aux parfums de pin et de genêt surplombant le littoral, renommé « plateau maudit » dans la presse. Mais à l’époque, il fut difficile d’établir des liens entre les morts violentes de Josiane et Mireille d’un côté et les autres — Dominique Peretti, tuée à coups de couteau ; Martina Kogler, dont on n’a pu établir les causes de la mort, le corps ayant été découvert des mois après ; une jeune femme non identifiée car son corps avait été brûlé ; et enfin, Pascale Michel, tuée elle aussi avec un objet contondant, mais pas dévêtue.

“Aller jusqu’au bout”

L’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) de la police judiciaire m’indique que le dossier Mireille Glédines a fait l’objet d’une remontée des services de police de Toulon, lorsqu’il s’est agi de demander aux polices locales de signaler des affaires non élucidées pouvant intéresser le pôle nouvellement dédié au parquet de Nanterre. L’OCRVP l’a ensuite lui-même soumis aux magistrat·es du pôle, qui peuvent décider de le rouvrir. L’OCRVP, me confie son chef, Franck Dannerolle, se laisse la porte ouverte : « Le dossier Glédines semble prescrit. Mais l’intégrer à notre base de données nous permet de peut-être faire un jour le lien avec une affaire non prescrite dans laquelle le mode opératoire est similaire et suggère un même coupable. La jurisprudence à l’œuvre sur les crimes sériels nous permettra alors d’élargir nos investigations au dossier Glédines. »

Ma tante Marthe, qui vit depuis quarante-quatre ans hantée par le meurtre de sa fille, a, avec cette interpellation du parquet de Nanterre, le sentiment « d’aller jusqu’au bout » des démarches possibles pour rendre justice à Mireille. Quant à moi, je revois ma mère, partie trop tôt en 2020, nous élevant ma sœur et moi en disant qu’elle ne veut pas nous empêcher de sortir autant qu’on le souhaite, mais nous demandant de toujours la tenir au courant de l’endroit où nous nous trouvons. Et je mesure la force dont elle a dû faire preuve pour ne pas nous maintenir sous cloche afin de nous préserver du pire.

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