ESANASA S.Cristoforetti R. Rossi
Samantha Cristoforetti © NASA/ESA

Samantha Cristoforetti : « Mon par­cours peut ins­pi­rer les jeunes géné­ra­tions. Non pour qu’elles deviennent néces­sai­re­ment astro­nautes, mais pour qu’elles s’autorisent à rêver »

L’astronaute italienne Samantha Cristoforetti, troisième Européenne à être allée ans l’espace, est la première femme à avoir pris les commandes de la Station spatiale internationale. Mais elle ne compte pas s’arrêter là. Ses rêves et son entraînement la poussent vers d’autres destinations, encore plus lointaines...

« Astronaute, je le suis vraiment devenue à 37 ans, à la seconde où la navette Soyouz s’est détachée de notre fusée. D’un coup, après plus de huit minutes d’explosions et de vacarme, c’était le silence absolu. J’ai regardé mes deux mains suspendues sous mes yeux : elles semblaient détachées de mon corps. Pour les ramener contre moi, je devais forcer. J’étais fascinée. Cet effort pour ne pas laisser mes membres s’envoler défiait à lui tout seul plusieurs centaines de millions d’années de mémoire corporelle. Anton, mon coéquipier, a dû m’interpeller pour me ramener à la réalité et pour que je me remette au travail. » Nous avons rencontré Samantha Cristoforetti au Centre européen des astronautes, à Cologne, en Allemagne, sur la planète Terre. Mais son récit nous propulse bien loin, à quelque 400 kilomètres au-dessus du sol, le jour où elle a rejoint la Station spatiale internationale (ISS) grâce au vaisseau Soyouz, le 23 novembre 2014. Un jour, elle sera peut-être la première femme à marcher sur la Lune. Fantasme ? C’est possible. Mais est-il interdit de rêver ? Certainement pas pour elle.

ESA S.Corvaja

Samantha Cristoforetti © NASA/ESA

Ingénieure, pilote de chasse et astronaute, pieds sur Terre, tête dans les étoiles, cette Italienne de 46 ans a plusieurs passions dans la vie. Parmi celles-ci : rêver, voler et raconter. Dans son livre, Diario di un’apprendista astronauta (« Journal d’une apprentie astronaute », non traduit en français), elle revient en détail sur son parcours, sa formation et son premier voyage dans l’espace, la mission Futura, de novembre 2014 à juin 2015. Un séjour de 199 jours, 16 heures et 42 minutes dans la Station spatiale internationale, qui lui a permis de décrocher le record de la plus longue mission dans l’espace pour un astronaute européen et pour une femme. Record qu’elle a elle-même pulvérisé grâce à sa deuxième mission de 170 jours sur orbite, en septembre-octobre 2022. Elle cumule désormais 370 jours et 5 heures dans l’espace. La seule femme à totaliser plus de jours autour de la Terre est l’Américaine Peggy Whitson (665 jours et 22 heures en trois missions).

Éducation humaniste

Titulaire d’un CV long comme une fusée – licence scientifique en Italie et aux États-Unis, génie mécanique en Allemagne, École nationale supérieure de l’aéronautique à Toulouse –, cette polyglotte qui parle un français quasi parfait insiste sur l’importance de sa formation intellectuelle, de l’enseignement aux « humanités ». « En Italie, comme en France, l’éducation est humaniste, dit-elle. Même quand on étudie les maths et la physique comme moi, une part importante de l’emploi du temps est consacrée au latin, à l’histoire, à la littérature et à la philosophie. Personnellement, j’y suis très attachée. » Dans sa première valise pour l’espace, elle avait embarqué un exemplaire de La Divine Comédie, de Dante. « L’exploration de l’au-delà n’est pas née hier. C’est une grande aventure de l’humanité, initiée par Homère, Virgile, Ovide, que j’ai la chance de poursuivre, avance-t-elle. Écrire, pour moi, c’est transmettre tout cela, laisser une trace de cette expérience dans les archives de l’humanité. C’est mon devoir. Par ailleurs, je pense que mon parcours peut inspirer les jeunes générations. Non pour qu’elles deviennent nécessairement astronautes, mais pour qu’elles s’autorisent à rêver. Il me semble indispensable dans la vie d’avoir un rêve. »

Avec un total de 370 jours et 5 heures, Samantha Cristoforetti est la deuxième femme ayant passé le plus de temps dans l’espace.

