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Devant le ministère de Bercy, le 15 décembre 2021 © A.C.

Au ras­sem­ble­ment des magistrat·es de loi devant Bercy, colère et détermination

L'appel à la grève des professions judiciaires, qualifié d'historique en raison de la mobilisation inédite des magistrat·es, a réuni plusieurs centaines de personnes devant le ministère de l'Economie à Paris et devant les tribunaux des grandes villes françaises.

« Comme tout le monde ici, je m'insurge contre une justice qui expédie ses audiences et qui va trop lentement quand les citoyens cherchent à y accéder », dénonce la juge Amandine Regamey, en poste à la cour d'appel de Paris. Avec une collègue, elle a rejoint ce mercredi 15 décembre la manifestation des professionnel·les du droit, réunissant plusieurs centaines de magistrat·es, avocat·es et greffier·ères, la plupart en robes, devant le ministère de l'Economie et des Finances à Paris. Dans d'autres grandes villes françaises, les professionnel·les du droit se sont réuni.es devant des tribunaux, à l'appel de plusieurs syndicats pour dénoncer le manque de moyens d'une justice qu'iels jugent « exsangue ». Une journée historique, explique-t-on chez les observateur·trices, puisque même l'Union syndicale des magistrat·es (USM), organisation majoritaire dans la profession et d'aventure plus réservée que le Syndicat de la magistrature (SM), a appelé ses membres à se mettre en grève ce 15 décembre.

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A Paris, le 15 décembre 2021. © A.C.

Cette mobilisation fait suite à la tribune publiée il y a trois semaines dans Le Monde, désormais signée par 5 500 magistrat·es - soit deux tiers des magistrat.es du pays - et 1500 fonctionnaires de greffe. Ce texte en forme d'alarme de professionnel·les qui estiment ne plus pouvoir exercer leur métier dans de bonnes conditions à cause d'une surcharge de travail et d'un cruel manque d'effectif a été impulsé à la suite d'un drame : le suicide en août dernier d'une magistrate de 29 ans, Charlotte G., épuisée par sa mission.

Dupond-Moretti veut améliorer le "management" des tribunaux

Devant Bercy, les slogans des pancartes oscillent entre colère (« Justice morte ») et humour teinté de désespoir (« Victime de braquage cherche audience pour juger ses agresseurs, si possible avant 23 heures »). « Le nœud de nos revendications, c'est la question des moyens, poursuit Amandine Regamey. On peut toujours travailler à la marge sur l'amélioration de l'organisation, on ne pourra pas venir à bout de cet épuisement général tant qu'il n'y aura pas plus de greffiers et de magistrats. » Cette amélioration de l'organisation, c'est celle voulue par le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti qui, ce matin sur France inter, a préconisé un meilleur « management » des troupes judiciaires pour venir à bout des « stocks », comme sont nommés les dossiers en attente d'instruction ou de jugement dans le jargon. A l'appui d'une étude réalisée par l'inspection générale de la justice, Eric Dupond-Moretti a indiqué « qu'un tiers des stocks sont dus au manque de moyens donc les deux autres tiers sont liés à d’autres raisons », pointant des efforts à fournir dans « la répartition du travail. »

Venu défendre son bilan à la radio, l'ex-ténor du barreau a plaidé la création de 650 postes de magistrat·es et 750 de greffier·ères sous le quinquennat d'Emmanuel Macron, sans manquer d'appuyer sur la situation du système judiciaire dont le gouvernement avait hérité. « Quand je suis arrivé, il n’y avait pas de wifi dans les juridictions. Nous l’avons fait. Il n’y avait pas de fibre optique, nous l’avons fait et nous avons doté 100% des magistrats d’ordinateurs. Les cadres ont eu un smartphone, ils n’en avaient pas. C’est pour vous dire l’état de dénuement, de clochardisation comme l'a dit Jean-Jacques Urvoas [ministre de la Justice sous François Hollande, ndlr] dans lequel se trouvait la justice en 2017. »

"En fait, tous les services publics craquent..."

Mais l'augmentation du budget du ministère, passant de 1% à 8% du budget du gouvernement selon Eric Dupond-Moretti, ne suffit pas aux yeux des manifestant·es rassemblé·es devant Bercy. « Je suis greffière au tribunal correctionnel de Paris et donc je sais que je fais partie des privilégiés car nous sommes relativement bien dotés par rapport à d'autres juridictions, amorce Sabrina Reis, 14 ans de métier derrière elle. Malgré cela, je travaille le soir et les week-end chez moi au détriment de ma vie privée et sans rémunération supplémentaire, pour tenir les délais qui nous sont imposés. » La quadragénaire, « passionnée par [sa] mission de service public », brandit une pancarte « greffiers en colère ». « Cela fait des années qu'on fonctionne avec des bouts de chandelle et qu'on tient grâce à notre bonne volonté et notre sens du devoir mais il y a désormais une véritable usure. Je suis en audience de 13h30 jusqu'à 22h, et récemment, jusqu'à 3h45 du matin. En fait, tous les services publics craquent : la santé, l'éducation nationale et maintenant la justice. » Comme toutes et tous dans le rassemblement, la greffière insiste sur les dommages que cause le mal-être de la profession à l'ensemble de la population : « Notre boulot, c'est aussi d'être présent pour le justiciable afin de répondre à ses interrogations, explique-t-elle. Mais nous n'en avons pas le temps, 30 secondes grand max à la fin d'une audience avant de passer au dossier suivant. »

Convergence des luttes

Un peu plus loin dans la foule, on croise l'avocate pénaliste Camilla Quendolo, 28 ans. « En tant qu'avocats, nous avons l'habitude de nous mobiliser pour réclamer plus de moyens pour la justice mais là, c'est extrêmement impressionnant et assez émouvant de voir ces magistrats en robe noire ou rouge et ces greffiers. » Sa présence solidaire ce mercredi est évidente, « parce que les audiences qui terminent à deux heures du matin, ça nous concerne aussi » et « parce que nous sommes le réceptacle de la souffrance des familles qui ne comprennent pas les délais si longs de la justice ».

Exerçant depuis seulement deux ans, la jeune femme a déjà eu l'occasion de voir une de ses jeunes collègues raccrocher la robe devant la surcharge de travail. La juge Amandine Regamey, elle, affirme que dans le tribunal où elle travaille, sur neuf magistrats du siège, quatre sont actuellement en arrêt maladie. « C'est un cercle vicieux car les dossiers de nos collègues épuisés reviennent à notre charge, nous menaçant donc d'épuisement également. » Dans le haut-parleur installé devant le ministère de l'économie, un manifestant annonce que Bercy consent à recevoir une délégation de signataires de la tribune du Monde à 19h, non pas chez Bruno Le Maire, ministre de l'Economie mais chez Olivier Dussopt, ministre des comptes publics.

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