Depuis près d’un siècle, des féministes américaines se battent sans relâche pour inscrire l’égalité femmes-hommes dans la Constitution. En devenant le 38e État à ratifier l’Equal Rights Amendment (ERA), la Virginie a rendu cela possible. Rencontre avec les activistes qui pourraient avoir fait basculer l’Histoire.
Ce lundi après-midi, une bande d’ados arpente les couloirs du Congrès à Washington DC. Sitôt les cours terminés, ils et elles se sont échappé·es de leur lycée d’Arlington, en Virginie, pour sauter dans le métro, direction la capitale fédérale. Guidé par Rosie Couture, lycéenne de 16 ans dont la parole fuse aussi vite que les idées, le groupe scrute le plan des bureaux, puis se dirige avec détermination vers celui d’un sénateur de Caroline du Sud. Entre deux ascenseurs, les ados répètent un texte scrupuleusement rédigé. Dans les dédales du Sénat, Rosie est à son aise : « Ça, c’est le bureau de Christopher Coons, un de nos plus gros succès puisqu’il nous soutient… Ah, ça c’est celui de James Inhofe, on ne peut pas vraiment dire qu’il soit pro-ERA. » Quand les lycéen·nes arrivent devant le bureau de leur cible, le sénateur Tim Scott, ils·elles déposent leurs sacs à dos et font leur entrée. Face à un conseiller, les jeunes expliquent la raison de leur venue. « Nous faisons partie de Generation Ratify, nous sommes là pour vous dire que vos administrés souhaiteraient que vous ratifiiez l’Equal Rights Amendment [amendement sur l’égalité des droits, ndlr]. » Le pitch dure moins de cinq minutes, le conseiller promet de faire passer le message. Plus loin, le rituel se répète dans le bureau de Lindsey Graham, sénateur notoirement conservateur. L’accueil est glacial, mais les ados sont ravi·es, leur mission est accomplie.
Bébés lobbyistes
Quand la plupart des jeunes de son âge n’ont jamais entendu parler de l’Equal Rights Amendment (ERA), Rosie Couture y consacre tout son temps libre. En juillet 2019, elle a cofondé l’organisation GenERAtion Ratify, mobilisant un groupe de bébés lobbyistes pour un texte juridique méconnu. Aux États-Unis, 72 % des Américain·es sont persuadé·es que l’égalité femmes-hommes est inscrite dans la Constitution*. Sauf que… ce n’est pas le cas. Alors que la grande majorité des pays développés portent cette mention dans leur texte suprême, le pays est resté à la traîne. En 1923, Alice Paul, déjà à l’origine du 19e amendement accordant le droit de vote aux femmes, a proposé l’Equal Rights Amendment selon lequel « l’égalité des droits en vertu de la loi ne peut être déniée ou restreinte, ni par les États-Unis ni par aucun État, en raison du sexe ». Pourquoi donc ce texte, pourtant si simple, n’est jamais entré en vigueur ? Une frise chronologique pourrait résumer son histoire. En 1972, l’ERA est voté par le Congrès. Comme le prévoit le processus législatif américain, il doit être ratifié par trente-huit États pour être adopté. Pour compliquer la tâche des féministes, les législateurs imposent une date limite pour récolter les trente-huit ratifications : 1979. Un délai ensuite repoussé à 1982. Mais c’est le 27 janvier 2020 que le nombre magique a été atteint, la Virginie devenant le trente huitième État à voter le texte. La date limite était dépassée, mais l’espoir était revenu.
Ce jour-là, tous les yeux se sont tournés vers la Virginie. Pour le vote au Capitole de Richmond, la capitale de l’État, des féministes de toutes générations étaient réunies.[…]