Le rêve... On y vient. Pour Samantha Cristoforetti, il est apparu dès l’enfance « À 9 ans, je voulais déjà aller dans l’espace. Je ne savais pas en quoi cela consistait. » Intrépide, passionnée par la littérature, la science-fiction et le cinéma, Samantha s’invente un équipage hétéroclite composé, entre autres, des personnages de Jules Verne et de Star Trek. « J’étais une vraie Trekkie », sourit-elle. Élevée dans un village de montagne du nord de l’Italie par des parents hôteliers, elle grandit sans luxe, mais sans contraintes. « J’étais férocement indépendante. Mes parents, des gens de la montagne, ne parlaient pas beaucoup, mais disaient oui à tout. Ce qui m’intéressait, j’allais le chercher sans que personne ne me montre le chemin. Les livres, les aventures. Comme je vivais dans la nature, l’évasion était à portée de main. Je ne peux pas dire qu’un tel ou un tel ait changé ma vie. J’ai simplement été libre d’explorer tout ce qui m’attirait. »

Énorme coup de chance

À 17 ans, le rêve devient concret. « J’ai vu passer une publicité pour un stage d’été dans un camp aérospatial en Alabama, aux États-Unis, et j’ai supplié mes parents de me laisser y aller. Après dix jours en immersion à m’entraîner comme une petite astronaute avec des programmes inspirés de la Nasa, pour moi, c’était clair : j’étais lancée. » Comment devient-on astronaute ? Tous les chemins n’y mènent pas, on s’en doute. Mais les parcours restent multiples, et Samantha Cristoforetti ne choisit pas le plus simple. Alors qu’elle est en master à Munich, en Allemagne, l’étudiante se sent furieusement attirée par l’armée de l’air. Mais deux problèmes se posent : premièrement, l’armée italienne n’est ouverte qu’aux hommes. Deuxièmement : elle ne recrute pas au-delà de 21 ans. Or Samantha est une femme et elle aura 23 ans à la fin de ses études. « J’avais abandonné le projet, je m’étais dit que je passerais par d’autres voies. » Oui, mais voilà, la chance a parfois la bonne idée de frapper deux fois. En 1999, alors que la jeune femme entame sa dernière année d’études, la loi italienne repousse de trois ans l’âge limite pour passer le concours de l’armée et l’ouvre aux femmes. « J’ai vécu cela comme un énorme coup de chance ! » se rappelle-t-elle. Deux ans plus tard, elle arrive première au concours. Et devient ainsi l’une des premières Italiennes pilotes de chasse. Serait-elle devenue astronaute sans ce coup du destin ? « Comment le savoir ? Dans une carrière aussi singulière que la mienne, explique-t- elle, le moindre grain de sable peut tout faire basculer. »

Première Européenne aux commandes de la Station spatiale internationale

Samantha Cristoforetti pourrait être un symbole de l’empowerment féminin, pionnière dans un milieu dominé par les hommes. Troisième Européenne de l’histoire à être allée dans l’espace – après la Britannique Helen Sharman et la Française Claudie Haigneré dans les années 1990 –, première Européenne à prendre les commandes de l’ISS lors de la mission Crew-4, en septembre 2022, elle est sollicitée de toutes parts pour témoigner en tant que femme et encourager les jeunes filles à croire en leur destin. Un rôle dont elle se méfie : « Je me sens astronaute avant tout, et non “femme astronaute”. Je sais que mon métier suscite la sympathie du public et j’apprécie l’idée d’inspirer les jeunes générations, filles comme garçons, précise-t-elle. Mais je ne veux pas devenir un symbole féministe. Les femmes ont des difficultés dans le monde de l’entreprise que je n’ai moi-même jamais eu à subir. » Mais elle reste vigilante. Ainsi lors de sa deuxième mission, elle a emporté avec elle la poupée Barbie créée à son effigie et répondu en octobre 2022, en visio et en direct, aux questions de fillettes du Royaume-Uni, d’Espagne, de Suisse, d’Italie et de France. Un rendez-vous imaginé via l’association Inspiring Girls 1, dans lequel elle s’est impliquée avec enthousiasme, consciente du faible quota de femmes qui font carrière dans le domaine des sciences, de la technologie ou des mathématiques.

