louise michel
Le navire « Louise-Michel » en mer. © @MVLouiseMichel sur Twitter

Dans les cou­lisses du « Louise-​Michel », le bateau de sau­ve­tage des migrants finan­cé par Banksy

Préparé dans le plus grand secret, le navire affrété par le street artist britannique et mené par une équipe féministe a déjà recueilli 89 migrant·es – dont 14 femmes et 4 enfants – au cœur de la Méditerranée. Causette a pu s’entretenir avec une membre du projet.

MAJ - 31/08/20 : Après de nombreux appels à l'aide du Louise-Michel, l'ensemble des migrant·es à bord ont été transféré·es dimanche 30 août vers un autre navire, le Sea Watch 4, envoyé par l'ONG du même nom et MSF. 49 personnes en souffrance avaient été évacuées par les garde-côtes italiens. La ville de Marseille a proposé d'ouvrir son port à l'équipage du navire affrété par Banksy.

C’était LA bonne nouvelle du vendredi matin. Le genre d’article que tout le monde a envie de partager, comme une note d’espoir et de solidarité dans le marasme mondial. D’après les informations du quotidien britannique The Guardian, un navire rose, parti d’Espagne le 18 août et baptisé Louise-Michel sillonne actuellement les eaux méditerranéennes centrales, les voies les plus meurtrières du monde, pour secourir des migrant·es, principalement issu·es de Libye, qui tentent de rejoindre l’Europe. La particularité de ce bateau : il est décoré d’un graffiti réalisé par le célébrissime artiste britannique Banksy. Mais Banksy a fait plus que peindre, il a aussi financé ce projet qui a réuni, dans le plus grand secret, quatre activistes et spécialistes du sauvetage en mer.

Claire, qui préfère ne pas préciser son nom de famille, fait partie de cette équipe. Restée à terre, elle suit les avancées de l’équipage composé de dix personnes chevronnées, venues de toute l’Europe. Depuis ce matin, elle gère aussi la déferlante médiatique. « On se doutait que ça allait susciter une immense curiosité, raconte-t-elle. La boîte mail explose depuis la parution du papier du Guardian. On a choisi de ne dévoiler l’opération qu’à un seul média, pour maîtriser un peu notre narration et de ne s’exprimer qu’après avoir secouru des gens. » Un compte Twitter a depuis vu le jour et raconte la progression du bateau et le sauvetage des migrant·es.

Une aventure collective

Comme raconté désormais partout, l’histoire a commencé par un mail de Banksy à Pia Kemp, militante allemande des droits humains et connue pour avoir été la capitaine des navires de sauvetage Iuventa et Sea Watch-3. Poursuivie par la justice, elle a également refusé la médaille d’honneur de la ville de Paris, l’an dernier, pour dénoncer « l’hypocrisie politique » d’Anne Hidalgo sur la situation des migrant·es. Une sacrée meuf ! « Bonjour Pia, j’ai lu votre histoire dans les journaux. Vous avez l’air d’une badass », lui a écrit Banksy en septembre 2019, selon le Guardian. « Je suis un artiste du Royaume-Uni et j’ai travaillé sur la crise des migrants, évidemment je ne peux pas garder l’argent. Pourriez-vous l’utiliser pour acheter un nouveau bateau ou quelque chose comme ça ? S’il vous plaît, tenez-moi au courant. Banksy. »

Une fois qu’il a été établi que ça n’était pas un canular, Pia Klemp a donc réuni trois autres camarades, dont Claire. « Elle nous a contactées et chacune avec notre spécialité, navigation, mécanique, juridique et médical, nous avons élaboré le projet pendant plusieurs mois », poursuit la jeune femme, qui insiste sur la dimension collective de cette aventure. L’argent de Banksy a donc servi à acheter un ancien navire des douanes françaises, de 32 mètres, auparavant propriété d’un particulier. Préparé en France pendant plusieurs mois, le bateau a ensuite été peint par l’artiste britannique avant de prendre le départ le 18 août dernier du port de Burriana, dans le sud de l’Espagne. Tout ça dans le plus grand secret, évidemment. « Bon, en fait, ça s’est fait très tranquillou tout ça, chacun faisait ce qu’il avait à faire. La période de Covid-19 et de confinement nous a fait perdre trois mois, mais on a réussi », relativise Claire, habituée des missions en Méditerranée, malgré son jeune âge.

« Le choix conscient de valoriser les femmes »

Outre la participation de Banksy, l’autre grande particularité du Louise-Michel, c’est que c’est une affaire de femmes. Mieux que ça : un projet « anarchiste et féministe ». « Je sais pas si le mot sera compris par tout le monde, mais on fait quelque chose d’intersectionnel : on est antifascistes, antiracistes, antispécistes et évidemment féministes ! Notre but, c’est de lutter contre les oppressions. » Le quatuor à l’origine du départ du bateau est composé de trois femmes, plutôt jeunes. À bord, l’équipage n’est « pas assez féminisé » à son goût, mais le milieu marin reste un domaine ultra masculin. C’est grâce à l’activisme et à la volonté politique de femmes comme Claire ou Pia que les choses évoluent doucement. Une règle a d’ailleurs été fixée : seules les femmes peuvent s’exprimer sur le projet. « On fait le choix conscient et actif de valoriser les femmes, notamment celles qui sont dans des métiers qui leur sont d’ordinaire peu accessibles. » Quant au nom de Louise-Michel, il a été proposé par la sœur de Claire, elle aussi associée au projet. « On s’est dit que c’était la figure parfaite : une anarchiste, féministe », résume la jeune femme, qui assure vouloir réveiller les consciences. « Bien sûr, y a le Covid-19, mais y a pas que ça. Des gens continuent de se noyer dans la Méditerranée tous les jours ! Et pendant le confinement, avec l’arrêt des bateaux, encore plus de gens sont morts dans l’indifférence générale. »

Heureusement, à bord du Louise-Michel, 89 personnes ont donc été secourues. « Tout le monde va bien et les enfants ont eu des ballons », précise Claire. Mais les rescapé·es ne pourront pas rester très longtemps sur le bateau. « Le mauvais temps s’annonce et nous cherchons un port où les débarquer en sécurité. Ce sera ou en Italie ou à Malte, vu le positionnement géographique. Tout sauf les geôles libyennes, quoi. » Mais, comme toujours, les États risquent de se renvoyer la balle. « Ça fait vraiment longtemps que la société civile a pris le relais pour pallier les défaillances des États. Là, Banksy a donné de l’argent et ça fait plaisir de voir que tous les riches ne sont pas à jeter à la poubelle, poursuit la jeune femme. Mais ça ne remplacera jamais la volonté politique européenne. » Dans quelques jours, le Louise-Michel reviendra au port, peu importe lequel, avec la ferme intention de repartir. « Si on nous le permet », nuance Claire. Le dernier bateau revenu en juillet de Méditerranée centrale et affrété par l’ONG SOS-Méditerranée est resté bloqué en Sicile « pour des raisons techniques »…

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