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© Besse

Les ennemi·es de l'avortement en embus­cade sur Facebook

Depuis le durcissement de la loi sur la désinformation en ligne, avec l’extension au numérique du délit d’entrave à l’avortement en 2017, les pro-vie français·es se sont discrètement déplacé·es sur Facebook, où ils et elles étendent leur influence en avançant toujours masqué·es. Leurs armes ? Des contenus sponsorisés à coups de milliers d’euros pour mieux attirer les jeunes femmes dans leurs filets numériques et une sémantique toujours plus perverse.

Jusqu’en 2016, quand on tapait « IVG », comme interruption volontaire de grossesse, sur Google, pour tenter de trouver des informations sur l’avortement, c’est IVG.net qui apparaissait en premier. Avant le site officiel du ministère de la Santé, IVG.gouv. 

Une apparence neutre, qui le fait aisément passer pour un site institutionnel, un numéro vert qui inspire toute confiance et pourrait être celui du ministère, sauf que… IVG.net est en réalité tenu par les pires ennemi·es de l’avortement, résolu·es, une fois qu’ils et elles vous l’ont bien fait à l’envers, à vous dissuader par tous les moyens de « tuer vos bébés ». C’est pour pénaliser ces sites de désinformation sur l’interruption volontaire de grossesse qu’en 2017, le Parlement a définitivement étendu la loi sur le délit d’entrave à l’IVG au numérique. Le fait d’« empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une IVG », notamment sur la Toile, est depuis passible de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. 

À première vue, la mesure semble avoir eu son petit effet. IVG.net n’est plus qu’en troisième position dans le moteur de recherche et ses petits copains fourbes, du genre SOSbébé, Avortement.net, Testpositif.com ou encore Afterbaiz.com, sont depuis moins actifs. 

Mais pour contourner la loi et les difficultés, Marie Philippe, la fondatrice d’IVG.net et de l’association qui le chapeaute, SOS-Détresse, devenue la papesse des anti-IVG, a plus d’un tour dans son sac. Avant de partir en croisade numérique, elle avait déjà créé le centre Billings France, qui promeut une technique de régulation des naissances fondée sur l’abstinence périodique. Mais aujourd’hui, la lutte contre l’interruption volontaire de grossesse est devenue le combat de sa vie : elle y a même consacré un livre en 2018. Et si cette retraitée est devenue la cheffe de file des antiavortements dans l’Hexagone, c’est parce qu’elle a toujours eu un temps d’avance. Et ça, ce n’est pas une blague… 

Tactique no 1 : stratégie digitale 

Dès 2010, IVG.net crée une page Facebook associée, au nom lui aussi trompeur « IVG : vous hésitez ? Venez en parler ! », également très bien référencée. Depuis le durcissement de la loi, son activité s’est donc totalement recentrée sur cette page Facebook, moins contrôlable qu’un simple site Web compte tenu de l’immense toile que constitue le réseau social, tissée par ses millions d’auteurs et d’autrices de contenus. Et le succès est au rendez-vous… Elle est passée de 40 000 mentions « j’aime » en 2016, à 47 000 en 2017, pour atteindre le double aujourd’hui. Ces derniers mois, le nombre d’abonné·es est exponentiel : ils et elles étaient 88 000 en mars 2019, 94 000 en septembre et près de 97 000 fin 2019. Un chiffre effarant au regard des quelque 220 000 avortements pratiqués en France chaque année. Comment expliquer ce miracle de la multiplication des pouces quand, sur le mur virtuel d’en face, la page du Planning familial, elle, stagne à 27 000 likes ? 

Interrogée par Causette, Marie Philippe explique que SOS-Détresse verse à Facebook pas moins de 50 000 euros par an pour sponsoriser ses contenus. Au congrès mondial des familles, qui s’est tenu en mars 2019 à Vérone (Italie) et où se rassemble chaque année tout le gratin des anti-IVG mondiaux, elle a même avoué que ce budget pub s’élevait en réalité à 80 000 euros (lire page 28) ! Sa stratégie digitale est tellement efficace qu’elle est érigée en modèle sur la scène internationale antiavortement. Une fois que les femmes, qui ont mordu à l’hameçon, se retrouvent sur la page Facebook, pensant obtenir des renseignements pour pratiquer une IVG, elles sont dès lors abreuvées de -pseudo-témoignages de jeunes femmes qui, toutes, regrettent d’avoir « tué leur bébé ». L’un sur le bonheur d’être mère, illustré par un ventre rebondi, des petons entourés de cœur avec les mains. L’autre sur le regret d’avoir avorté, cette fois assorti d’une photo issue de banques d’images de femmes à la mine déconfite, ou de nuages en forme d’ailes d’ange… 

