Clara, CPE dans un lycée : « On a des indi­vi­dus en construc­tion face à nous, donc il faut essayer de ne pas se rater »

Elle arpente les couloirs du lycée au pas de charge et règle entre 15 et 150 problèmes par jour… ou par heure. En poste dans le même établissement depuis dix-huit ans, Clara*, conseillère principale d’éducation (CPE) dans un lycée du Val-de-Marne, veille sur 330 élèves en filière générale, technologique et en bac pro. Un métier qui nécessite BEAUCOUP de patience et un solide sens de la répartie.

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© Camille Besse pour Causette

« J’attaque à 7 h 45 tous les matins pour accueillir les élèves qui arrivent au lycée. J’aime bien “faire la grille”, comme on dit chez nous, c’est-à-dire me poster à l’entrée de l’établissement pour leur dire bonjour. Déjà parce que ça me semble logique de les saluer et aussi parce que ça me permet de prendre la température. Il y a des jours où l’ambiance est plus électrique que d’autres. Il y a parfois des règlements de comptes entre bandes dans les cités voisines, et même si nos élèves ne sont pas concernés directement, ça peut faire partie de leur cadre de vie. Le contexte sanitaire actuel, qui est hyper anxiogène, peut aussi échauffer les esprits. Surtout, je peux en attraper un ou une au vol et lui demander de passer me voir dans mon bureau pour justifier une absence ou me donner un formulaire. 

J’ai une belle collection de Post-it pour penser à dix mille choses en même temps. Je passe beaucoup plus de temps à parcourir l’établissement qu’assise devant mon ordinateur, même si j’ai toujours un peu de paperasse sur le feu. Mes tâches sont multiples, mais le fil conducteur, c’est de suivre les lycéens de façon individuelle et collective, toujours en relation avec l’équipe pédagogique. J’accompagne les élèves dans leurs choix d’orientation ou dans leur parcours scolaire, avec l’aide de leurs professeurs. Le métier de CPE est une spécificité française que les étrangers ne comprennent pas. Mais je peux vous dire que les profs ne peuvent pas se passer de nous. Pour certains élèves, c’est plus facile de me parler à moi qu’à un enseignant. Déjà pour une affaire de temps, car les profs ont des classes entières à gérer et peu de temps pour des apartés. Et puis la question des notes parasite parfois la relation. Les ados pensent toujours que les profs ne les aiment pas… Je leur répète sans arrêt de s’en foutre, que ça n’est pas du tout l’enjeu. 

“Les ados pensent toujours que les profs ne les aiment pas… Je leur répète sans arrêt de s’en foutre, que ça n’est pas du tout l’enjeu”

Je suis chargée de faire appliquer le règlement intérieur de l’établissement, donc je ne suis pas là pour être gentille. Ça veut dire que je fais la chasse aux casquettes dans les couloirs, que je leur demande de se lever si je les trouve avachis devant une salle ou que je traque les absences non justifiées. Il m’arrive aussi de mener des projets éducatifs. Par exemple, cette semaine, j’ai chapeauté la mise en œuvre de la semaine de la démocratie scolaire. Cette initiative nationale incite les élèves à s’engager dans la vie de l’établissement avec l’élection de délégués au conseil de la vie lycéenne, et j’en suis la référente. Donc il a fallu que je les tanne pour récupérer leur photo et leur slogande campagne. “Madame, c’est quoi déjà le mail ?” ; “Madame, j’enverrai ça après le ‘Grec’", J’ai tout entendu.

Cette mission s’ajoute à mes autres activités et me permet de toucher une petite gratification de 350 euros annuelle. Pas mensuelle hein, faut pas rêver ! Dans l’Éducation nationale, on est super mal payés. Je touche 2 300 euros net après vingt ans de carrière et vu que le point d’indice est gelé depuis des années, ça ne risque pas de progresser.
Au sein de mon établissement, nous sommes trois CPE chargées de 1 000 élèves. On suit une cohorte d’environ 300, 350 élèves chacune. On est plutôt très bien loties. Dans pas mal de collèges, il y a un CPE pour 600 élèves

Moi, j’ai les secondes générales et technologiques ainsi que trois classes de bac pro ASSP [Accompagnement, soins et services à la personne, ndlr]. L’an prochain, je les suivrai en première et l’année suivante en terminale. Ce mode de fonctionnement, propre à l’établissement, nous aide à tisser un lien de confiance avec les familles. Et ça, c’est hyper important. Pas mal de parents ont une mauvaise image de nous, car on les appelle toujours quand il y a des problèmes. Franchement, ça peut être compliqué de s’enten­dre dire sans arrêt que son enfant ne travaille pas ou sèche les cours. Je ne les juge pas, parce que élever un ado, ça n’a rien de facile. Le mélange 15 ans, entrée au lycée, hormones, parfois c’est pffffiou… explosif ! Mais il faut qu’on établisse un cadre sécurisant pour tout le monde. J’essaie de les pousser au maximum vers l’autonomie. Je ne leur parle jamais de liberté, car ce serait leur mentir. Les élèves ne sont pas libres, ils doivent respecter le cadre du lycée.

“Ce qui m’énerve surtout dans la polémique du crop top, c’est que, évidemment, on fait porter les interdits sur le corps des jeunes filles”

À cet âge-là, il faut apprendre à vivre avec les autres et à se prendre un minimum en charge. J’estime qu’ils ont le droit de revendiquer des choses et qu’il faut savoir les écouter et leur répondre de façon argumentée, pas seulement en disant “oui” ou “non”. Prenez cette histoire de crop top, par exemple. Quand une fille est venue le 14 septembre, le jour de #BalanceTonBahut, avec un simple bandeau, je l’ai laissée faire en lui disant qu’à mon sens cette tenue évoquait plus la plage que le lycée. Moi, ça ne me choque absolument pas de voir un nombril. Et le choix de la tenue permet aux jeunes de s’affirmer. Mais on n’était pas du tout d’accord entre nous sur cette question. Certains collègues voudraient tout interdire : les jeans troués, les claquettes chaussettes, les survêtements… Le chef d’établissement a choisi de temporiser. Ce qui m’énerve surtout dans cette polémique, c’est que, évidemment, on fait porter les interdits sur le corps des jeunes filles.

Globalement, on travaille dans un lycée assez facile. Les élèves sont plutôt sympas, les profs, pareil. 30 % des jeunes viennent tout de même de cadres familiaux compliqués avec des difficultés sociales. Il faut le garder en tête. Il y a une dimension très “sociale” dans ce métier, qui est d’ailleurs ultra féminisé. C’est que de l’humain, ce qu’on fait. On a des individus en construction face à nous, donc il faut essayer de ne pas se rater. »

*Le prénom à été modifié

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