condom packs
©Reproductive Health Supplies Coalit

Au Canada, l’absence et le retrait du pré­ser­va­tif sans consen­te­ment pen­dant l’acte sont désor­mais des crimes sexuels

Lorsqu’une personne est tenue par son ou sa partenaire de porter un préservatif lors d’un rapport sexuel mais qu’elle ne le fait pas, elle peut être reconnue coupable d’agression sexuelle, a tranché la Cour suprême canadienne vendredi 29 juillet.

C’est une avancée historique demandée par de nombreuses associations depuis plusieurs années. Le retrait du préservatif lors d’un rapport sexuel – aussi appelé « stealthing » (« furtivement » en français) - ou son absence sans le consentement du ou de la partenaire sont désormais considérés comme un crime sexuel au Canada. La Cour suprême a tranché vendredi 29 juillet, à 5 voix contre 4. « Il s’agit d’une évolution importante pour les femmes et les autres personnes qui ont des relations sexuelles avec des hommes », a réagi auprès du Washington Post, Isabel Grant, professeure de droit à l’Université de Colombie-Britannique, spécialisée dans les violences et les agressions sexuelles. 

À l’origine de cette décision, une affaire de stealthing survenue en Colombie-Britannique dont les juges de la Cour suprême canadienne ont été saisis en novembre 2021. Les faits remontent à 2017. À l’époque, la plaignante âgée de 22 ans avait consenti à avoir des relations sexuelles avec un homme rencontré sur internet, Ross McKenzie Kirkpatrick, mais seulement si ce dernier portait un préservatif, ce dont ils avaient tous deux convenu en amont. 

Acquittement en première instance 

Si lors d’un premier rapport sexuel, l’homme portait bien un préservatif, il n’en a pas mis la deuxième fois, faisant mine de se tourner vers sa table de chevet pour en prendre un, ce que sa partenaire n’a réalisé qu’une fois le rapport terminé. « Sous le choc et paniquée », la jeune femme s’est entendu répondre par son partenaire qu’elle « pourrait simplement se faire avorter » si elle tombait enceinte et que « les gens pouvaient maintenant vivre avec des infections comme le VIH, la chlamydia et la gonorrhée ».

Par la suite Ross McKenzie Kirkpatrick a tenté de se justifier par message auprès de la jeune femme, affirmant s’être senti « trop excité » pour mettre un préservatif et que l’idée que cela pourrait constituer d’une agression sexuelle était « très drôle ». La victime qui a porté plainte à l’encontre de McKenzie Kirkpatrick pour agression sexuelle avait ensuite dû suivre un traitement préventif contre le VIH de vingt-huit jours, aux effets secondaires lourds.

Lors du procès en 2018, l’homme a été acquitté en première instance par un juge qui estimait que rien ne prouvait que la plaignante n’avait pas consenti « à tous les actes physiques de relations sexuelles auxquels les parties s’étaient livrées », ni que l’accusé avait été explicitement malhonnête, explique le quotidien québécois le Devoir.

« Seul oui veut dire oui et que non veut dire non »

Mais la Cour d’appel de la Colombie-Britannique n’étant pas d’accord avec cette première décision, elle a ordonné un nouveau procès. En réaction, Ross McKenzie Kirkpatrick a donc saisi la Cour suprême en 2021 dans l’espoir d’être définitivement acquitté, ce qui a entraîné l'annulation du procès en appel. La plus haute juridiction canadienne rejette la demande de Kirkpatrick et ordonne à son tour qu’un nouveau procès ait lieu. Le 29 juillet dernier, la Cour suprême a donc rendu sa décision en refusant d’acquitter Ross McKenzie Kirkpatrick et en renvoyant l’affaire devant la Cour provinciale de la Colombie-Britannique.

La Cour suprême estime dans sa décision que « lorsque le port du préservatif est une condition à la relation sexuelle, il fait partie de l’activité sexuelle à laquelle la personne a consenti ». Elle balaye également le manque supposé de preuves mis en avant par le premier jugement. « Un plaignant qui consent à des relations sexuelles à la condition que son partenaire porte un préservatif ne consent pas à des relations sexuelles sans préservatif, a affirmé l'une des juges de la Cour suprême, Sheilah Martin. Puisque seul oui veut dire oui et que non veut dire non, "non, pas sans préservatif" ne peut vouloir dire «"oui, sans préservatif". »

Pratique illégale en Californie

De plus en plus dénoncée, la pratique du stealthing reste cependant peu souvent punie par la loi à travers le monde. En octobre 2021, la Californie est devenue le premier État américain à rendre illégale le retrait non consenti d’un préservatif lors d’un rapport sexuel. Les victimes peuvent demander des dédommagements en portant plainte au civil mais ne peuvent porter plainte au pénal.

En janvier 2017, un Français à qui il était reproché cette pratique avait été condamné par un tribunal de Lausanne en Suisse, pour viol, à douze mois de prison avec sursis. Une peine confirmée en appel mais requalifiée d’ « acte d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance ». En Suède, Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, était accusé par une femme d’avoir engagé, en août 2010, un rapport sexuel pendant qu’elle dormait et sans préservatif, alors qu’elle lui avait refusé tout rapport non protégé à plusieurs reprises, ce qu’il a toujours démenti. Le parquet a abandonné les poursuites en 2019

Flou juridique en France

En France, si les témoignages se multiplient, il existe toujours un flou juridique autour du stealthing en dépit des demandes des associations de défense des droits des femmes à considérer cette pratique comme un viol. En droit français le viol est défini comme un « acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ». 

Selon de nombreux juristes français·es, le stealthing s'apparente donc à un viol par surprise, comme l'expliquait Avi Bitton, avocat au Barreau de Paris, auprès de France Info en 2021 : « Ça se plaide mais ça peut faire débat. On pourrait qualifier cet acte de viol par surprise. Autrement dit, est-ce que l'homme aurait surpris le consentement ? Est-ce qu'il aurait trompé la femme en lui disant : "Je vais porter le préservatif" pour qu'elle accepte la pénétration sexuelle, mais qu'ensuite il le retire à son insu ? Si la France adoptait une loi qui qualifie de délit ce type d'agissement, ça aurait le mérite de la clarté. Les choses seraient claires, on ne serait plus dans le flou juridique. La femme, comme l'homme, sauraient à quoi s'en tenir s'il y a un retrait de préservatif non consenti. » Selon une enquête du collectif Nous Toutes réalisée en février 2020, une Française sur trois déclare qu’un partenaire lui a déjà imposé un rapport sexuel non protégé malgré son désaccord.

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.