"Leur argumentaire ne convainc pas forcément, alors ils jouent sur la corde sensible, ce qui peut d’autant plus toucher les jeunes, le public visé"

Marie Mathieu, sociologue, spécialiste de l'avortement

Environ deux par jour, likés des centaines de fois. « Ce qui compte pour augmenter la visibilité sur Facebook, c’est l’inter-action. Les likes, les commentaires et les partages, analyse le professeur en sciences de l’information Olivier Ertzscheid. Or les témoignages bruts, dans l’univers discursif du réseau social, sont les plus à même de générer du commentaire. Cela amène de l’assertif et des mentions émotionnelles, c’est le Graal pour Facebook. » Et ça, les anti-IVG le savent très bien. Tous ceux publiés sur la page d’IVG.net se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Toujours écrits de la même façon, toujours les mêmes histoires… 

Marie Philippe affirme que ce sont de vrais témoignages. C’est en tout cas l’équipe de SOS-Détresse qui tire les ficelles de ce numéro de ventriloque en sélectionnant les publications chocs. « Leur argumentaire ne convainc pas forcément, alors ils jouent sur la corde sensible, ce qui peut d’autant plus toucher les jeunes, le public visé », estime la sociologue, spécialiste de l’avortement, Marie Mathieu. 

Tactique no 2 : contourner la loi 

Miser sur les « témoignages » constitue par ailleurs un sacré joker juridique qui permet de déjouer l’extension au -numérique du délit d’entrave à l’IVG. En effet, la page Facebook se présente comme un forum de discussion. Dès lors, prouver qu’elle empêche l’accès à une information neutre relève de l’impossible. Et surtout, la grande -manipulation des femmes se fait en messagerie privée ou par téléphone.

"Les anti-IVG jouent sur une esthétisation et une humanisation du fœtus loin de ce à quoi cela ressemble en vérité. Ils misent sur la puissance de l’image pour créer un doute sur le processus d’humanisation"

Marie Mathieu, sociologue, spécialiste de l'avortement

« Vers 2014, lorsque l’on tapait “IVG” sur Google, d’immondes photos de fœtus apparaissaient, émanant des antiavortements », rapporte Olivier Ertzscheid. Puis Google a restreint cette possibilité. Sur leur page Facebook, d’harmonieuses images de synthèse d’embryons illustrent certains témoignages. « Les anti-IVG jouent sur une esthétisation et une humanisation du fœtus loin de ce à quoi cela ressemble en vérité. Ils misent sur la puissance de l’image pour créer un doute sur le processus d’humanisation », analyse la sociologue Marie Mathieu. 

Le ministère de la Santé est-il conscient de cette stratégie de déplacement sur Facebook ? En 2017, il a monté une « task force » « de veille de l’information disponible sur Internet », comme le recommandait le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, quatre ans plus tôt, déjà. Et depuis ? Le cabinet d’Agnès Buzyn indique simplement à Causette que, « depuis le début du mois de novembre 2019, la position respective d’anti-IVG et d’IVG.gouv dans les moteurs de recherche est surveillée par une prestation spécifique ». Sauf que c’est sur Facebook que les anti-IVG se sont replié·es en raflant la place de choix.

Tactique no 3 : surfer sur le féminisme et l’écologie 

Au petit jeu de se réapproprier l’arsenal sémantique de l’ennemi, ce sont les anti-IVG qui sont encore les plus fort·es… Même les arguments et le vocabulaire féministes sont récupérés. Le comble ! « Quelque part, on pourrait dire qu’on est une association féministe. Je me dis féministe, nous confirme Marie Philippe. Quand vous avez des femmes qui vous appellent et qui vous disent : “Mon compagnon ne me laisse pas le choix, c’est soit moi, soit le bébé.” C’est insupportable, on en a marre ! C’est tellement récurrent… » Bonjour l’arnaque ! 

Histoire de rester dans l’air du temps, la patronne des anti-IVG n’hésite pas à mettre en avant le droit des femmes à garder leur enfant sans se laisser atteindre par la pression masculine. « Il y a un discours à double fond qui résonne chez les plus jeunes sans braquer les plus fondamentalistes. Jean-Paul II évoquait déjà la dignité de la femme et le féminisme chrétien. C’est dans le logiciel catholique conservateur », -traduit Josselin Tricou, expert sur les résistances religieuses envers les droits sexuels et reproductifs.