« [À 17 ans], j’ai vu passer une publicité pour un stage d’été dans un camp aérospatial aux États-Unis, et j’ai supplié mes parents de me laisser y aller »

Samantha Cristoforetti

Une fois admise dans l’armée de l’air, Samantha Cristoforetti affirme avoir intégré un monde égalitaire. « Les astronautes sont recrutés sur concours à partir de compétences formelles qui n’ont rien à voir avec le genre, la personnalité ou le réseau d’influence, comme cela peut l’être pour d’autres métiers. » Néanmoins, elle reconnaît qu’une évolution est souhaitable pour permettre à davantage de femmes d’intégrer le domaine spatial. En Europe, elles représentaient en 2019 28 % du personnel et occupaient seulement 10 % des postes de direction. La dernière promotion d’astronautes européen·nes, dévoilée en novembre 2022, compte trois hommes et deux femmes, dont la Française Sophie Adenot. Mais le compte est toujours catastrophique : « Moins d’un astronaute sur dix est une femme », déclaraient le ministère de l’Économie et celui de l’Enseignement supérieur français dans un communiqué commun.

Mais est-ce que côtoyer les étoiles permet de se délester du poids des inégalités ? Sommes-nous tous, femmes et hommes, identiques dans l’espace sur le plan physiologique ? Samantha Cristoforetti est perplexe : « Le corps des astronautes, quel que soit leur sexe, est mis à rude épreuve dans l’espace. Notre condition physique doit être excellente. Le nombre d’astronautes est encore trop faible pour établir de réelles statistiques sur les différences de réactions entre hommes et femmes. De retour sur Terre, j’ai personnellement subi des problèmes d’articulation, des douleurs ici et là. Mais comment savoir à quoi ces sensations étaient liées ? Je dis souvent – et je l’ai confirmé par ma propre expérience – qu’une femme ayant vécu une grossesse traverse des bouleversements physiques bien plus importants qu’un astronaute après un aller-retour dans l’espace ! »

Mission Artémis, un rêve

Consultante au sol pour l’ESA, l’Agence spatiale européenne, et plus ponctuellement pour la Nasa, Samantha Cristoforetti a notamment accompagné la production de documents permettant de définir le module européen de la nouvelle station internationale. « Je donne mon avis, au cours de nombreuses réunions, sur la façon dont un astronaute peut vivre, manger et dormir au sein d’un tel habitat en orbite lunaire . » Et un voyage sur la Lune ? L’Europe y songe, la Nasa le programme – la mission Artémis – pour novembre 2024. Et n’exclue pas d’embarquer des astronautes européen·nes... « J’en rêve bien sûr, mais je ne suis pas la seule. Tous les astronautes veulent marcher sur la Lune. Les étapes sont nombreuses avant de savoir qui sera envoyé. » Patience, donc. Les yeux fixés vers l’horizon le plus lointain tout en restant attentive au moindre grain de sable qui jalonne son chemin, Samantha Cristoforetti semble bien décidée à nous prouver – sans jamais s’en vanter – que chaque petit pas, d’homme et de femme, compte toujours pour accomplir l’un des plus grands rêves de l’humanité.

Lire aussi l Lucie Azema : « Les femmes n’osent pas voyager par peur alors que le lieu le plus dangereux statistiquement pour elles, c’est le foyer »

  1. Inspiring Girls est une organisation caritative fondée par l’Espagnole Miriam González Durántez et qui met en relation des petites filles avec un large éventail de modèles féminins. Inspiringirls.fr, @inspiringgirlsfrance sur Instagram []
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