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© Belga News Agency / Alamy Stock Photo

Lettre ouverte à Gérard Depardieu : “Tu crées la ter­reur par le rire, tu te fais pas­ser pour un bouf­fon, alors que tu es un roi tout puissant”

Autrice de théâtre et comé­dienne, Marion Guilloux, 33 ans, affirme avoir été la des­ti­na­taire de pro­pos dépla­cés de la part de Gérard Depardieu lors du tour­nage du film Turf, de Fabien Onteniente en 2011, auquel elle a par­ti­ci­pé en tant que figu­rante. La récente enquête de Mediapart révé­lant que treize femmes accusent l'acteur de vio­lences sexuelles – dont l'une lors de ce même tour­nage – a fait remon­ter ses sou­ve­nirs de cet épi­sode. Elle a envoyé cette lettre ouverte à Causette.

Cher Gégé,
Je te tutoie et t’appelle par ton petit nom parce que figure-​toi qu’on se connaît. Moi, je me sou­viens en tout cas. Toi, t’as oublié. Il sem­ble­rait d'ailleurs que ce soit un monde entier qui souffre d’amnésie quand on parle de tes agres­sions à répé­ti­tion. T’es vrai­ment un mec détente, Gégé, tu rotes et tu pètes, tu doigtes des chattes qui passent un peu trop près. C’est un peu ta Signature, comme au McDo.

Figure-​toi que l’actualité est bien faite. Je vois ta tronche en ce moment non pas pour ton nou­veau rôle à suc­cès, mais pour tes vicis­si­tudes qui ont réus­si à empuan­tir le ciné­ma fran­çais. Tu n’es pas seul, vous êtes un monstre à plu­sieurs têtes. Quand on en coupe quelque part, une autre repousse dans le cadre.

Ah Gégé ! Ce tour­nage de Turf… Toi, tu ne t’en sou­viens plus. C’est réglo, c’est ta ligne, mais moi, j’y étais. J’ai dû être payé une for­tune pour l’époque, quelque chose comme 100 balles la jour­née : je fai­sais par­tie du bal­let de figurant·es. C’est inté­res­sant comme rôle, c’est qua­si­ment intra­çable, ça ne fait pas de bruit, ça se pose là où on lui dit et sur­tout, ça FERME BIEN SA GUEULE.

"On a toutes et tous appris les mêmes règles à l’école de théâtre : quand le monstre sacré se pointe, on lui fait des cour­bettes et sur­tout, « figu » ou pas, on FERME BIEN SA GUEULE"

Et donc Gégé, soleil bleu sur l’hippodrome, les filles sont en robes courtes et légères. Même si elles n’apparaissent pas dans le cadre, la ques­tion ne se pose pas : une fille, ça porte une robe, et courte de pré­fé­rence. Et toi, tu es là, pei­nard, à errer et alpa­guer entre deux prises la minette alan­guie sur le bal­con. Enfin, toi, tu la vois alan­guie, mais elle était peut-​être juste déten­due à dis­cu­ter avec sa copine, jusqu’à ce que tu te pointes.

Tu com­prends Gégé, on a toutes et tous appris les mêmes règles à l’école de théâtre : quand le monstre sacré se pointe, on lui fait des cour­bettes, des ronds de jambe et sur­tout, “figu” ou pas, on FERME BIEN SA GUEULE. Toi, tu les connais, ces codes. On pour­rait même croire que tu les as inven­tés. Mais non, fais pas le modeste, dans les écoles où on nous apprend à fer­mer nos gueules, on vante tes petits exploits de jeune pre­mier, on te cite gou­lû­ment, on se repaît de ton talent iné­nar­rable. Bref, le monde entier te suce les boules MAIS que veux-​tu Gégé, c’est le pro­blème des acteurs rabe­lai­siens : pour toi, ça ne sera jamais assez.

