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© Jack Prommel

« Je n’ai jamais été aus­si sûr de mon choix » : avec les hommes amé­ri­cains qui font le choix de la vasec­to­mie face au recul du droit à l'IVG

Depuis la révocation du droit fédéral à l’avortement aux États-Unis, le pays connaît une explosion de demandes de vasectomie. Un moyen de contraception masculin définitif, perçu par certains jeunes Américains comme une façon de prendre leurs responsabilités pour délester les femmes de la charge contraceptive.

« La majorité des femmes que j’ai rencontrées dans ma vie ont toujours elles-mêmes payé pour la pilule, sans aucune contribution masculine et en subissant les effets secondaires, explique-t-il à Causette. Les hommes ont la vie facile, donc j’ai enfin pris mes responsabilités pour m’occuper de mes propres capacités reproductives. » Thomas Gaston, résidant dans l'État américain de l'Utah, a été vasectomié en février. Après la décision de la Cour suprême, le 24 juin dernier, de démanteler l’arrêt Roe v. Wade qui garantissait au niveau fédéral le droit à l’IVG, cet Américain de 29 ans a battu le pavé aux côtés des milliers de manifestant·es présent·es devant le capitole de Salt Lake City, le 25 juin. Dans ses mains, une pancarte fièrement brandie affichait ce slogan, ensuite repartagé sur son compte Instagram : « Ask me about my vasectomy [Posez-moi des questions sur ma vasectomie] ». Depuis, des dizaines d’hommes intéressés l’ont contacté pour obtenir plus d’informations sur son expérience et sur l’opération, qui consiste à sectionner et bloquer les canaux déférents du pénis transportant les spermatozoïdes, et sur son processus de guérison.

Thomas est loin d’être le seul à s’exprimer publiquement sur son opération depuis le 24 juin. Au contraire, après le coup de tonnerre provoqué par la décision de la Cour suprême, le nombre de demandes de rendez-vous pour une vasectomie n’a cessé de croître. C’est ce que constate l’urologue de Floride Doug Stein. Alors qu’il recevait quatre à cinq demandes de vasectomie chaque jour, ce chiffre a bondi jusqu’à dix-huit demandes par jour depuis le 24 juin, parmi lesquelles un nombre important d’hommes sans enfants et ayant moins de trente ans, a-t-il indiqué au Washington Post. Philip Werthman, un urologue de Los Angeles, a également rapporté une augmentation spectaculaire de « 300 à 400% » du nombre de consultations pour vasectomie dans son cabinet. Pour « au moins 60 à 70% des patients », la révocation du droit à l’avortement a servi de déclic. « Beaucoup ont expliqué qu’ils pensaient à la vasectomie depuis longtemps, mais la décision de Roe v. Wade a été le facteur déclencheur qui les a convaincus de soumettre leur inscription en ligne », a confirmé Doug Stein. 

Une façon de se responsabiliser

« Je n’ai jamais été aussi sûr de mon choix », assure Adam Darby, Américain de 28 ans, à Causette. Cet originaire de l’Ohio, État conservateur ayant déjà mis en place de nombreuses restrictions contre l’accès à l’IVG, a effectué une vasectomie le 25 avril dernier. 

« En termes de contraception, la vasectomie est pour moi une des méthodes préventives les plus simples et les plus rapides pour éviter un accident », affirme le jeune homme. Coïncidence, son opération a eu lieu une semaine avant la fuite du projet de la Cour suprême pour annuler le droit à l’IVG. De quoi le conforter dans son choix. Avec la volonté de se rendre utile, lui aussi a rendu publique son opération en partageant un post Instagram pour inciter au dialogue avec de potentiels intéressés sur la procédure, d’un point de vue non-médical.

Comme Thomas, une douzaine de personnes ont pris contact avec Adam. La majorité de ces hommes réfléchissent à la vasectomie depuis longtemps, mais le démantèlement de Roe v. Wade a été le véritable déclencheur pour sauter le pas. « Les hommes avec qui j’ai discuté voient cette décision comme étant personnelle, un choix de santé. Mais beaucoup perçoivent aussi la vasectomie comme un choix facile pour aider les femmes et les délester du poids de la contraception ou du risque de tomber enceinte. » 

Parmi les personnes venues chercher des conseils auprès d’Adam et de Thomas, une majorité d’hommes progressistes, de gauche, et sensibles aux droits des femmes. « Ceux que je ne connaissais pas m’ont dit : “C’est mon tour de faire un pas en avant et de prendre mes responsabilités.” » Thomas fait également partie de ceux-là, conscient de la souffrance émotionnelle et physique parfois provoquée par une IVG. Pour cause, sa partenaire a elle-même eu recours à un avortement en 2020. Une période extrêmement difficile pour la jeune femme, qui a été, pour lui, la première grande étape dans le cheminement vers son opération.

Check your privileges

Thomas n’est aucunement surpris d'observer un boom dans les demandes de vasectomie, même s’il sait qu’il se restreint aux hommes sensibilisés sur ces questions. « J’imagine que certains d’hommes ont réalisé, comme moi, qu’ils devaient passer à l’action. J’aime penser qu’il y a de plus en plus d’hommes conscients de leur privilège et de la façon dont le patriarcat affecte la vie des femmes. Mais les hommes bénéficient tellement du système actuel qu’il est encore très difficile de convaincre la majorité que ce problème mérite leur attention, et les concerne », regrette Thomas. 

