Sœur Benedetta : la sainte était perverse

Dans l’Italie du XVIIe siècle, où le lesbianisme — appelé « sodomie féminine » — est un vice qui mène au pilori, sœur Benedetta, abbesse influente, réussit à imposer des sévices sexuels au sein de sa congrégation. Une histoire inouïe, débusquée dans des archives ecclésiastiques poussiéreuses par l’historienne américaine Judith C. Brown.

illustration for book la religieuse the nun by denis diderot published in 1796 engraving at convent suzanne simonin is subjected to advances of the mother superior
Illustration pour l'ouvrage La Religieuse, de Diderot. © AKG Images
† Épisode 1 - Miracles et bondieuseries 

Dans la Toscane rurale des années 1590, la religion est partout et le paganisme encore dans les esprits. C’est dans ce contexte particulier que naît Benedetta. Son père la voue dès son premier cri à la Vierge Marie, en la nommant « Bénie ». Il s’approprie la petite et lui donne une éducation de garçon : elle sait lire et écrire à 6 ans. Sa mère lui raconte, elle, des histoires surnaturelles, pleines de miracles et de guérisons mystérieuses. Résultat ? Quand Benedetta croise un chien méchant, c’est une tentative diabolique ; lorqu'un rossignol lui chante à l’oreille, c’est le Bon Dieu qui accompagne ses laudes. À 9 ans, elle entre au couvent des Théatines de Pescia. Ce sera son plus grand terrain de jeux. 

Dès son arrivée, comme le veut la tradition, elle se prosterne devant la statue de la Vierge pour lui confier son avenir. Et là, miracle ! La silhouette de marbre se penche pour l’embrasser (en vrai, elle tombe et se brise). C’est le début d’un chapelet de visions mystiques : une horde de jeunes gens la poursuit pour la pervertir, Jésus lui arrache
le cœur pour lui donner le sien, etc. Ses délires sont accompagnés de transes ou de prophéties, avec force jeux de voix et cris déchirants, telle une possédée. 

† Épisode 2 - Les « très saintes plaies » de Benedetta 

Ses visions attirent les regards, les transes font d’elle la voix de Jésus, mais ce sont les stigmates qui la transforment en Madonna de Pescia. Ils apparaissent une nuit sur le corps de Benedetta qui, hurlant de douleur et de bonheur extatique, découvre ses pieds, paumes, flanc et front blessés et rougeoyants. Grâce à ces « très saintes plaies », le couvent acquiert du renom, les visiteurs affluent, l’argent coule à flots. Benedetta les exhibe dans le couvent, dans les processions religieuses et, chose incroyable, dans ses prêches ! Dans une Italie où la femme est socialement inexistante, elle est élue abbesse et devient la femme la plus influente du coin. Elle précise à chacune de ses apparitions qu’elle n’est que l’outil de Jésus, d’un ange, en tout cas d’une puissance masculine. 

Un jour, le Christ la demande en mariage et lui donne, en songe, les détails de la cérémonie : les novices en anges, des fleurs partout, la « mariée » en rouge et vert. Comme le couvent ne lui refuse rien, on l’autorise à se marier, mieux on en fait la publicité ! La cérémonie attire le chaland, et les fidèles viennent de loin. Dès lors, ses ­stigmates toujours à vif et ses transes violentes fascinent la région. Vite, vite, on lance la procédure de canonisation. La douleur est si forte et récurrente qu’en tant que reine du couvent, on lui assigne une novice soignante, la jeune Bartolomea Crivelli. 

† Épisode 3 - Quand tombe le saint masque 

À toute médaille son revers, et celui-ci est trempé de stupre, comme ne vont pas tarder à s’en apercevoir les enquêteurs ecclésiastiques, missionnés pour vérifier la véracité des manifestations surnaturelles. Le doute apparaît quand, après son mariage divin, on surprend à sa main un anneau d’or. Cette minuscule coquetterie déclenche un vent de panique : Benedetta ne serait-elle pas une belle et vaniteuse ­menteuse ? Poussée à s’expliquer, elle fait une crise de transe, cesse de s’alimenter et meurt dans les bras des sœurs... pour mieux ressusciter ensuite. L’audace paie : son auréole réapparaît, plus brillante que jamais.
Avec son petit côté Exorciste et ressuscitée, Benedetta a su créer un climat d’adulation mêlé de crainte. L’abbesse est un tyran, elle impose des séances de fouet ­quotidiennes, frappe les novices quand leurs pleurs perturbent la messe et réprimande les sœurs quand leur vertu est prise en défaut. Mauvais calcul : le ressentiment pointe et les opprimées se confient aux enquêteurs. L’une d’elles affirme que Benedetta, qui prône le jeûne continuel, se fait livrer en douce de la mortadelle et du salami, qu’elle engloutit dans son coin. Goinfre ! Après avoir été dénoncée, Benedetta s’affaisse dans le réfectoire en ordonnant, dans un cri surnaturel, que la moucharde se mortifie en public. Quant aux plaies, on l’a vue les raviver à grands coups d’aiguille... 

Devant tant de révélations, les enquêteurs restent sans voix, mais le jambon ou les scarifications ne sont que broutilles face au témoignage de Bartolomea, surnommée « Mea » (« la mienne » en latin), sur Benedetta. 

† Épisode 4 - C’est pas moi, c’est Splenditello

Interrogée par les enquêteurs, Bartolomea explique que la sainte brillant de tous ses stigmates lui sautait dessus le soir venu et la « corrompait ». La jeune fille illettrée, issue d’une famille pauvre, est bien mal tombée pour la fin de son noviciat. Non seulement Benedetta débarquait inopinément au moment du déshabillage, mais elle se disait également possédée par un ange amoureux, joliment prénommé Splenditello. C’est lui, bien sûr, qui en voulait au corps de Bartolomea et qui lui chuchotait à l’oreille qu’elle ne péchait pas : c’est la sainteté elle-même qui la possédait, d’une façon inédite ! Comme ce n’était pas péché, pas besoin de se confesser, l’ange en aurait pris ombrage... Quand Bartolomea parvenait à se défendre, l’abbesse-ange lui offrait un véritable spectacle érotique. Benedetta imposait aussi des rencards durant la journée à la petite nonne en lui faisant classe, ce qui permettait de lui voler baisers et caresses. Face à ces accusations, Benedetta plaide l’innocence : Splenditello était l’amant, elle, seulement le véhicule pour accomplir ses supérieurs désirs. On a connu des sœurs qui se donnent au tout-venant, des moines qui s’interpénètrent, mais des religieuses lesbiennes, ça, jamais ! À l’incompréhension succède le châtiment. En 1626, Benedetta a 36 ans et est enfermée au couvent. On lui retire son voile et tous ses droits. S’il lui arrive de manger au réfectoire, les jours de repentance ou de discipline, elle mange à même le sol. Le peuple, diminué après une peste terrible qu’il considère comme un châtiment divin, garde pour elle un amour mystique. Elle meurt à 71 ans, âge canonique s’il en est, après trente-cinq années de détention. Elle est enterrée en grande pompe. La foule se presse aux funérailles et porte le deuil de celle qui est toujours considérée comme leur sainte. Une sainte pleine de vice et de malice peut-être, mais douée d’un surnaturel sens du spectacle ! 


Sœur Benedetta, entre sainte et lesbienne, par Judith C. Brown. Éd. Gallimard, bibliothèque des histoires, 1987. 

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