Donc, les minettes alan­guies au soleil, ça te fait un flash dans l’œil, y a pas de doute, on te les a ser­vies toutes chaudes, à point pour ton appé­tit insa­tiable. Tu t’approches, tu te frottes un peu (ta vision impa­rable de la séduc­tion). T’es comme ça, Gégé, t’es un mec tac­tile. T’as besoin de sen­tir les gens, sinon, tu es déso­rien­té. Et puis, bas­cu­le­ment tra­gique abso­lu­ment inat­ten­du, l’une des filles se barre en larmes.

“La fille se sauve, toi, tu fixes l’horizon d’un air péné­trant et c’est branle-​bas de com­bat de l’équipe tech­nique qui tente de mettre de la poudre aux yeux à tout le monde pour que ton geste paraisse aus­si ano­din que tes rots ou tes pets”

Je ne te raconte pas une fic­tion Gégé, j’étais là, dans l’ombre par­mi les intra­çables, les témoins muets de tes agis­se­ments qui nous ont atter­rés. La fille se sauve, toi, tu fixes l’horizon d’un air péné­trant (sûre­ment pour révi­ser ta réplique) et c’est branle-​bas de com­bat de l’équipe tech­nique, des assistant·es qui tentent de mettre de la poudre aux yeux à tout le monde pour que ton geste paraisse aus­si ano­din que tes rots ou tes pets.

Je ne sais pas ce qu’est deve­nue cette jeune femme, tu as dû la mettre KO avec tes assi­dui­tés ; ça fait par­tie de tes armes fatales : tu ter­rasses les chattes sau­vages au las­so, sau­cis­son à la main. Dans l’article de Mediapart rela­tant les fait, les quelques per­sonnes qui ont accep­té de répondre assurent que tout le monde t’a mis un gros holà, his­toire de te faire redes­cendre, et que t’as fait la mine contrite du mec qu’avait pas com­pris que la don­zelle ne se pâmait pas pour lui. Mais je te com­prends Gégé, la notion de consen­te­ment a été inven­tée il y a peu. Avant, c’était le flou inter­si­dé­ral, et puis, les films amé­ri­cains, tout ça : y a plein de trucs qui nous prouvent que lorsqu’une fille dit “non”, en fait elle dit “oui”. C’est pas évident à sai­sir phi­lo­so­phi­que­ment par­lant, mais toi, ça a l’air de te convenir.

Dans l’article donc, ils disent qu’après la douche froide una­nime, t’es allé coucouche-​panier. Mais c’est mal te connaître Gégé ! Toi et moi, on sait ! (Enfin, moi je sais, parce que toi, tu as oublié.) Nous avons fini tard ce soir-​là, dans une boîte de nuit. Ah ! C’est vrai que la boîte de nuit, c’est trans­gres­sif. Il y a cette atmo­sphère incer­taine des corps qui se frôlent, qui se touchent et se cherchent. Je com­prends, ça a dû te rap­pe­ler ta jeunesse. 

“Tu m’as lan­cé : ‘Bah, alors mon petit ! On est fati­gué ? Tu sais quoi, je te ramène à la mai­son, je te fais une côte de bœuf, on se touche et on dort.’ Et puis tu me plantes là pour aller te mar­rer avec je ne sais qui de ton monde ren­du aveugle à force de se prendre des flashs et des paillettes dans la gueule

Quand tu t’es poin­té en face de moi avec ton air lubrique, j’ai regret­té d’avoir accep­té les heures sup pour 20 euros de plus. Et donc Gégé, toi, chaud comme un buis­son ardent, avec toute la force de l’âge et ta car­rure de dan­seur lati­no, tu te pointes tran­quille et me dis : “Tu montes à che­val, toi. Ça se voit, t’aimes ça, mon­ter les che­vaux.” Et comme tu ne manques jamais de public rigo­lard autour de toi, je me retrouve coin­cée entre toi et des tur­fistes, qui ont l’air eux aus­si de vou­loir savoir si j’aime ça, mon­ter à cheval.

