Clitoris : ces profs qui en ont

Si le clitoris se donne désormais à voir en 3D et en entier, certains profs de SVT ne l’ont pas attendu pour dépoussiérer des programmes peu portés sur le plaisir féminin. Causette a rencontré ces enseignants qui, au collège comme au lycée, titillent la morale et osent le clito.

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© E.Soyer

Alexandre Magot, 37 ans, est l’un des fondateurs du site SVT-égalité qui partage des outils pour promouvoir un enseignement de cette matière plus égalitaire et moins normatif. Alors, forcément, le clitoris a trouvé une place de choix dans la banque de données du site. Nous avons contacté par Skype ce prof de SVT au lycée français de Barcelone pour échanger sur sa manière de parler du plaisir féminin avec les élèves. « On a mis deux ans pour trouver quelqu’un susceptible de dessiner correctement des appareils génitaux ! Nous n’étions pas aidés par les manuels scolaires puisque aucun d’entre eux ne fournit de schémas corrects : soit le clitoris y est totalement absent, soit seul le gland est représenté. » Du coup, des planches (de salut) avec un clitoris complet 1 sont maintenant disponibles en téléchargement gratuit sur le site de SVT-égalité.

Autocensure

Alexandre confie les craintes de certains enseignants d’être hors programme, mais surtout leurs difficultés personnelles à aborder le plaisir au travers du sujet clitoris. « Il y a beaucoup d’autocensure chez les profs, qui anticipent des attaques possibles de parents d’élèves ou de leur direction. » Il est toutefois persuadé qu’on peut conserver la « casquette science » et aborder le plaisir tout en restant dans les clous de la bien-pensance. Et dans l’équipe de SVT-égalité, on s’est creusé la tête pour offrir des solutions aux collègues ! Par exemple, en première S, il est écrit dans le programme officiel que « le plaisir repose notamment sur des phénomènes biologiques, en particulier l’activation dans le cerveau des “systèmes de récompense” ». Pour Alexandre, le « en particulier » laisse une fenêtre ouverte pour évoquer le clitoris et rappeler qu’il est le seul organe humain entièrement et uniquement consacré au plaisir. Autre exemple : au collège, l’Éducation nationale stipule que, « au cours du cycle, l’élève apprend à [...] expliquer la distinction entre reproduction et sexualité ». « Il s’agit juste d’expliquer que procréation et sexualité sont deux choses -différentes, poursuit Alexandre. Mais la recherche de plaisir étant une différence de finalité essentielle entre reproduction et sexualité, l’occasion est donnée d’en parler avec les élèves. » Autrement dit, si on veut, on peut !

Pour preuve, Camille, 29 ans, prof de PSE (Prévention Santé Environnement) et de sciences appliquées dans un centre de formation d’apprentis hôteliers de Seine-et-Marne, va plus loin que le programme, centré uniquement sur les infections sexuellement transmissibles (IST) et la contraception, en abordant les organes génitaux, le plaisir et le consentement. Bien évidemment, elle s’est fait fabriquer un clitoris 3D, qu’elle a commandé en rose fluo « pour ne pas avoir à le peindre et pour le fun ». Elle l’a payé avec ses propres deniers, 20 euros. Elle aurait pu le demander comme matériel pédagogique, mais les démarches administratives sont trop lourdes. Du coup, « c’est mon clito et voilà ! » me lâche-t‑elle au téléphone. « Son » clito, Camille compte bien l’exposer sur son bureau aux yeux de tous pour provoquer les questions. Puis elle le fera circuler parmi ses élèves pour qu’ils le touchent, qu’ils se rendent compte de la taille de l’organe. L’enseignante a prévu d’insister sur le fait qu’il passe derrière le vagin, donc qu’il est aussi sollicité lors d’une pénétration, pour sortir de l’éternel clivage « clitoridienne/vaginale ». Preuve que le clito 3D était attendu comme le loup blanc, quand elle a reçu l’objet du désir modélisé, ses collègues se sont photographiés avec, en salle des profs !

