Hiver 1942 : Anna Marly com­pose « Le Chant des partisans »

Qui sait qu’Anna Marly, une jeune femme russe exilée à Londres pendant la Seconde Guerre mondiale, créa sur un coin de table la mélodie du célèbre Chant des partisans ?

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Anna Betoulinsky, alias Anna Marly. © AFP

Au cours du glacial hiver 1941, Anna Betoulinsky, une jeune femme d’origine russe âgée de 24 ans, débarque en Grande-Bretagne. Elle a dû quitter Paris, sa ville de cœur, où sa famille, fuyant la révolution russe, s’était réfugiée alors qu’elle n’était qu’une enfant. Pour échapper à l’occupation allemande, elle a gagné l’Espagne, puis le Portugal, avant de traverser la Manche. Mais arrivée à Londres, c’est le Blitz, le bombardement du Royaume-Uni par l’aviation allemande. « Les faisceaux lumineux des projecteurs de la DCA [défense contre l’aviation, ndlr] balayaient le ciel. Suivaient les explosions, lointaines ou proches, les sirènes, les ambulances et la foule courant aux abris ou s’engouffrant dans la bouche du métro. À l’aube, alors que l’enfer fumant léchait ses blessures, nous déblayâmes des bras, des pieds glacés de froid et d’horreur, ­couverts de suie et aveuglés par la poussière », écrit-elle dans ses Mémoires*. Profondément affectée par la détresse des Londoniens qui souffrent de la guerre, de la faim et ont besoin de soins, Anna s’engage volontairement en tant que cantinière au quartier général des Forces françaises libres (FFL), où le général de Gaulle s’est installé pour organiser la Résistance.

Dans le tumulte de la guerre, Anna a perdu ses bagages, ses effets personnels, mais il lui reste toujours sa chère guitare, offerte par sa nourrice lorsqu’elle avait 13 ans. C’est cette guitare qui a donné envie à Anna de devenir une artiste. Et quelle artiste ! Avant de quitter la France, avant la guerre, elle avait entamé une carrière artistique sous le pseudonyme d’Anna Marly et était devenue célèbre. Danseuse au sein de la prestigieuse compagnie des Ballets russes de Diaghilev, elle avait même été engagée en tant que danseuse étoile, avant de se consacrer à sa passion pour la chanson. À Londres, bien loin de l’atmosphère festive et enfumée des clubs où elle avait l’habitude de se produire, Anna se console en jouant, de temps en temps, quelques notes le soir, dans l’intimité de la cantine. La douceur de sa voix et de ses mélodies apporte réconfort et courage aux militaires, aviateurs, marins ou encore parachutistes qui défilent chaque jour au quartier général des FFL.

Un an plus tard, en hiver 1942, Anna est prise d’une inspiration subite en lisant dans un journal le récit de la bataille de Smolensk, en Russie, lors de laquelle les habitants se sont battus avec acharnement pour défendre leur ville. « Bouleversée, je prends ma guitare, je joue une mélodie rythmée, et sortent tout droit de mon cœur ces vers en russe : “Nous irons là-bas où le corbeau ne vole pas/Et la bête ne peut se frayer un passage/Aucune force ni personne/Ne nous fera reculer.” »

Appel à la lutte pour la liberté

C’est ainsi qu’elle compose, dans sa langue maternelle, cette chanson triste et émouvante, sur une musique inspirée d’un air populaire russe et accompagnée de sifflements. Elle la dédie aux résistants soviétiques et la baptise La Marche des partisans. Le succès est immédiat et Anna est invitée à chanter dans des clubs londoniens. C’est dans un de ces établissements fréquentés par les Français de Londres que l’écrivain et grand reporter Joseph Kessel, accompagné de son neveu Maurice Druon, attaché à la BBC, découvrent la marche partisane d’Anna. Admiratifs, les deux hommes qui œuvrent pour la Résistance au sein des FFL, proposent alors à Anna que sa chanson soit diffusée, en guise d’indicatif, au début et à la fin du programme « Honneur et Patrie » de la BBC, l’émission de Radio Londres dans laquelle le général de Gaulle s’adresse à la France libre. Anna accepte avec joie.

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Couverture de partition
du Chant des partisans
français illustrée
par René Brantonne vers 1944. © K. Tapabor

Le 17 mai 1943, la chanson d’Anna est diffusée pour la première fois sur les ondes de la BBC. Pour que la mélodie reste audible malgré le brouillage radio effectué par les Allemands, le chant est sifflé à l’antenne. En France, l’oreille collée au poste de TSF, les résistants découvrent avec émoi ce chant monocorde au rythme martelé, cet appel à la lutte pour la liberté. Bientôt on entend partout siffloter, dans les rues et les cafés français, cette mélodie inlassablement diffusée par la radio anglaise. Elle devient même un signe de reconnaissance pour les maquisards. On appelle désormais Anna Marly la « chanteuse de la Résistance ».

“La Marseillaise des résistants”

Quelques jours plus tard, le 30 mai 1943, dans le salon d’un hôtel anglais, Maurice Druon et Joseph Kessel décident d’écrire des paroles françaises à la mélodie d’Anna qu’ils renomment Le Chant des partisans. Le texte, composé de quatre couplets, est aujourd’hui mondialement connu : 
« Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?
Ami, entends-tu ces cris sourds du pays qu’on enchaîne ?
Ohé, partisans, ouvriers et paysans, c’est l’alarme.
Ce soir l’ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes. » 

En quelques semaines, Le Chant des partisans s’impose comme l’hymne de la Résistance française, « la Marseillaise des résistants ». Anna Marly, citoyenne d’honneur, sera décorée de l’ordre national du Mérite et nommée chevalier de la Légion d’honneur. Quant à sa chanson, elle est aujourd’hui classée au titre de monument historique en tant qu’objet de mémoire. 

* Anna Marly, Troubadour de la Résistance. Éd. Tallandier, 2000. 

30 octobre 1917

Naissance d’Anna Betoulinsky, alias Anna Marly, à Pétrograd, devenue Saint-Pétersbourg (Russie).

30 octobre 1917
1941

Anna Marly débarque
à Londres et s’engage comme volontaire au QG des FFL.

1941
Hiver 1942

Elle compose sur sa guitare la musique du Chant des partisans.

Hiver 1942
17 mai 1943

Le chant est diffusé sur les ondes de la BBC à destination de la France libre.

17 mai 1943
30 mai 1943

Joseph Kessel et Maurice Druon créent les paroles françaises qui accompagnent la mélodie d’Anna, et l’érigent au rang d’hymne de la Résistance française.

30 mai 1943

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