Je te le dis pour ta gou­verne, c’est pas du womans­plai­ning, mais un peu quand même : une nana encer­clée par un groupe de mecs à l’œil allu­mé n’est pas sereine, elle rit bête­ment et reste un peu para­ly­sée sur place. Pas parce que ça lui plaît, mais parce que les petits ani­maux face aux pré­da­teurs ont ten­dance à se pétri­fier avant de fuir. Heureusement pour moi, les tur­fistes avaient d’autres juments à mon­ter et je suis res­tée face à toi, indé­cise. Non pas parce que j’hésitais encore à savoir si j’aurais aimé te sucer la bite, mais parce qu’à l’école de théâtre, on m’avait dit que face au monstre sacré, il fal­lait BIEN FERMER SA GUEULE. Et puis l’éducation des filles aus­si : en socié­té, il faut sou­rire, être dans une forme d’écoute et d’empathie face à ton inter­lo­cu­teur. C’est hyper chiant et ça te rend vache­ment moins libre de tes mouvements.

Et donc Gégé, peut-​être un peu refroi­di par l’épisode du matin, c’est vrai, tu n’as pas essayé de me tou­cher les seins. Tu m’as seule­ment lan­cé : Bah, alors, mon petit ! On est fati­gué ? Tu sais quoi, je te ramène à la mai­son, je te fais une côte de bœuf, on se touche et on dort.” Et puis tu me plantes là pour aller te mar­rer avec je ne sais qui de ton monde ren­du aveugle à force de se prendre des flashs et des paillettes dans la gueule. Toi, tu as oublié, ça ne fait aucun doute, mais moi, non. 

“Le rire est une arme incroyable. Je racon­tais cette anec­dote sur un ton outré et puis à force de voir les gens se mar­rer, j’en ai oublié mon indignation”

J’ai racon­té cette his­toire sou­vent, et comme racon­té dans l’article de Mediapart, j’ai sou­vent enten­du : Oh bah c’est Gégé quoi, il est nature !” Le rire est une arme incroyable. Je racon­tais cette anec­dote sur un ton outré et puis à force de voir les gens se mar­rer, j’en ai oublié mon indi­gna­tion. Mais là, je tombe sur cet article et cette jour­née me revient. Et la rage monte en décou­vrant le sys­tème que tu as mis en place. Ton rire contre leurs larmes. La répé­ti­tion de la même scène d’humiliation. Validé par tes pairs, créant la ter­reur par le rire. Tu te fais pas­ser pour un bouf­fon, alors que tu es un roi tout puissant. 

Y en a ras-​la-​chatte des mecs comme toi, Gégé ! Vous pul­lu­lez, vous vous tapez dans le dos et cher­chez à contrô­ler les affects, les dési­rs, les refus, les larmes, les silences de vos vic­times. Et vous osez dire que vous ne vous sou­ve­nez de rien ! Eh bien Gégé, tant que tu per­dras la mémoire, on sera là pour te la remettre à jour. Parce que je suis prête à parier mes poils de chatte que les femmes qui ont subi tes assauts sont bien plus nom­breuses que celles qui osent par­ler aujourd’hui.

PS Ce soir, je suis ren­trée seule à pied dans cette ville que je connais par cœur et à un moment, j’ai été para­ly­sée par une ombre der­rière moi. Pas la tienne Gégé, ni celle d’un autre, non. Ma propre peur de petit ani­mal tou­jours sus­cep­tible de croi­ser un grand pré­da­teur. Parce qu’avec tes manières de mec qui ne se gêne pas pour se ser­vir, tu me replantes cette injonc­tion dans le cer­veau : quand ça t’arrive, pense à BIEN FERMER TA GUEULE. Eh bah, tu sais quoi ? Cette fois-​ci, c’est loupé.

Marion Guilloux

Lire aus­si l Gérard Depardieu : treize femmes l’accusent de vio­lences sexuelles

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