Pour l'Américain, cette méthode de contraception n’est pas qu’un choix individuel, comme le soutient Adam, mais également un signe nécessaire de protestation contre les législateur·rices anti-avortement. En effet, Thomas défend que l’indifférence des autorités face à ce pic d’opération de vasectomie, une méthode de contraception définitive et permanente qui ne garantit par le retour à la fertilité, met en évidence les contradictions profondes dans l’idéologie « pro-life » (anti-IVG), qui se dit « prôner la vie » : « Le fait que notre société actuelle prive les femmes de leur droit à l’intimité et au contrôle sur leur propre corps, alors que les hommes peuvent avoir recours à une vasectomie en moins d’une heure, est tout simplement ridicule. Ce simple fait montre bien l’hypocrisie du mouvement soi-disant “pro-life” : c’est une guerre menée contre les femmes, et à aucun moment un mouvement de défense pour la “vie”. On devrait tous se révolter face à ce double standard complètement dingue », s’indigne le vingtenaire.   

Faire une croix sur la parentalité : un sacrifice ?

Thomas et Adam étudient la possibilité de se faire vasectomiés depuis de nombreuses années. Un choix mûrement réfléchi qui repose, pour eux, sur la même certitude : ils ne veulent pas d’enfants. En tout cas, pas d’enfants biologiques. « Si ma partenaire et moi décidons d’avoir des enfants dans le futur, nous en adopterons ou nous deviendrons une famille d’accueil. Elle ne veut pas non plus d’enfants à elle, mais nous adorons tous les deux les petits, donc nous avons toujours d’autres possibilités ! », s’enthousiasme Thomas. Adam partage la même sérénité et la même confiance face au fait de ne sans doute jamais faire l’expérience de la parentalité. « Au sein de ma génération, j’ai l’impression qu’il y a de moins en moins l'idée que le but de notre vie est d’avoir des enfants. J’ai la chance que ma famille m’ait toujours soutenu et m’ait fait comprendre qu’elle n’a aucune attente vis-à-vis de moi et de potentiels petits-enfants », confie-t-il.

« Depuis la fin de Roe v. Wade, mes amis m'expliquent que, si les vasectomies étaient totalement réversibles, ils les feraient immédiatement. Si quelqu’un hésite, s’il sait qu’il pourrait vouloir des enfants dans dix ans, ce n’est pas la bonne procédure. Ce n’est pas la solution pour tout le monde, donc il ne faut pas s’empresser de se décider. » Faire attention à l’effet de mode, bien s’informer auprès de professionnels de santé, et réfléchir aux conséquences sur le long-terme d’une telle procédure, surtout pour les jeunes sans enfants : c’est ce que préconise Adam.

Cet habitant du Colorado a d’ailleurs reçu des éloges de la part de son entourage après l’annonce de sa vasectomie, qui l’ont laissé dubitatif. « J’ai trouvé cela un peu bizarre, car ça n’a pas été un grand sacrifice personnel, et ça ne devrait pas l’être sous peine d’être malheureux plus tard. J’ai des amis qui m’ont dit : « c’est tellement bien, tellement courageux que tu aies fait ça », mais je leur répondais que ce n’était pas grand chose, par exemple en comparaison à ce que vivent les femmes au quotidien sous pilule, ou avec un stérilet. On ne les acclame pas, elles, alors pas besoin de m’applaudir moi. »

« Ma vasectomie m’a coûté 750$ sans assurance »

Si les demandes de vasectomie explosent aux Etats-Unis, la procédure demeure extrêmement coûteuse selon les assurances. Comme le rappelle le Washington Post, le Affordable Care Act (réforme de la protection sociale aux États-Unis datant de 2010) n’oblige pas toutes les compagnies d’assurances à prendre en charge la vasectomie, contrairement aux moyens contraceptifs féminins considérés dans cette loi comme des « services préventifs ». Certains, comme Adam, sont chanceux de détenir une assurance santé adéquate pour couvrir toute l’opération, par le biais de leur entreprise. D’autres, à l’image de Thomas, peinent à financer cette procédure qui peut coûter jusqu’à 800$ (à titre comparatif, la vasectomie vaut 65€ en France, et est prise en charge par la sécurité sociale). « Pendant l’hiver 2021, on entendait déjà parler de la potentielle ré-examination de Roe v. Wade. J’ai voulu me faire vasectomier à ce moment-là, mais je n’en avais pas les moyens », avoue Thomas. En dernier ressort, le jeune homme a pris la décision de donner son plasma pour financer l’opération. « Ma vasectomie m’a coûté 750$ sans assurance, et j’ai pu payer par trois versements de 250$ grâce à mon don de plasma. Ça en valait la peine. »

Une procédure onéreuse mais si bénéfique pour Thomas, au point qu'il aide financièrement un autre homme à payer sa vasectomie à l’heure actuelle. « Je suis tellement heureux qu'autant d’hommes soient intéressés par l’opération ! En ce moment, j’essaie de mettre en relation ceux qui m’ont contacté pour qu’ils puissent se soutenir de toutes les façons possibles durant le processus. Je vais encourager autant d’hommes que je peux à sauter le pas ! », s'enthousiasme Thomas. 

Adam est plus nuancé. « C’est très bien de parler davantage de la vasectomie, d’avoir plus de gens intéressés et de mieux informer sur la procédure, mais ça me répugne que le catalyseur de toutes ces discussions ait été la décision de la Cour suprême. Ce n’est pas la façon dont j’aurais aimé qu’on en parle, et surtout, n’oublions pas que la vasectomie n’est pas la solution ultime. » Adam espère plutôt, comme beaucoup d’autres, que le pays pourra revenir sur son erreur et redonner aux femmes le droit de maîtriser leur propre corps, ainsi que la liberté de choisir, ou non, d’avorter.

 

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