Élodie, 32 ans, enseigne les SVT dans un collège REP+ 2 de Villeurbanne (Rhône) depuis maintenant huit ans. Elle aussi reconnaît que le clitoris fait partie des grands oubliés du programme de collège. « Jusqu’à l’année dernière, seuls les organes de la reproduction (ovaires, utérus et vagin) étaient exigibles dans nos cours pour les élèves de quatrième. Nous n’étions donc pas nombreux à aborder l’anatomie et le plaisir féminins ! Depuis cette année, le clitoris fait son apparition très officielle dans les programmes, tout comme le distinguo sexualité/reproduction. Mais parmi les grands éditeurs de manuels scolaires, pas un seul ne met le clitoris sur les schémas d’anatomie et la sexualité “doit être abordée de façon dialoguée et non sous forme d’apprentissage classique”. » Élodie traduit cela par : « Fais comme tu veux, tout le monde s’en fout ! » Donc, pour parler de clitoris avec des collégiens, elle estime qu’il faut être « suffisamment à l’aise dans ses baskets et maîtriser un minimum la bête informatique, histoire de faire aux gamins un schéma bilan pas trop dégueu sur lequel les femmes ont un sexe ». Le collège étant tout petit, les élèves la connaissent bien, et la parole est assez libérée. Les questions sont souvent directes, comme : « Vous avez dit qu’elles peuvent caresser leur clitoris, mais comment elles le trouvent ? » ou « Vous avez dit que la circoncision n’empêche pas les hommes d’avoir du plaisir et des bébés. Alors pourquoi l’excision, c’est pas pareil ? » Élodie donne d’elle-même : « Il faut donc leur expliquer, les bousculer, ne pas avoir peur de se mouiller, oser affirmer haut et fort que le sexe, c’est bien ! Là où je me dis que je m’en sors pas trop mal dans tout ce foutoir, c’est quand une fille vient me voir à la fin d’un cours en me lançant, rouge et fière : “Vous aviez raison, madame, j’ai regardé et j’ai trois trous moi aussi. J’ai même vu mon clitoris !” Ou alors un garçon, avec son petit sourire malicieux : “Mais maintenant qu’on connaît tout sur le clitoris, on sera les rois du pétrole avec notre meuf !” »

Buzz du clito 3D

Johanne, 35 ans, prof à Nantes, regrette aussi le manque d’audace des éditeurs : « Quand j’étais prof au collège, j’abordais le clitoris en classe de quatrième dans la partie reproduction du programme de SVT. Malheureusement, les représentations schématiques dont nous disposons sur le sexe féminin ne sont pas très claires. L’appareil reproducteur est très bien décrit, mais la vulve reste un mystère ! Mon but n’était pas de faire de mes élèves des anatomistes, je voulais juste qu’ils comprennent l’essentiel. » Johanne invite alors les filles à se regarder pour comprendre comment elles sont faites et les garçons à découvrir ce fameux clitoris le moment venu. Elle me précise qu’au lycée, en première (S, ES et L), le programme porte sur la mise en place des appareils reproducteurs, mais aussi sur la distinction entre déterminisme biologique, préférence sexuelle et genre social. Du coup, « la formation des organes reproducteurs dans leur partie interne et externe permet bien de montrer que les tissus embryonnaires à l’origine du pénis et du gland sont les mêmes que ceux qui forment les lèvres et le clitoris. Il devient alors plus simple de leur faire comprendre que les sensations que peuvent procurer ces différents tissus sont comparables chez l’homme et la femme : ce sont des tissus érectiles, très innervés, donc très sensibles. Et comme il y a toutes les tailles de pénis, il y a aussi toutes les tailles de clitoris. » Johanne ajoute qu’elle est ravie du buzz autour du clitoris 3D qui a fait fleurir schémas, images et autres représentations beaucoup plus détaillées de cet organe et qu’elle compte bien les utiliser cette année !

Pour conclure, Alexandre Magot résume parfaitement les enjeux autour du clitoris au bahut : pour lui, aborder le plaisir féminin permet de lutter directement contre les violences faites aux femmes. Ni plus ni moins. « En insistant sur l’existence du désir féminin, en montrant que les femmes sont aussi actrices de leur sexualité, on met au jour que le plaisir qu’elles éprouvent ne dépend pas uniquement de la pénétration par un sexe masculin. On sort de l’hétéronormativité en évoquant aussi des relations entre femmes ! En parlant de clitoris, on sort des stéréotypes de domination, on rétablit l’égalité et on permet aux filles de se réapproprier leurs corps. » Autrement dit, l’égalité passe désormais par les cours de SVT, derrière un clito en 3D. Qu’on se le dise !

1. Pour télécharger les schémas complets des organes génitaux sur le site de SVT-égalité, se rendre sur l’onglet « Outils pédagogiques », puis « Éducation à la sexualité ».
2. Dans les REP+ (réseaux d’éducation prioritaire plus), les enseignants bénéficient de conditions particulières d’exercice permettant notamment de développer et
de faciliter le travail collectif et la formation continue.

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