Sans complexe, la page Facebook d’IVG.net prétend « aider les femmes à se libérer », peut-on lire à l’envi. La vidéo « J’ai subi la pression de mon conjoint, je viens témoigner », postée il y a un an, a été vue 30 000 fois. En intro de cette vidéo on peut lire : « Thème : Liberté de la femme. » LOL. Les anti-IVG n’hésitent pas non plus à surfer sur l’indignation générale face aux féminicides « On ne dira jamais assez que beaucoup de femmes enceintes subissent des violences. Elles sont parfois même tuées parce qu’elles sont enceintes... » poste le compte en relayant un article du site OhMyMag.com titré « Féminicide, enceinte de 3 mois cette jeune femme est la 71e victime ». Ou cet autre article, provenant du site Actu.fr, sur une ado de 15 ans qui aurait été tuée parce qu’elle était enceinte. « En ce jour de manif contre les violences faites aux femmes, nous devrions toutes relayer cette information qui n’est pas passée dans les “grands” médias parce qu’elle “dérange” », peut-on lire en commentaire de ce papier dans un post du 23 novembre. Il n’y a pas de petite récup… 

Autre stratégie, s’approprier la méfiance généralisée contre les hormones et la tendance actuelle à vouloir aller vers plus de naturel et moins de chimie pour mieux promouvoir la méthode Ogino. « Depuis l’avortement, je n’ai jamais repris de contraceptif, je me suis convertie à la méthode naturelle et cela marche à merveille, il existe de nouvelles applications et méthodes fiables à 99 %, qui évitent de prendre des hormones ou de devoir utiliser un préservatif, et je trouve ça génial pour la liberté de la femme, il suffit d’écouter son corps, de l’observer », écrit une certaine Paola, 20 ans, le 30 novembre. Ou comment la vague écolo, antihormone se transforme de bonne grâce en déferlante anticontraception, anti-médicament abortif. Habile… 

D’où, également, selon Josselin Tricou, « le changement de visuel du mouvement anti-PMA », évidemment soutenu par le collectif anti-IVG La marche pour la vie. Fini le rose et bleu de La Manif pour tous. Bienvenue au vert et au rouge ! « Le vert renvoie à l’écologie, le rouge aux luttes sociales », décrypte le chercheur. Anti-PMA et anti-IVG marcheront d’ailleurs bras dessus bras dessous le 19 janvier dans les rues de Paris. 

Tactique no 4 : mettre la main à la poche 

Ce groupe devenu le noyau dur des anti-IVG en France bénéficie d’un arsenal financier conséquent. En tout, Marie Philippe affirme que le budget de son association SOS-Détresse, qui emploie une salariée, est de 120 000 euros par an, financés par des « dons », selon ses termes. Les « écoutantes », chargées de répondre aux femmes qui les contactent via la page Facebook, disposent même d’un budget de « 30 000 euros par an déblocables pour des aides ponctuelles », selon les termes de la dirigeante, destinés à des femmes enceintes afin de les encourager à poursuivre la gestation. En clair, chez IVG.net, on paie les femmes pour qu’elles renoncent à avorter… Au Congrès mondial des familles, Marie Philippe a même raconté au micro, sans sourciller, avoir soutenu Aurore, 28 ans, qui voulait avorter aux Pays-Bas à 21 semaines et que l’association a aidée « avec 1 000 euros pour qu’elle garde son bébé ». Flippant…


4 000 appels par an 

Il y a quatre ans, une vingtaine d’« écoutantes » bénévoles, des « bonnes samaritaines », comme les appelle Marie Philippe, fondatrice d’IVG.net, se répartissaient 2 000 appels par an… Avec plus d’une chance sur quatre de tomber sur la boss en personne, puisqu’elle assure recevoir elle-même 1 200 coups de fil chaque année. Aujourd’hui, elles sont « une trentaine d’écoutantes bénévoles, des femmes qui ont un certain âge, nous demandons de la maturité », précise Marie Philippe. Et elles traitent 4 000 appels par an. Elles sont très disponibles et entraînées comme des pros. Telles des téléopératrices de métier, elles reçoivent « une formation de base, théorique, puis elles sont mises en situation pour voir comment elles répondent ».

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